Tribune publiée le 7 décembre 2022 sur le site de Marianne.net : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/projet-de-parc-eolien-marin-doleron-quand-les-eoliennes-en-mer-menacent-la-biodiversite
Dans une décision du 27 juillet 2022[1], la ministre de la Transition énergétique a confirmé l’implantation d’un parc éolien marin de 1000 MW au large de l’île d’Oléron (ainsi qu’une extension de même puissance). Si la localisation de ce projet très critiqué par le secteur associatif et les pêcheurs a évolué depuis la saisine de la Commission nationale du débat public en février 2021, désormais prévue en bordure extérieure du parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et des pertuis charentais, elle n’a fait que migrer d’une aire marine protégée à une autre.
Avenir des zones marines « NATURA 2000 »
Ce projet éolien offshore, en mode « posé », c’est-à-dire conçu avec un ancrage des mâts (environ 70) dans le sol marin, se situe en effet en pleine zone « Natura 2000 » de protection des oiseaux, protégée au titre de la législation européenne (directives « Natura 2000 »). Le raccordement envisagé de ce parc, par ailleurs, traverse deux zones « Natura 2000 » (« oiseaux » et « habitats ») et le parc naturel marin…
Si le débat public a fortement souligné les enjeux majeurs liés à la préservation de la biodiversité dans la zone convoitée par les maîtres d’ouvrage, le gouvernement a persisté à minimiser les exigences de protection du site, estimant que l’implantation de grandes centrales éoliennes offshore n’était pas incompatible avec les directives européennes sur la protection des oiseaux et des habitats naturels. Dans le document de consultation de la procédure de mise en concurrence lancée en octobre 2022[2], on ne s’étend pas sur la spécificité et la sensibilité environnementales des lieux : à s’en tenir à ce document, on ne sait même pas que le projet est situé en zone « Natura 2000 »… Cette posture générale, qu’il faut analyser à l’aune de l’ambition française d’une cinquantaine de parcs à l’horizon 2050, est-elle acceptable et durable ?
Dans ce contexte préoccupant, l’action juridique des associations de protection de l’environnement à l’encontre du projet éolien en mer d’Oléron doit être bien comprise. Parfois montrées du doigt au nom des « impératifs » de la lutte contre le changement climatique, leur combat invite pourtant à mieux saisir et concilier les enjeux pluriels de ce temps charnière, en refusant que les aires marines protégées (parcs naturels marins et zones « Natura 2000 » notamment) deviennent le théâtre de la transition énergétique.
Un rapide détour par les textes de référence relatifs à la zone de protection des oiseaux concernée dans l’affaire du parc d’Oléron (« ZPS Pertuis charentais - Rochebonne ») permet à tout le moins de questionner l’entêtement du gouvernement dans ce dossier.
La directive du 30 novembre 2009 sur la conservation des oiseaux sauvages, au-delà de l’obligation des Etats membres de prendre « toutes les mesures nécessaires » pour préserver les espèces d’oiseaux visées et leurs habitats, affirme que « Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution », en tenant compte des espèces menacées, vulnérables ou rares (directive 2009/147/CE, art 4). En la matière, « Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale [ZPS] les territoires les plus appropriés (…) dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive ».
Quant au descriptif français du site ayant (justement) été classé en ZPS, il affirme que « Ce grand secteur constitue, en continuité avec les zones de protection spéciale " large de l'Ile d'Yeu " et " panache de la Gironde ", un ensemble fonctionnel remarquable d'une haute importance pour les oiseaux marins et côtiers sur la façade atlantique » (Inventaire National du Patrimoine Naturel)[3].
Légitimité du combat juridique associatif
L’aire d’implantation des parcs éoliens marins d’Oléron (d’une puissance totale censée atteindre les 2000 MW) a-t-elle été judicieusement choisie ? Est-il incongru de parler ici d’erreur manifeste d’appréciation ? Le développement des énergies renouvelables commande-t-il de réaliser ce parc tant controversé envers et contre tout ? Ce sont bien les questions essentielles soulevées par le combat juridique des associations de protection de l’environnement, que l’on ne saurait en aucun cas stigmatiser, œuvrant, elles aussi, pour la planète et les générations futures.
Dans ces conditions, les recours intentés n’ont rien d’abusifs ou de dilatoires ; ils interrogent la société civile et le gouvernement, en mettant ce dernier en garde. C’est bien le sens des nombreux recours gracieux adressés à la ministre de la Transition énergétique en septembre 2022 et, aujourd’hui, des saisines de la Commission européenne (plaintes pour violation des directives « Natura 2000 ») et du juge administratif (aux fins d’obtenir l’annulation de la décision ministérielle confirmant le projet d’Oléron).
Ces actions associatives nous disent que les instances de débat public ne sont pas tenues de sauver des projets éminemment problématiques, au risque de s’approcher dangereusement de l’assistance à maîtrise d’ouvrage ; elles nous disent encore que la planification des sites d’implantation des parcs éoliens -qui reste largement embryonnaire- doit (enfin) éviter les aires marines protégées, dans une logique d’interprétation stricte des textes en vigueur (directives européennes et code de l’environnement français).
L’avenir des zones marines « Natura 2000 » est en jeu ; il doit être préservé d’une forte anthropisation générée par des aménagements lourds de l’espace maritime, en dépit de l’argumentaire du moment. La Commission européenne, qui a su par le passé agir avec fermeté et mettre en cause la France (au sujet du Marais Poitevin ou de l’estuaire de la Seine par exemple), ainsi que les juridictions nationales, juges de droit commun du droit de l’Union, sont plus que jamais les garantes de l’intégrité et de la cohérence du réseau écologique d’espaces protégés (terrestres et marins) « Natura 2000 », dont on a célébré cette année les trente ans.
[1] Décision du 27 juillet 2022 consécutive au débat public portant sur le projet de parcs éoliens en mer en Sud-Atlantique et son raccordement (publiée au Journal Officiel de la République Française du 29 juillet 2022).
[2] https://www.cre.fr/media/Fichiers/publications/appelsoffres/ao7-telecharger-le-document-de-consultation