Laurent Bordereaux (avatar)

Laurent Bordereaux

juriste, enseignant-chercheur

Abonné·e de Mediapart

18 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 juin 2020

Laurent Bordereaux (avatar)

Laurent Bordereaux

juriste, enseignant-chercheur

Abonné·e de Mediapart

Aménager la mer côtière?

Espace convoité, la mer côtière est aujourd’hui l’objet de nombreux projets d’aménagement interrogeant le cadre juridique applicable. Peut-on admettre l’implantation d’équipements lourds (ports, éoliennes…) dans des zones protégées ? Si le discours économique tend à minimiser les impacts sur le milieu, le droit de l’environnement fixe des limites dont il faut impérativement prendre la mesure.

Laurent Bordereaux (avatar)

Laurent Bordereaux

juriste, enseignant-chercheur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les projets d’aménagement de la mer côtière, qui s’étend du trait de côte aux limites extérieures de la mer territoriale (sur 12 milles nautiques), se développent à une vitesse vertigineuse, en métropole comme en outre-mer. Des chantiers d’extension (voire de création) de ports de plaisance aux multiples projets d’implantation de sources d’énergie renouvelable (éoliennes offshore, hydroliennes, panneaux photovoltaïques en mer…), sans oublier le secteur des cultures marines, du tourisme et des loisirs (hôtels et villages flottants), le contexte post-Covid 19 pourrait bien accélérer encore ce que d’aucuns présentent comme des vecteurs incontournables de la relance économique et de la transition écologique.  

Auréolés de ces valeurs sociétales de premier plan et porteurs d’enjeux économiques considérables, ces projets marins contemporains interrogent toutefois singulièrement le discours juridique, devenu au centre des débats. Les velléités de simplification des questions de droit y sont à la fois nombreuses et préoccupantes. Dans ce registre éminemment pré-formaté, tout problème trouverait sa solution technico-financière, y compris dans le code de l’environnement, dont le niveau général de protection offert est pourtant censé ne pas régresser (il existe dans la loi française un principe ironique de non régression du droit de l’environnement…). Les illustrations des dangers d’un tel raisonnement ne manquent pas.

Ainsi, sorti d’un autre âge, l’incroyable et désastreux projet vendéen de « port Brétignolles », à très fort impact environnemental, serait tout à fait « compensable » ; un peu plus au sud, le projet de parc éolien d’Oléron pourrait sans problème particulier s’implanter en peine zone Natura 2000 et au cœur d’un parc naturel marin, dans une logique de droit souple où tout est conciliable. Plus généralement, la participation du public se trouverait garantie par un dédale de procédures formelles de concertation (sous l’égide de la commission nationale du débat public notamment). Quant à la justice, il serait impérieux qu’elle s’exprime a minima en simplifiant le contentieux, perçu comme une entrave au développement de l’économie. C’est dans cette veine que les promoteurs des énergies marines renouvelables exercent leur lobbying juridique pour que le Conseil d’Etat devienne l’unique juridiction compétente en la matière, croyant qu’il pourrait tout valider sans sourciller…

Le droit de la mer côtière n’est pourtant pas soluble dans cette opération de communication et de simplification. Il est, entre autres, indispensable de faire le point sur la structuration de ce droit hybride, construit depuis la terre et la mer. L’élément marin s’y exprime bien évidemment, notamment par le statut de « mer territoriale » de l’espace aquatique, sous souveraineté historique de l’Etat côtier. Entre terre et mer, la notion juridique ancienne de domaine public maritime (incluant essentiellement les rivages ainsi que les sols et sous-sols de la mer territoriale) souligne également l’importance des prérogatives de la puissance publique sur ce qui est sa propriété exclusive. Toute occupation privative nécessite ainsi une autorisation administrative -fût-elle contractuelle- d’occupation du domaine public.

Mais ce droit très classique, à l’évolution très lente et finalement assez peu perméable aux enjeux environnementaux, ne représente plus l’axe dominant des aménagements actuels de la mer côtière. Il faut impérativement prendre toute la mesure de la projection maritime des règles issues du droit de l’environnement, de l’aménagement et de l’urbanisme. Dans ce large spectre, qui inclut d’ailleurs les questions d’archéologie préventive, les exigences des directives européennes Natura 2000 (« oiseaux » et « habitats ») doivent faire l’objet d’une attention spéciale en mer, où elles s’appliquent dans de nombreux secteurs. Concrètement, il résulte de la législation en vigueur que si les activités économiques ne sont bien sûr pas proscrites par principe, leur implantation est subordonnée à une évaluation environnementale rigoureuse (dite d’évaluation des incidences) démontrant que le projet en cause ne portera pas atteinte aux objectifs de conservation d’un site Natura 2000. Peut-on alors légitimement imaginer un grand parc éolien en mer d’Oléron, dans une zone de protection spéciale (ZPS) instituée pour protéger une faune aviaire et marine jugée rare et menacée ?

Enfin, il est temps de ne plus sous-estimer la dimension maritime de la loi « Littoral » du 3 janvier 1986, dont certaines dispositions se déclinent opportunément en mer côtière. La (forte) protection des espaces dits « remarquables », caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et/ou nécessaires au maintien des équilibres biologiques, peut parfaitement s’appliquer au-delà de la ligne de marée basse, à une distance raisonnable de la terre, dans une optique moderne de gestion intégrée de la mer et du littoral. Le texte de la loi l’affirme sans ambiguïté et le juge administratif l’a par ailleurs clairement reconnu. Il faut donc en tirer les conséquences et bannir de ces espaces marins remarquables les invraisemblables projets de ports de plaisance et d’équipements touristiques qui portent gravement atteinte au patrimoine naturel de la nation.       

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.