Je me permets de vous écrire, chers amis, parce qu'il paraît que vous entrez en résistance. A en croire le grondement populaire, les fascistes frapperaient aux portes de la région et un vigile nommé Estrosi s'efforcerait de les refouler. Selon des sources parisiennes parfaitement identifiées, la gauche n'aurait d'autres choix que de disparaître derrière ce vigile Niçois pour forcer sa victoire... A ce stade de la plaisanterie, vous ne m'en voudrez pas de vous raconter une histoire.
Je suis né à la politique dans la liesse populaire du 10 mai 1981. J'en garde des souvenirs précis où dominait l'espérance en une vie meilleure. Derrière la fin d'une hégémonie politique se profilait la mise en oeuvre d'un véritable programme de gauche aux forts accents humanistes. On vit effectivement s'ouvrir une courte mais intense période de justices sociales, de libéralisation des mœurs et de relance de la consommation.
Nous savons aujourd'hui que 1981 annonçait le début de la fin. Dès 1983, le contexte international et la construction européenne torpillaient nos chimères et nous embarquait dans une économie capitaliste revisitée par les préceptes de la mondialisation.
1983 marque également un tournant sur la scène politique de la Vème république, avec le premier succès électoral du FN dans la ville de Dreux. Le choc, déjà. Pourtant les ratonnades en vigueur depuis la guerre d'Algérie ne laissaient rien augurer de réjouissant. Du massacre de 1961 aux crimes de 1983, toute une série d'attentats racistes se chargeait régulièrement de convoquer le passé esclavagiste et colonial de la France.
Lorsque de jeunes beurs se mirent à marcher à travers nos belles contrées bétonnées pour dénoncer les violences policières dont ils étaient victimes, la gauche en conçu d'encombrants scrupules et créa, dans le sillage des quelques intellectuels et artistes, SOS racisme, association magnifiquement noyautée par le P.S.
Des scrupules dont ne furent pas accablés de nombreux « Républicains » de droite qui n'hésitèrent pas dans les années 80 et 90 à pactiser avec le FN pour assoir leurs victoires électorales. Au bout de nombreux renoncements de gauche et compromissions de droite, attendait le fameux traumatisme du 21 avril 2002, et son désormais célèbre « Front républicain ».
Paradoxalement, l'affirmation de ce Front républicain a coïncidé avec la dérive des blocs de droite vers leurs extrêmes. Le FN, épouvantable épouvantail des campagnes électorales, devint parallèlement une source intarissable d'inspiration pour les ténors de l'UMP, rebaptisé, depuis 2015, «Les Républicains ».
C'est donc aux leaders de ce parti qu'appartient, dimanche, de restaurer l'honneur de la France en barrant la route aux succès du Front National. Et c'est à Christian Estrosi d'incarner les valeurs de la république en Provence Alpes Côtes d'Azur. Dans ma carrière d'électeur, j'en ai avalé des couleuvres mais celle-ci dépasse amplement mes capacités d'ingestion. Nous y reviendrons plus loin...
En inaugurant une nouvelle enseigne, Nico, le parrain de la sauce, escomptait se racheter une virginité, plus raccord avec son nouveau costume d'homme providentiel. Evidemment, des hectolitres de détachants et de lavages à 90° ne sauraient nous faire oublier que la République servit d'arrière-boutique à un des plus grands entrepreneurs de la corruption que les républiques bananières aient connu. De surcroit, au delà d'une éthique éminemment douteuse, une tradition perdure chez « les républicains » : le maniement récurrent de préjugés racistes.
Par égards pour les âmes sensibles, je ne dresserai pas ici la liste exhaustive des petites saillies intolérantes aux lourds relents colonialistes distillées par l'Union des Malfrats Pathétiques (oui, j'aime bien...). Néanmoins, par mesures de précaution, remémorons nous quelques bruyants « dérapages ».
