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Comme à l’accoutumée, l’été nous inflige son lot de violations récurrentes du droit du littoral, en l’occurrence du droit des plages. Car ces dernières ne sont pas, loin s’en faut, des espaces de non-droit. Elles sont soumises à une législation disparate mais relativement ferme devant garantir les droits du public. Du moins en théorie…
Parfois véhiculée par les médias eux-mêmes, l’idée de « plage privée », qui pourtant ne devrait pas avoir en France de réalité juridique, poursuit inexorablement son chemin, particulièrement concernant les plages de la côte méditerranéenne. Une telle idée correspond dans l’imaginaire collectif à des espaces entièrement privatisés, séparés des plages dites publiques, agrémentés d’équipements de confort divers (matelas, parasols, restauration…) au bénéfice d’une clientèle s’étant acquittée d’un droit d'usage (parfois élevé). Les stations balnéaires huppées de la Côte d’Azur sont bien évidemment au cœur de ce modèle, qui semble hélas se déployer bien au-delà…
> France 3 PACA, Côte d'Azur : les plages privées et le respect de la loi Littoral, 22/07/2019 (mis à jour le 15/06/2020) : https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/alpes-maritimes/antibes/cote-azur-plages-privees-respect-loi-littoral-1700918.html
Sous les feux de la critique citoyenne, minoritaire mais parfaitement fondée, le paradigme de la plage privée ne résiste pas au discours juridique en vigueur, lequel mérite d’être rappelé simplement.
Que dit le droit ?
D’abord, le statut foncier des plages françaises est déterminant, dans la mesure où celles-ci relèvent très largement (et depuis fort longtemps) de ce qu’on appelle le domaine public maritime naturel de l’Etat (donc de la nation !). Cette notion juridique ancienne, héritage -notamment- de la grande ordonnance de Colbert sur la marine de 1681, se trouve aujourd’hui définie par le Code général de la propriété des personnes publiques, précisément à l’article L. 2111-4 :
« Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend :
1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer.
Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ;
2° Le sol et le sous-sol des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer ;
3° Les lais et relais de la mer (…) ».
A ce titre, les plages (dont l’acception géographique demeure assez floue) constituent le plus souvent des éléments du rivage de la mer (estran) ou, le cas échéant, des lais ou relais de la mer. Alors propriétés exclusives et inaliénables de l’Etat, elles appartiennent donc au fameux domaine public maritime naturel (en métropole comme dans les DOM), ce qui emporte d’importantes conséquences : il n’y a pas de « plages privées » à proprement parler et le Code précité des propriétés publiques rappelle en la matière que « Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique (…) ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous » (art. L. 2122-1). Les exploitants de lots de plages sont donc soumis à un régime d’autorisation préalable, sous le contrôle de l’administration (parfois défaillante dans la bonne application du droit !).
Ensuite, l’utilisation des plages est régie par des textes garantissant les droits du public. Il n’est pas inutile ici de rappeler les dispositions phares de la loi Littoral du 3 janvier 1986, toujours en vigueur et codifiées à l’article L. 321-9 du Code de l’environnement :
« L'accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de protection de l'environnement nécessitent des dispositions particulières.
L'usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines ». [surligné par nous]
La loi française affirmant clairement la vocation publique des plages, on comprend mal que certaines portions du littoral apparaissent totalement privatisées. Il faut cependant se garder de tout jugement hâtif : cette vocation publique est fondamentale mais, pour autant, n’est pas exclusive ; des usages privatifs sont donc licites, mais dans les conditions (strictes) fixées par le Code de l’environnement et le Code général de la propriété des personnes publiques. De tels usages, très contemporains, sont liés à l’exploitation économique (et donc payante) de la plage, qui peut s’exercer dans le cadre du droit des concessions de plages. Un rapport officiel de 2009 sur ce sujet notait déjà que dans les zones très touristiques, les plages étaient le plus souvent concédées (particulièrement sur la côte méditerranéenne).
