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Billet de blog 14 août 2024

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JEUX OLYMPIQUES ET REPOS DOMINICAL : TRAVAILLER DUR POUR DE L’ARGENT ?1

Du 26 juillet au 11 août dernier se tenaient, en majeure partie dans Paris intra-muros, les Jeux Olympiques soit le plus grand événement sportif mondial dans l’attente de ceux Paralympiques, qui se dérouleront eux du 28 août au 8 septembre prochain.

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 A cette occasion, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a pris une série d’arrêtés autorisant plusieurs branches d’activité du secteur du commerce à déroger au repos dominical.

Le cadre normatif

Ces arrêtés ont été édictés sur la base de l’article 25 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux JO qui dispose : « Dans les communes d'implantation des sites de compétition des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ainsi que dans les communes limitrophes ou situées à proximité de ces sites, le représentant de l'Etat dans le département peut, compte tenu des besoins du public résultant de l'affluence exceptionnelle attendue de touristes et de travailleurs et sous réserve des dérogations au repos dominical prévues à la sous-section 2 de la section 2 du chapitre II du titre III du livre Ier de la troisième partie du code du travail applicables, autoriser un établissement de vente au détail qui met à disposition des biens ou des services à déroger à la règle du repos dominical prévue à l'article L. 3132-3 du même code en attribuant le repos hebdomadaire par roulement, pour une période comprise entre le 15 juin 2024 et le 30 septembre 2024.

Leur publication doit, au terme de cette même loi, être précédée de la consultation des acteurs politiques, économiques et sociaux locaux : « Cette autorisation est accordée après avis du conseil municipal, de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune est membre, de la chambre de commerce et d'industrie, de la chambre des métiers et de l'artisanat, des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés intéressées, donnés dans un délai d'un mois à compter de la saisine par le représentant de l'Etat dans le département. »

Des garanties constituées par le volontariat, un droit de rétractation et le versement d’une majoration de salaire égale au doublement de la rémunération versée ce jour-là, sont également prévues pour les personnels concernés : « La dérogation au repos dominical est mise en œuvre dans l'établissement sous réserve du volontariat du salarié, dans les conditions prévues aux premier et dernier alinéas de l'article L. 3132-25-4 du code du travail. Le salarié peut revenir à tout moment sur sa décision de travailler le dimanche, à condition d'en informer par écrit son employeur en respectant un délai de dix jours francs. Le salarié bénéficie des contreparties définies au premier alinéa de l'article L. 3132-27 du même code. » Ce dispositif est complété par un décret du 12 avril 2024 qui prévoit lui que le fait de méconnaître les dispositions précitées est puni des peines prévues à l'article R. 3135-2 du code du travail.

et sa déclinaison parisienne

Suite à des demandes, en février 2024, de dérogations émanant, à chaque fois, d'une unique entreprise relevant des branches professionnelles des articles de sport et de loisirs, du commerce de détail alimentaire et à prédominance alimentaire, de l’habillement-prêt à porter et de la librairie-papeterie, la préfecture initiait la consultation susvisée tout en indiquant sa volonté de les étendre aux autres commerces concernés de par « une affluence exceptionnelle de touristes et de travailleurs » à venir, chose faite le 22 avril dernier avec la publication de quatre arrêtés.

En effet, toujours selon la loi, « Lorsque le représentant de l'Etat dans le département a autorisé un établissement à déroger à la règle du repos dominical dans les conditions prévues au présent article, il peut autoriser tout ou partie des établissements situés dans les communes du département mentionnées au premier alinéa du présent article et exerçant la même activité à y déroger, dans les mêmes conditions. »

De plus, par un communiqué de presse du 23 avril 2024, il faisait savoir que, à la demande de la mairie centrale et de celles des 10ème, 11ème, 13ème, 14ème et 20ème arrondissements, les dites dérogations s’étendaient à l’ensemble des commerces en question de la capitale, se dédisant de son précédent communiqué du 23 janvier dernier qui pointait lui « les quinze arrondissements – sur vingt – les plus susceptibles d’accueillir une forte affluence de touristes. Sont ainsi concernés les arrondissements touristiques du centre de Paris ainsi que ceux où se situent un site de compétition, une zone de festivité et l’arrondissement ou résidera la Famille olympique. »

Passées les bornes, y’a plus de limites !

Ce revirement quant à leur emprise spatiale n’est pas sans interroger. De même pour leur portée dans le temps au regard du décret, échelon intermédiaire entre la loi et l’arrêté, n° 2023-1078 du 23 novembre 2023 relatif à la suspension temporaire du repos hebdomadaire dans les établissements qui connaîtront un surcroît extraordinaire de travail dans le cadre des JO : ce dernier prévoit lui que « le repos hebdomadaire peut être suspendu en application de l'article L. 3132-5 du code du travail dans les établissements connaissant un surcroît extraordinaire de travail pour les besoins de la captation, de la transmission, de la diffusion et de la retransmission des compétitions organisées dans le cadre des jeux Olympiques de 2024 ainsi que pour assurer les activités relatives à l'organisation des épreuves et au fonctionnement des sites liés à l'organisation et au déroulement des jeux Olympiques » mais le circonscrit à la période du 18 juillet au 14 août 2024.

Aussi, par une série de requête déposées le 3 juin 2024 en application des articles 521-1 et suivants du Code de Justice Administrative, le syndicat SUD Commerces et Services Francilien − Solidaires a saisi le Tribunal Administratif de Paris d’une demande de suspension de ces arrêtés. Le syndicat, à l’unisson de sa fédération consultée qui a donné un avis positif à la condition express que leur application soit limité a la période visée par le décret susvisé, estime que leur durée est excessive d’autant que les commerces alimentaires bénéficient déjà eux d’une dérogation d’employer leur personnel chaque dimanche jusqu’à 13 heures en application de l'article L. 3132-13 du code du travail.