N'accablons pas l'ancien patriarche et premier représentant du front républicain, Jacques Chirac avec ses odieuses déclarations sur « le bruit et l'odeur » dont Bernadette doit maintenant quotidiennement faire l'expérience vu l'état de son gauliste. Accordons également notre pitié aux cerveaux anémiés de Raoult ou Morano engloutis par les eaux troubles de leur insignifiance. Malheureusement, même doté d'une infinie indulgence, on ne peut échapper à la nausée devant la répétition de discours et de clichés racistes proférés à tous les étages de cette organisation moralement contestable.
Sur la longue liste des mises en examens, on trouve, par exemple, Brigitte Barèges, mairesse de Montauban, spécialisée en exclamations homophobes et racistes. Après avoir proposé de « remettre les migrants sur des bateaux » cette élue estampillée « Les républicains », promettait de protéger les « enfants montalbanais de souche » des enfants d'immigrés dans les écoles de sa ville.
Au rayon des condamnés par la justice, le dévoué collaborateur, Claude Guéant, n'a jamais rechigné à afficher sa vision impérialiste de la France, soutenant, sans ciller, que « toutes les civilisations ne se valent pas », courtoise manière de revendiquer son appartenance à une civilisation supérieure.
Parmi les fidèles de la Sarkozie, comment ne pas rendre hommage au porte-flingues Brice Hortefeux, condamné pour des propos de comptoir adressés à un jeune militant maghrébin ? Je cite : " Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes ».
N'en vomissons plus, la bassine est pleine.
Certains pourraient être tentés de soutenir la thèse d'embardées isolées, peu représentatives des valeurs profondes de la droite « républicaine ». On aimerait. Mais les propos réitérés de leurs patrons dégonflent rapidement cette théorie.
Pour mémoire, Copé, le Boulanger, et Nicolas, le Nettoyeur, conscients de leurs responsabilités d'aboyeurs en chef, ont empilé les poncifs stigmatisants. Et toute la trame idéologique des deux gourous et de leurs disciples se résume aux Discours de Dakar et de Grenoble.
Dans le premier, Nicolas Sarkozy, venu reconnaître les méfaits de la colonisation, se présenta, devant un parterre médusé d'hommes noirs, comme receleur de tous les supposés bienfaits de la colonisation, humiliant, sur ses terres, l'homme Africain qui aurait pour tort principal de ne « pas être assez entré dans l'histoire". Sous la plume d'Henri Guaino, vénéré républicain, l'Africain campe le rôle d'un arriéré fixé par un ordre naturel « immuable », « en proie à la répétition et incapable de s'inventer un destin ». Prose débitée devant le gratin des Chefs d'état et des intellectuels africains. On n'ose songer au contenu de la version destinée à ses militants...
Cette allocution contient l'essentiel du logiciel de la droite, et d'une partie de la gauche, dans son rapport aux anciennes colonies et, plus globalement, dans son rapport au monde. Elle reste lestée par des présupposés impérialistes et ne conçoit pas, même si elle s'en défend, l'égalité entre les civilisation et les cultures. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder tous les textes discriminatoires des années Debré-Pasqua chargés de précariser la situation des immigrés et des enfants d'immigrés puis de se souvenir des lois sarkozy avec, en apothéose, la création du ministère de l'immigration, l'intégration et de l'identité nationale en 2007.
Je laisse à chacun le soin d'examiner les conséquences de ces politiques. Je me bornerai à en révéler la structure logique.
Chaque avancée du FN dans les urnes engendre moult commentaires sur les motivations de ses électeurs. Depuis 2002, le frontiste a gagné ses galons de respectabilité. Allégé de ses attributs xénophobes, il renait sous le statut de victime. S'il tient tant à remettre les bicots dans les bateaux et à justifier l'usage de la matraque pour les basanés en liberté, ce n'est évidemment pas par intolérance mais par désarroi. S'il insulte les musulmans (mais pas tous parce que « y'en a des biens »...), ce n'est pas pour se soulager de ses pulsions racistes mais par peur du déclassement. Bref, il est passé de beauf inculte à citoyen révolté. Une sorte de promotion pour toutes ces années d'abnégation à ressasser les mêmes préjugés et à s'injecter les chroniques de Zemmour. Une prime à la facilité pour électeur désemparé que les épiciers républicains s'arrachent sans vergogne.
