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Un projet éolien marin « d’une ampleur considérable » ! Tels étaient les mots du Premier ministre Jean Castex dans son discours du Havre le 22 janvier 2021. Au final, après un débat public de cinq mois particulièrement houleux, les maîtres d’ouvrage (le gouvernement et Rte) ont annoncé, d’abord via un tweet de la ministre de la Transition énergétique, qu’ils entendaient bien donner suite à ce projet très controversé.
Une décision ministérielle publiée le 29 juillet 2022[1] confirme en effet, au lendemain du dernier jour du délai légal de trois mois[2], l’implantation d’éoliennes « posées » au large de l’île d’Oléron à plus de 35 km des côtes (bien au-delà des limites de la mer territoriale), pour une capacité d’environ 1 GW, au sein d’une zone identifiée de 180 km². Une extension de même puissance est également prévue plus au large. Une procédure de mise en concurrence devrait donc être lancée en conséquence dans les mois à venir.
Hors du parc naturel marin mais en zone de protection spéciale pour les oiseaux
Désormais à l’extérieur du parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et des Pertuis charentais (ainsi d’ailleurs que de la zone « Natura 2000 habitats »), la localisation de ce parc éolien a -certes- beaucoup évolué, dans le sillage du bilan du débat public (préconisant notamment un éloignement significatif vers le large). Il n’en demeure pas moins qu’il reste situé (tout comme son extension prévue) dans le périmètre d’une zone « Natura 2000 » de protection spéciale au titre de la directive européenne sur la protection des oiseaux (ZPS Pertuis charentais - Rochebonne). Quant à l’aire de raccordement envisagée, elle traverse l’ensemble des zones protégées… Une localisation qui au total pose toujours question, alors que les enjeux écologiques et le manque d’acceptabilité sociale ont été fortement mis en avant au cours du débat public.
Un projet originel inconcevable
Rétrospectivement, force est de constater que rarement un projet éolien en mer aura suscité un tel rejet des associations de protection de l’environnement, des pêcheurs et des élus (avec des nuances et des retournements de situation…). L’une des grandes questions que soulève ce dossier sensible du parc éolien dit d’Oléron est d’ailleurs de savoir comment il a pu cheminer jusqu’à franchir le seuil de la Commission nationale du débat public (CNDP). Statutairement indépendante, n’ayant donc bien évidemment pas vocation à sauver tous les projets éoliens marins dont elle est saisie, sa tâche en l’espèce s’apparentait à une mission impossible. Car si les maîtres d’ouvrage, dans le choix des questions à poser au public, ont bien tenté dans le dossier de saisine de la CNDP de restreindre le champ de la discussion en la cantonnant à la détermination de la zone d’implantation des futures éoliennes, le débat s’est inévitablement et très vite focalisé sur les impacts environnementaux et l’opportunité même d’un grand projet éolien en pleine zone protégée.
En effet, en dehors des problèmes posés par la coexistence de l’éolien offshore avec la pêche, c’est bien la question écologique qui a fait chanceler le « grand » projet éolien d’Oléron. Son vice de conception aura eu la pire conséquence : une opposition frontale entre la convocation des impératifs de transition énergétique et un flot de critiques liées à la préservation des aires marines protégées.
Le projet initial semblait bien inconcevable. Comment pouvait-on imaginer implanter une grande centrale éolienne, en mode « posé » (c’est-à-dire avec des fondations impactantes pour les fonds marins), au cœur d’une aire marine protégée majeure (et de surcroît à proximité de plusieurs réserves nationales) ? Il faut rappeler à ce propos que la zone choisie à l’origine par les maîtres d’ouvrage était située au sein de deux sites « Natura 2000 » (une zone de protection spéciale au titre de la directive européenne « oiseaux » et une zone spéciale de conservation au titre de la directive « habitats ») ainsi qu’en plein parc naturel marin (créé par le gouvernement en 2015).