Il mobilisait pour cela les articles 16 et 24 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qui garantissent les droits à une vie de famille ainsi qu’au repos et aux loisir, droits repris dans ceux 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946. Il pointait également le fait que les salariés des commerces concernés, qui sont essentiellement des femmes et travaillent le plus souvent dans de Très Petites Entreprises sans que des embauches ne soient opérées en conséquence pour l'occasion, allaient non seulement se retrouver en raison d'un moindre effectif privé de l’exercice de leurs congés payés pendant la traditionnelle période d’été, voire de repos dominical sur plus de trois mois rendant ainsi tout relatif la notion de volontariat mise en avant. Il indiquait enfin que les besoins en question étaient déjà satisfaits dans la dizaine de Zones Touristiques, Touristiques Internationales et Commerciales ainsi que les six gares que comptent la capitale où l'ensemble des commerces sont ouverts tous les dimanche en application de la loi du du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques dite loi Macron.2

En défense, la préfecture invoquait, outre la stricte conformité avec la loi des arrêtés ainsi pris jusqu’à leur période d’exécution et à leur motivation, les opérations de montage et de démontage des installations sportives, qui s’étalent elles de mars à octobre prochain.

Le 13 juin 2024, soit le lendemain de l’audience où l'auteur de ces lignes représentait le requérant, la juge des référés concluait de manière laconique pour l’ensemble des requêtes ce qui suit : « En l’état de l’instruction, aucun des moyens invoqués n’est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué. Par suite, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, les conclusions aux fins de suspension de l’exécution de l’arrêté attaqué doivent être rejetées. »

Le 28 juillet, le syndicat saisissait à nouveau le Tribunal à l’encontre de deux nouveaux arrêtés relatifs à la chaussure et aux magasins multi-commerce, taillé pour ce dernier sur mesure pour l’enseigne Monoprix alors que les grands magasins parisiens bénéficient déjà eux d’une dérogation permanente, publiés respectivement les 17 juin et 24 juillet 2024 et courant eux aussi jusqu’au 30 septembre prochain. Las, le 5 août dernier, soit l’après-midi même de l’audience, le juge des référés jugeait de même que précédemment.

L’important, c’est de participer

Loin de vouloir jouer les rabat-joie, soucieux que l’exception ne devienne pas la norme à l’occasion d’autres événements culturels ou sportifs à portée planétaire à venir dans la ville lumière, classée pour la troisième année consécutive « meilleure destination touristique mondiale »3, ou des considérations économiques comme à l’issue du confinement en 20214 mais aussi quant aux conditions mêmes de la consultation, le syndicat poursuit sa contestation au fond. Là où le juge de l’excès de pouvoir apprécie certes la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, on est dubitatif sur la proportionnalité des arrêtés en question alors que, selon la presse5, « près d’une annonce de location touristique sur cinq n’a aucune réservation », « pour les taxis et VTC, un mois de juillet catastrophique », « dans la capitale, le métro n’a jamais aussi bien marché que pendant les JO » et même que « les commerces ont enregistré une baisse d’activité. » Des touristes il y a eu donc mais qui ont manifestement consacré leur budget aux frais d’hôtel, de repas et de billetterie plutôt qu’au shopping là où les parisiens ont privilégié eux le choix de l'exil.

Ainsi, les avis recueillis l’ont été sur une base spécieuse : en effet, les organisations consultées n’étaient pas en possession de l’information de la transmission de courriers, le 1er février 2024, des maires des cinq arrondissements supplémentaires précités et encore moins de celui du 1er adjoint à la maire de Paris, daté lui du 13 mars 2024, sollicitant l’extension du dispositif à l’ensemble de l’agglomération parisienne. Or sans respect du principe du contradictoire prévu par l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, qui dispose que « Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable », elles n’ont pu rendre un avis pleinement éclairée. Dès lors, le non-respect de ce principe est de nature à entraîner l’annulation de l’acte incriminé (CE, n° 390438 du 28 septembre 2016). De plus, le fait que la procédure contradictoire préalable ait été menée de manière incomplète produit le même effet (TA Amiens, n° 200263 du 22 septembre 2022).

Quant à l’arrêté relatif à la chaussure, publié le 17 juin 2024, il s’appliquait dès le 15 juin dernier, donc le dimanche 16 juin, ce qui ne manque pas de susciter la perplexité au regard de son caractère rétroactif indépendamment de sa date de parution (CE, n° 94511 du 25 juin 1948).

Enfin, selon un sociologue dont l’analyse n’a pas perdu de son acuité, « Le droit à la ville se manifeste comme forme supérieure des droits : droit à la liberté, à l’individualisation dans la socialisation, à l’habitat et à l’habiter. Le droit à l’œuvre (à l’activité participative) et le droit à l’appropriation (bien distinct du droit à la propriété) s’impliquent dans le droit à la ville. »6 Droit à la ville − donc à la vie − que les salariés du commerce, alors que près de 60 % des actifs parisiens ne résident pas dans la capitale7, ainsi exhortés à se rendre davantage disponible lors des JO ont vu largement empiété.

1. En référence au célèbre tube disco « She works hard for the money ».

2. La liste de ces zones est consultable ici.

3. Le Figaro du 12 décembre 2023.

4. Le Figaro du 31 mai 2021.

5. Respectivement Le Parisien du 28 juillet, Le Monde du 1er août, Le Figaro du 2 août et Le Monde du 12 août 2024.

6. Henri Lefebvre. Le droit à la ville, Antrophos, 1968. p. 140.

7. Note INSEE, 23 avril 2021, n° 55.

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