Etonnamment, l'ensemble des observateurs-sondeurs-commentateurs semble vouloir recracher l'arête centrale de la pulsion FN, à savoir son racisme endémique. Peut être parce qu'ils refusent d'admettre que les racistes se répartissent en plusieurs catégories. Sans les disséquer, on pourrait en distinguer au moins deux : les non pratiquants et les pratiquants, elle même subdivisée en deux couches, les modérés et les radicaux.
Les pratiquants ressemblent aux chassés-croisés des juilletistes et des aoutiens : immuables, bouillonants et traditionnalistes. Ils constituent le noyau dur de l'électorat et arborent crânement leurs signes d'appartenance au mouvement. Leur adhésion s'ancre dans la mémoire d'une France dominatrice, exportatrice de ses croyances et de ses certitudes au delà de ses frontières. De leurs investissements dépendent la pérennité du parti et la propagation de ses idées.
Le pratiquant modéré se contente de débiter des blagues racistes aux repas de famille ou aux beuveries entre amis, de relayer des contre-vérités du même tonneau sur les réseaux sociaux et de sacrifier une ou deux sorties de chasse pour glisser le bulletin dans l'urne.
Le pratiquant radical promène sa haine avec la ferveur d'un supporter. Ses objectifs dépassent le cadre des élections. Son engagement convoite les grandes conquêtes de territoires. Il rêve du grand soir où tous les basanés non asservis à ses intérêts particuliers regagneront leurs cailloux à la nage, sous les hourras de leurs vieux fusils d'Algérie. Ces anciens de l'OAS, du GUD, de l'UNI ou du « bloc identitaire » se concentrent au FN mais ne détestent pas encanailler les rangs de la droite dite républicaine.
Les non pratiquants se saisissent moins aisément en raison de leur faible appétence au folklore. Leurs convictions flottent un peu et naviguent entre les partis, notamment de droite mais pas seulement. Contrairement à leurs collègues pratiquants, ils versent assez peu dans le prosélytisme, lui préférant une relation moins tapageuse avec leur intolérance. Naturellement, avec le temps, la honte des petites concessions à la démocratie pratiquées dans l'isoloir s'est dissipée. Les médias et les politiques leur ont patiemment expliqué qu'ils n'étaient pas vraiment xénophobes mais simplement exaspérés par le contexte économique et social. Du coup, plus besoin de raser les murs ou de se cacher derrière une poubelle pour souiller la vie politique française.
Cette déculpabilisation du vote FN, associée à sa dédiabolisation, se classe assurément parmi les plus irresponsables sabotages de la République. La collusion du système médiatique avec l'entreprise de normalisation des nouveaux dirigeants frontistes n'a d'égal que l'énergie déployée par l'ex-UMP pour siphonner le réservoir du parti néofasciste. Un discours paternaliste seriné élection après élection avec le souci constant de ne pas buter un votant qu'on compte retourner à son avantage. Malheureusement, ces innombrables accolades empathiques se sont révélées totalement contre-productives en éteignant les derniers signaux rationnels des électeurs FN et en les infantilisant. Du coup, qu'est ce qui empêche des enfants coléreux, au Surmoi instable, de se rouler dans l'urne en menaçant de tout casser, au beau milieu d'adultes terrorisés ? C'est ça : rien.
La xénophobie traverse toutes les couches de la population, comme une inclination naturelle à soigner son narcissisme en se persuadant que les autres ne nous valent pas. Ce narcissisme se nourrit des apologies incessantes de la grandeur nationale. Mais il baigne surtout dans des thématiques anxiogènes favorables aux raisonnements simplistes. Depuis 30 ans, les enjeux électoraux tournent systématiquement autour des questions de sécurité et d'immigration avec la volonté à peine dissimulée de les corréler.
