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Billet de blog 23 décembre 2018

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JOURNAL JAUNE

Récit de notre participation aux actes parisiens II à V des gilets jaunes (to be continued).

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" Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière." 

René Char

ACTE II – samedi 24 novembre

Avec plusieurs autres camarades de SUD Commerce, de Solidaires Industrie et de SUD Rail, nous avons fait le choix de participer à la manifestation des gilets jaunes ce jour. Nous portions, pour notre part, le chasuble violet de Solidaires ce qui n'a pas manqué d'attirer l'attention et des remarques de la part de ceux en jaune : beaucoup de propos peu amènes sur les syndicats mais toujours en faisant la différence entre leurs dirigeant-es, accusés d'inaction voir de compromission avec le pouvoir, et nous la base mais aussi des remerciements d'être venus et des demandes d'éclaircissements telles que " Sud-Solidaires ou un syndicat, c'est quoi ? " ou bien " Vous aussi, vous êtes contre Macron ? " Si d'autres camarades de Solidaires ainsi que de la CGT avaient fait de même, cela aurait un poids plus conséquent et aurait été remarqué.

Sinon, si extrême-droite il y avait, nous n'en avons pas vu des masses ou alors le seul fait d'entonner la Marseillaise ou d'arborer un drapeau français signifie qu'on fait partie de cette famille politique... Peu de racisés cependant, pas de bris de vitrines hormis en fin d'après-midi par des jeunes venus de banlieue (Vuitton a mangé autant que son propriétaire, Bernard Arnault, lui se gave) et une grande détermination des manifestants (les nombreux chantiers sur l'avenue ont été mis à profit), parfois venus de loin, avec " Macron, démission ! " comme leitmotiv.

Je tire de ces plus de 4 heures passées à différents points de l'avenue la certitude que nous sommes au début d'une explosion sociale d'ampleur et que crier depuis des lustres " ça va péter ! " dans les manifestations et ne pas être là le jour où ça arrive, c'est plus que paradoxal, c'est irresponsable car si ce mouvement plie sous le poids de la répression, dont beaucoup aujourd'hui ont fait pour la première fois l'expérience, nous aurons doit à notre tour à notre Orban ou à notre Bolsonaro. Aussi, point de répugnance, allons rencontrer les gilets jaunes sur leurs points de blocages, posons la question dès lundi dans les boites et les services de comment cette mobilisation doit impacter les entreprises et les administrations, non plus de l'extérieur mais de l'intérieur, en y portant aussi bien un gilet, en demandant l'ouverture de négociation salariale ou, encore mieux, en appelant à la grève. Et le mouvement syndical, plutôt que de servir de planche de salut à Macron qui veut les convoquer mardi, doit proposer des initiatives dès la semaine prochaine car, comme l'a écrit Auguste Blanqui, " L'essentiel, c'est de s'organiser. Plus de ces soulèvements tumultueux, à dix mille têtes isolées, agissant au hasard, en désordre, sans nulle pensée d'ensemble, chacun dans son coin et selon sa fantaisie ! Plus de ces barricades à tort et à travers, qui gaspillent le temps, encombrent les rues, et entravent la circulation, nécessaire à un parti comme à l'autre. " C'est nécessaire pour gagner !

ACTE III – samedi 1er décembre

Avec plusieurs camarades, nous avons à nouveau participé à la manifestation parisienne des gilets jaunes aux Champs Elysées ou plutôt tout autour comme l'avenue était transformée bunker. Nous nous sommes d'abord rendu place de l'Etoile vers 15 h avec nos gilets syndicaux, qui ont provoqué moins de réactions que la semaine dernière et toujours positives. Nous avons croisé un groupe d'une dizaine de fafs qui faisait les kékés devant l'Arc de Triomphe (le ménage commence d'ailleurs à être fait dans les cortèges, une excellente chose) avant que la place ne soit à nouveau dégagée par les CRS puis remonter sur le côté par Saint Philippe du Roule jusqu'à pouvoir arriver derrière la galerie du Claridge.