Là encore, les règles du jeu sont fermes et méritent d’être rappelées. Le premier lien juridique (contractuel) unit l’Etat propriétaire aux communes concernées (ou aux intercommunalités), qui sont prioritaires en la matière ; le second lien unit la commune ou l’intercommunalité concessionnaire avec les plagistes, alors sous-concessionnaires de lots de plage. Comme le précise la législation applicable, ces sous-traités d'exploitation sont accordés après publicité et mise en concurrence préalable, doivent être liés aux besoins du « service public balnéaire » (ce qui exclut normalement la restauration pure...) et, surtout, ne sauraient remettre en cause la vocation publique des plages !
C’est ainsi, d’une part, que le Code de l’environnement précise bien que « la libre circulation sur la plage et le libre usage par le public d'un espace d'une largeur significative tout le long de la mer » doivent être préservés [surligné par nous] et, d’autre part, que le décret du 26 mai 2006 sur les concessions de plages (codifié) fixe des seuils d'occupation réglementaires impératifs à l’exploitation payante des lots attribués et insiste sur le cadre environnemental de cette exploitation. Il semble indispensable d’en rappeler la lettre, dans le texte, lequel doit être médité :
« Les concessions accordées sur les plages doivent respecter, outre les principes énoncés à l'article L. 321-9 du code de l'environnement, les règles de fond précisées aux alinéas suivants.
Un minimum de 80 % de la longueur du rivage, par plage, et de 80 % de la surface de la plage, dans les limites communales, doit rester libre de tout équipement et installation. Dans le cas d'une plage artificielle, ces limites ne peuvent être inférieures à 50 %. La surface à prendre en compte est la surface à mi-marée.
Seuls sont permis sur une plage les équipements et installations démontables ou transportables ne présentant aucun élément de nature à les ancrer durablement au sol et dont l'importance et le coût sont compatibles avec la vocation du domaine et sa durée d'occupation. Les équipements et installations implantés doivent être conçus de manière à permettre, en fin de concession, un retour du site à l'état initial. Leur localisation et leur aspect doivent respecter le caractère des sites et ne pas porter atteinte aux milieux naturels (…) » [art. R. 2124-16 du CGPPP - surligné par nous].
Au regard de ces considérations juridiques fondamentales, deux questions (au moins) se posent : la libre circulation des piétons sur la plage est-elle toujours respectée par les plagistes ? Les seuils réglementaires de superficie d’exploitation, qui garantissent la vocation publique de la plage sont-ils également respectés ? A l’évidence, non. Si des efforts ont pu être faits s’agissant de la démolition (médiatisée) de quelques établissements parfois célèbres, la situation demeure problématique sur un plan sociétal et juridique, particulièrement dans le Sud de la France. Il appartient aux pouvoirs publics (préfets, maires et présidents d’interco) d’exercer leurs prérogatives, chacun dans leurs domaines de compétence, afin que les droits du public cessent d’être bafoués sur les plages de la République française.
Voir aussi : U Levante (Corse), La privatisation des plages doit - enfin - cesser et les lois doivent - enfin - être appliquées : https://www.ulevante.fr/la-privatisation-des-plages-doit-enfin-cesser-et-les-lois-doivent-enfin-etre-appliquees/
SOURCES :
- Article L. 321-9 du Code de l’environnement : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006833484&cidTexte=LEGITEXT000006074220&dateTexte=20200820&oldAction=rechCodeArticle&fastReqId=410658344&nbResultRech=1
- Article R. 2124-16 du Code général de la propriété des personnes publiques : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000031765455&cidTexte=LEGITEXT000006070299&dateTexte=20200820&oldAction=rechCodeArticle&fastReqId=136185638&nbResultRech=1
- Conseil général de l’environnement et du développement durable / Inspection générale de l’administration, Les difficultés d’application du décret relatif aux concessions de plage, rapport de mission, janv. 2009.