C'est un peu l'histoire sans fin qui toucherait au but, mais voilà : la Cour de Cassation a finalement reconnu (et encore : pas tout à fait) que la Charte Européenne des Droits de l'Homme et les décisions répétées de la Cour de Justice de l'Union Européenne impliquaient l'interdiction pour les forces de l'ordre et pour le Parquet d'accéder sans l'aval d'un juge indépendant aux données personnelles numériques des citoyens.
Et dans cet article du Parisien, certains magistrats et policiers s'en inquiètent.
Et en effet : quand le parquet et les forces de l'ordre expliquent que - si un juge indépendant doit valider a-priori leurs réquisitions de "fadettes" et autres données de localisation téléphonique - alors leurs enquêtes vont être ralenties et de nombreux malfaiteurs éviter les poursuites, on ne peut qu'être d'accord avec eux.
C'est du simple bon sens.
Et puis, en période de crise, la protection des libertés individuelles passe au second plan. Il faut d'abord avoir de quoi manger, se vêtir, et avoir un toit sur la tête pour se projeter suffisamment dans l'avenir et commencer à se préoccuper des libertés dont cet avenir sera fait. Quelle mouche a donc piqué l'Union Européenne, pour qu'elle vienne interdire à nos flics de faire ce que bon leur semble du moment qu'ils chopent les méchants ? La défense de la vie privée, franchement, on a d'autres problèmes plus graves.
Sauf que.
Prenons l'exemple du procureur francilien de l'article du Parisien : « Lors d’un cambriolage ou d’un accident avec un délit de fuite, savoir qui borne sur place est essentiel pour retrouver un auteur ». En effet ça semble difficile, mais je ne peux m'empêcher de me demander comment il faisait à l'époque, pas si lointaine pourtant, où personne n'avait de téléphone portable "bornant" à chacun de nos déplacements. Est-ce qu'aucune enquête pour un cambriolage ou un accident n'était possible ?
« Dans toutes les affaires de vols de voiture, par exemple, la téléphonie est un outil essentiel » nous-dit-il puisque comme chacun sait personne ne vole de voiture sans son téléphone sur lui, et d'ailleurs personne ne volait de voiture à l'époque des cabines téléphoniques. Ou alors on ne retrouvait jamais les voleurs de voitures, qui sait.
Le bon sens en prend un coup quand on y réfléchit un peu.
Ce qui - de ce que j'en comprends - ressort des craintes exprimées, me semble plutôt de l'ordre de l'efficacité que de l'impossibilité.
Oui, bien sûr, c'est plus simple de retrouver le méchant s'il laisse des traces numériques qu'on a le droit de recueillir sans rien demander à personne. Tout comme il est plus simple de trouver le voleur si on peut fouiller à tout instant sans distinction tous les garages individuels de la région sans demander l'accord préalable des propriétaires. Or qui dit « savoir qui borne sur place » dit qu'on va fouiller dans les données personnelles de tout le quartier. Pas seulement le téléphone du voleur, mais tous les téléphones qui passaient par là, sans distinction, seront repérés. Sans l'accord préalable des propriétaires ?
On ne peut pas perquisitionner tous les garages de la région sans l'accord préalable des propriétaires ou l'aval d'un juge indépendant (art 76 CPP) parce que ce serait beaucoup trop attentatoire aux libertés individuelles pour une simple enquête sur un vol de voiture. Alors c'est sûr : l'efficacité en prend un coup. Mais que les règles qui s'appliquent aux garages individuels s'appliquent aussi à nos données personnelles ne me choque pas. Du tout.
La localisation de votre téléphone vous semble moins grave que l'ouverture de votre garage ? Ok. Mais la CJUE estime que non et nous devons respecter ses décisions même si, quelle idée délirante, certains vilains ne seront pas pris (mais avant même la décision de la Cour de Cassation, le taux d'élucidation pour les vols liés aux véhicules n'est que de 6% en France).
Allons (un peu) plus loin.
Il n'est pas difficile d'imaginer qu'un jour nous ayons tous sur nous des lentilles ou des lunettes numériques en réalité augmentée. Autant dire que nous porteront tous une caméra sur notre front. Est-ce que ce jour là nous auront des policiers et des magistrats qui demanderont l'accès sans contrôle aux données que ces caméras produiront parce que sans elles certains délinquants passeraient entre les mailles du filet ?
Vivre chez Big Brother, en tout état de cause ça réduit très certainement la criminalité, mais à quel prix...