Si la droite a longtemps gonflé artificiellement les peurs d'un peuple dont on connait les penchants pour l'ordre et la sécurité, l'âme des socialistes n'a pas défié longtemps ce « pragmatisme ». Dans la course aux voix, la rue de Solférino glisse, lentement mais très sûrement, vers des positions démagogiques, dont Manuel Valls porte fièrement le flambeau.
Inutile de répéter ici que tous les éléments objectifs susceptibles de favoriser l'émergence des partis néofascistes empoisonnent la société française et ses voisines européennes. Nous assistons assurément à une poussée des -ismes, symptôme des sociétés morcelées par leurs égoïsmes.
Dans l'hexagone, la fièvre s'empare des candidats à la veille du deuxième tour. Les électeurs orthodoxes de la gauche sont priés de se précipiter à l'office pour sauver la république, et les hérétiques gentiment invités à bâillonner leurs états d'âme pour leur emboiter le pas. Silence dans les rangs, on vote !
Pour quoi ? Pour ériger les ramparts républicains face à son ennemi absolu, l'extrême droite.
Pour qui ? Pour Christian Estrosi, le « résistant ». On croirait à une farce mais c'est clamé avec l'aplomb d'un petit soldat collabo transformé en adhérent du CRIF.
En général, la résistance chez Estrosi s'organise plutôt aux dépens de la justice d'où il sort blanchi, sa teinture préférée. Pour le reste, le CV du bonhomme assombrit légèrement l'image du maquisard niçois, dont la spécialité reste les salades. Il semblerait que le deux-roues de l'ancien motard continue à tourner en rond dans son cerveau, de circuits cours en courts-circuits. Rien qu'à l'idée de déplier la carrière de Zizi l'imposteur, je plisse du front.
Pour mémoire, le résistant a débuté sa carrière avec Jacques médecin, RPR toujours très proche du FN dont il partageait les valeurs à « 99,9% ». Ils avaient en commun la passion des affaires douteuses, de la peine de mort, de l'Algérie française et des alliances avec le FN.
Sur les opérations de braconnage des terres FN de son parti, le motodidacte se retroussa gaillardement les manches et déroula des kilomètres de clichés nauséabonds sur les musulmans pour lesquels il concocta un arrêté anti-drapeaux étrangers en pleine coupe du monde de football. Que voulez vous, il est comme ça notre républicain de la promenade des anglais : capable de tout, sauf de réfléchir...
Enfin, il paraît que, dimanche, il va faire don de son corps à la France. Il serait la digue sur laquelle s'échouerait l'ascension de la petite Maréchal, nazillarde préférée de papi le borgne. Alors, le problème avec les digues percées, c'est l'effet de surprise. Vous pensez dormir au sec, à l'abri des vagues fascistes, et vous vous levez un matin les pieds dans la boue gluante de l'intolérance.
En fait, on ne lutte efficacement que contre ce qu'on a clairement identifié. Certes, la présence du FN à la tête de la Région présagerait d'une catastrophe pour ses résidents. Mais un tel séisme présenterait au moins l'assurance de mobiliser le milieu associatif, universitaire et intellectuel dans des proportions inenvisageables sous l'ère Estrosi.
Vous l'aurez compris, je ne souscris pas à la décision du PS de se retirer du combat pour laisser la droite extrême et l'extrême droite rivaliser de médiocrité pendant 6 ans. On ne fait pas obstacle au fascisme avec des gris-gris mais en affrontant quotidiennement les expressions de son idéologie et en proposant des alternatives politiques à ses obsessions xénophobes et sécuritaires.
Face à elles, Estrosi ne se limitera pas à l'inertie, non, il s'appliquera à les cultiver, à les arroser régulièrement pour que pousse une belle forêt où se planqueront les fascistes officiels jusqu'en 2017.
Parions que, quand ils sortiront du bois, Marine Le Pen récompensera son serviteur zélé en lui offrant un poste de ministre de la propagande, pour services rendus. Je serai déjà loin.