Nous avons vite compris, au vu des traces des affrontements et des manifestant-es croisés, dispersés par petits groupes et désormais équipés comme il faut pour tenir face aux gaz, que nous allions vivre une journée différente et plus intense que la précédente : on peut dire qu'on est passé d'une manifestation qui dégénère samedi dernier suite aux charges de la police à une émeute populaire. En effet, la nouveauté de cette journée, c'est que la casse n'était pas en "marge" de la manifestation ou le fait d'une minorité comme veut le faire croire les médias, mais que les participant-es étaient venus, à des degrés divers, pour en découdre après la fin de non-recevoir de Macron ne serait-ce que de geler la taxe par laquelle tout a commencé (le nombre de grenades utilisées et d'inculpés comme leur profil sont à cet égard instructif). Nous sommes ensuite remontés jusque Madeleine puis Opéra et la place de la Concorde, bunkerisée là-aussi, pour finir à l'entrée de la rue du Faubourg Saint Honoré, protégée bien sûr, avec une foule d'une centaines de jeunes sur fond de musique techno avant de se faire courser par la BAC vers Haussmann et d'assister à des attaques de banques et du commissariat du 8ème par des manifestant-es tout droit sortis du cortège de tête de 2016.

Le fait que des épisodes similaires ont eu lieu dans une dizaine de villes en région explique pourquoi le pouvoir est en mode panique et s'apprête à répondre par une répression massive : maintenant que Macron a perdu la bataille de l'opinion, son propre camp est en train de le lâcher et le patronat s'inquiète des pertes consécutives à ce mouvement, encore plus à l’approche des fêtes. Il ne va plus lui rester que la police, largement acquise à l'extrême-droite, elle qui voulait justement prendre la tête du mouvement. Avec l'entrée massive des lycéen-nes dans la lutte vendredi dernier, c'est à dire des enfants de ceux qui portent ou non des gilets jaunes, la mobilisation va se massifier et s'homogénéiser, à la fois dans ses méthodes (les blocages, y compris par la grève alors que les rapprochements entre gilets jaunes et rouges se multiplient) et ses objectifs (imposer la justice sociale) : si Macron se cabre, le mot d'ordre de sa démission deviendra un préalable ce que François Ruffin a parfaitement saisi et c'est la répression qui vient qui finira de faire tomber les barrières entre manifestants. Mai 68 passera alors pour un aimable pique-nique, y compris parce que il n'y a plus la CGT et le PCF pour encadrer la classe ouvrière comme à l'époque.

Pour que cette colère populaire s'étende et gagne, le mouvement ouvrier, qui pense que la solution n'est pas électorale (souvenons-nous là aussi des élections de juin 1968), doit la faire rentrer dans les entreprises, en particulier en exigeant l'augmentation immédiate des salaires. Après avoir manifesté de la défiance puis de la sympathie pour ce mouvement, il faut s'y impliquer, à commencer par cesser de s'en distinguer comme à Paris où la traditionnelle manifestation de la CGT n'a compté elle que 5.000 personnes.

ACTE IV – samedi 8 décembre

Nous, gilets roses (c'est comme ça qu'on nous surnomme), avons participé deux fois plus nombreux à la troisième manifestation des gilets jaunes. Après avoir déjoué les fouilles, nous nous sommes retrouvés à Saint Lazare où plusieurs milliers de personnes, à l'appel entre autre de l'Intergares, des postiers du 92, du comité Vérité pour Adama, du NPA, de Solidaires etc. ont participé à un cortège anticapitaliste qui a été ensuite violemment dispersé pour éviter la jonction avec les gilets jaunes.

Le gouvernement a doublement perdu son pari sécuritaire :

- en restreignant la circulation des métros, en procédant à un nombre record d'interpellations y compris pour les motifs les plus grotesques et en mobilisant toutes les forces (dont les chars, les chiens et les chevaux !), le nombre de manifestant-es était identique au précédent samedi,
- pire, en rendant de nouveau les Champs Elysées, désert comme un grand nombre de commerces parisiens, accessible aux gilets jaunes pacifiques pour faire croire que le droit de manifestation est respecté, il a étendu les affrontements de trois à sept arrondissements parisiens.