Exigences du respect de la législation « Natura 2000 »
Dans ces conditions, l’annonce gouvernementale du 29 juillet marque une évolution notable en évitant le parc naturel marin et la zone « Natura 2000 habitats ». Ce n’est bien sûr pas rien. Mais la localisation en zone « Natura 2000 » de protection spéciale pour les oiseaux demeure toujours un sérieux point d’achoppement (sans compter le raccordement en zone éminemment sensible) : s’agissant d’ouvrages et d’installations dont il est difficile de nier les risques d’effets préjudiciables sur une faune aviaire protégée (ce qui devra cependant être analysé par une solide évaluation d’incidences), les autorisations requises ne peuvent être données, entre autres, qu’en l’absence de solution alternative à l’implantation en zone Natura 2000 (l’article L. 414-4 VII du Code de l’environnement est à méditer).
En raisonnant à l’échelle de la façade Sud-Atlantique et à l’aune des perspectives offertes par la technologie, une démonstration en ce sens devra être produite, dans le cadre des études réglementaires à venir. Rappelons pour mémoire l’existence des notes de l’ex-Agence des Aires Marines Protégées (alors établissement public de l’Etat) qui, en 2015, recommandait de ne pas développer l’éolien offshore dans les zones « Natura 2000 » de la mer d’Oléron, ainsi que l’avis très critique du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) du 6 juillet 2021[3].
En tout état de cause, en vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’atteinte à l’intégrité d’une zone « Natura 2000 » doit être réellement inévitable ; le seul coût économique ne saurait être déterminant dans le choix des solutions alternatives[4]. Après l’affaire des trois éoliennes flottantes expérimentales au large de Port-Saint-Louis-du-Rhône, jugée par la Cour administrative d’appel de Nantes[5], le Conseil d’Etat, juge administratif suprême, pourrait être amené à investir ce sujet délicat, dès lors que le gouvernement persiste à vouloir implanter des éoliennes offshore en zone « Natura 2000 ». Aucune « présomption d’intérêt public majeur », aucun régime de simplification dérogatoire (d’origine européenne et/ou nationale) au bénéfice des énergies renouvelables ne devrait être de nature à les affranchir de ce cadre (nonobstant les velléités actuelles de l’exécutif dans son projet de loi…).
De Dunkerque à la Méditerranée…
Car le déploiement des centrales éoliennes en mer ne saurait se faire dans l’incohérence, c’est-à-dire au détriment des autres enjeux majeurs de nos sociétés littorales et maritimes, dont ceux de la pêche et de la protection du vivant. La planification écologique annoncée par l’exécutif doit impérativement respecter les aires marines protégées (de la mer de Dunkerque à la Méditerranée), lesquelles n’ont pas vocation à se muer en zones industrielles de développement éolien, quel que soit le discours de justification et les (réels) problèmes énergétiques de notre temps.
De ce point de vue, la confirmation du projet en zone Sud-Atlantique, fût-il assez largement remanié, ne dissipe ni toutes les inquiétudes ni tous les risques de recours contentieux, loin s’en faut…
N.B. : Dans son avis du 7 septembre 2022 (n° 2022/99) consécutif à la décision prise par les maîtres d’ouvrage, la CNDP estime que ces derniers « ont tenu compte d’un enseignement majeur du débat public en décidant de changer la localisation envisagée du projet de parc éolien en mer, afin de la situer en dehors du parc national marin et de la zone Natura 2000 ‘habitats’ », omettant toutefois de préciser que ce projet demeurait invariablement localisé en zone Natura 2000 de protection des oiseaux (ZPS)...
[1] Décision du 27 juillet 2022 consécutive au débat public portant sur le projet de parcs éoliens en mer en Sud-Atlantique et son raccordement (publiée au JO du 29 juillet 2022).
[2] Aux termes de l’article L. 121-13 du Code de l’environnement, les maîtres d’ouvrage disposent en effet d’un délai de trois mois (après publication du bilan du débat public) pour se prononcer sur le « principe et des conditions de la poursuite (…) du projet ».
[3] Voir l’avis du CNPN du 6 juillet 2021 : Juillet 2021 – Avis biodiversité (developpement-durable.gouv.fr)
[4] Voir CJUE, 14 janv. 2016, Grüne Liga Sachsen eV e.a., aff. C-399/14 ; CJUE, 16 juillet 2020, WWF Italia Onlus, aff. C-411-19.
[5] CAA Nantes, 6 octobre 2020, n° 19NT02389 ; CAA Nantes, 5 avril 2022, n° 19NT02389.