Fait remarquable, non seulement la situation a été tout aussi explosive dans plusieurs villes de régions mais les manifestations Climat, là où elles existaient, ont aussi fait le plein et la jonction avec les gilets jaunes. Plus encore, il perd la tête en versant dans le complotisme : arrestation de Julien Coupat, du groupe dit de Tarnac et inspirateur du livre " L'insurrection qui vient ", enquête de la sécurité intérieure pour sédition à l’encontre du député François Ruffin et contre la Russie soupçonnée d'alimenter la révolte par les réseaux sociaux.

Nous avons pu avancer jusqu'à l'avenue de Friedland, où une barricade enflammée a été érigée, puis Saint Augustin, le tout dans un Paris sans voiture, et la gare Saint Lazare, cernée par des casseurs et des pilleurs à la tombée de la nuit, pour se rendre ensuite en métro à République. En voiture, un groupe de manifestant-es reprenait, outre la Marseillaise, " On veut le beurre, l'argent du beurre, la boulangerie et la crémière ! " Nous avons partagé nos chants inventés la semaine dernière et repris l'Internationale. La place de la République avait elle un air de Nuit Debout, même pire quand l'hélicoptère passait au-dessus avec son projecteur qui déchirait l'obscurité à travers le gaz des grenades qui descendait jusqu'en station...

Nous serons évidement là samedi prochain car ça n'est pas les annonces de Macron ce lundi qui vont changer la donne : en effet, sa ministre du Travail vient déjà d'annoncer que le SMIC, un socle répandu dans nos professions, ne serait pas revalorisé en dehors de l'indice légal. Aussi, nous appelons d'or et déjà à faire grève vendredi 14 décembre, jour où cette décision doit être entérinée et déjà retenu comme date de mobilisation par la CGT. Nous couvrons aussi par un appel les salarié-es de nos secteurs qui souhaiteraient à nouveau se rendre aux manifestations samedi 15 décembre.

 ACTE V – samedi 15 décembre

Pour l'acte V parisien des gilets jaunes, la gauche de gauche, si on peut le résumer ainsi, avait donné rendez-vous à 10 h à Saint Lazare alors qu'un nombre record de stations de métro était fermé : nous nous y sommes retrouvés à plusieurs milliers, davantage que samedi dernier, mais dans une nasse géante tout comme les gilets jaunes d'ailleurs rassemblés eux à Opéra et rejoints par la CGT.

Après avoir piétiné pendant plus de deux heures, nous avons pu sortir par la gare Saint Lazare, dont tous les commerces étaient fermés, pour nous rendre à une cinquantaine de militant-es CNT et Solidaires à République en manifestant sur la chaussée tout en entonnant des chants révolutionnaires et ce sans être entravé le moins du monde par la police, fort discrète par ailleurs. A République, nous étions à nouveau nombreux et avons pu partir en manifestation vers Châtelet avant que les CRS ne bouclent tous les accès de la place. Menés par le service d'ordre du NPA et de Solidaires, nous avons fait la jonction avec un important groupe de gilets jaunes expulsé d'Opéra.

 Nous avons réussi à rejoindre la Concorde, une belle revanche sur la matinée gâchée, avant que le cortège ne se disperse et parte pour partie en manifestation sauvage (derrière le drapeau rouge, mazette !) jusqu’aux Tuileries. La manifestation en question, qui mêlait militant-es d’extrême-gauche et gilets jaunes, a joué pendant près de deux heures au chat et à la souris avec la police et même provoquer la fermeture des grilles des grands magasins.

Le trait marquant de ce nouvel acte, outre le nombre de manifestant-es en baisse sur Paris, c'est peu d'affrontements, hormis aux Champs Elysées, et encore moins de casse mais qui pour autant pèse énormément sur l'économie. Le mouvement est semble t'il revenu à ses sources suite au dispositif démesuré de maintien de l'ordre dans la capitale donc ceux qui concluent à son essoufflement ferait mieux de se méfier.

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