Leur faute ? Donner tout simplement régulièrement les invendus alimentaires destinés à la benne à des Sans Domicile Fixe qui y ont élus domicile.
Rappelons, pour commencer que, en cas de licenciement pour faute grave, « il appartient à l'employeur qui invoque la faute grave d'en rapporter la preuve » (cass. soc. du 8 janvier 1998, n° 95-41.462). Également l’importance du règlement intérieur applicable dans l’entreprise, brandi dans le cas présent par l’employeur pour justifier de sa décision, en regard de la notion d’usage, les salariés licenciés mettant eux en avant pour leur défense la parfaite connaissance par leur hiérarchie de leurs agissements répétés. De même, par rapport à celle de vol, en application de l’article 311-1 du Code pénal qui le définit comme « la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui » : dès lors, où se situe l’intention frauduleuse ?
Au travers de cette actualité qui prend un tour nouveau avec la manifestation de solidarité à l’égard des salariés licenciés organisée par la CGT des Bouches-du-Rhône le 25 avril dernier sur le lieu même de leur travail pour exiger leur réintégration dans l’entreprise (lire ici et là), c’est un débat ancien qui ressurgit qu’avait résumé, en son temps, un jeune et fougueux journaliste dans sa série d’articles consacrée à la répression des voleurs de bois dans sa Rhénanie natale. Résumons-les : le pouvoir local décide de punir sévèrement le fait de ramasser du bois mort dans les forêts domaniales par de pauvres hères, bien contents de pouvoir ainsi trouver gratuitement de quoi se chauffer, une stigmatisation des pauvres non seulement intolérable mais inintelligible au regard du droit pour le journaliste, par ailleurs ancien étudiant dans cette matière.
La réflexion de Karl Marx, comme il s’agit de lui, éclaire de manière si limpide le présent débat que nous n’hésitons pas à en reproduire le large extrait qui suit : « C'est pourquoi nous soulignerons d'abord la différence et, si l'on doit admettre que le fait est différent de par sa nature, on ne peut pratiquement pas prétendre qu'il soit le même sur le plan légal.
Pour s'approprier du bois vert, il faut l'arracher avec violence de son support organique. Cet attentat manifeste contre l’arbre, et à travers l'arbre, est aussi un attentat manifeste contre le propriétaire de l'arbre. De plus, si du bois coupé est dérobé à un tiers, ce bois est un produit du propriétaire. Le bois coupé est déjà du bois façonné. Le lien artificiel remplace le lien naturel de propriété. Donc, qui dérobe du bois coupé dérobe de la propriété.
Par contre, s'il s'agit de ramilles, rien n'est soustrait à la propriété. On sépare de la propriété ce qui en est déjà séparé. Le voleur de bois porte de sa propre autorité un jugement contre la propriété. Le ramasseur de ramilles se contente d'exécuter un jugement, celui que la nature même de la propriété a rendu : vous ne possédez que l'arbre, mais l'arbre ne possède plus les branchages en question.
Ramassage de ramilles et vol de bois sont donc deux choses essentiellement différentes. L'objet est différent, l'action se rapportant à l'objet ne l'est pas moins, l'intention doit donc l'être aussi. Car, quel autre critère objectif devrions-nous appliquer à l'intention, si ce n'est le contenu de l'action et la forme de l'action ? Et, faisant fi de cette différence essentielle, vous appelez les deux actions vol et les punissez toutes deux en tant que tel. Bien mieux, vous punissez le ramassage de ramilles plus sévèrement que le vol de bois, puisque le fait de le considérer comme vol est déjà une punition en soi, une punition que vous épargnerez de toute évidence au vol de bois. »
On peut certes comprendre au plan strictement intellectuel que l’entraide, à moins de travailler aux Restos du Cœur, n’est pas compatible avec la promotion des intérêts marchands d’une société commerciale. Cependant, l’entreprise sera aussi bien à la peine de justifier d’un quelconque préjudice financier vis-à-vis de marchandises destinées à la destruction d’autant qu’elles n’ont pas fait l’objet de spéculation ultérieure de la part des glaneurs, voir même du risque sanitaire inhérent au fait de les donner qui peut exposer la société à des poursuites en cas de désagréments occasionnées à ceux qui les ont volontiers dégustés. Mieux, elle ferait mieux de se soucier de son préjudice d’image que son management pour le moins strict occasionne alors que les réactions outrées se multiplient (lire ici et là).
La production, à cet effet, de l’arrêt de la chambre criminelle – et non sociale - de la Cour de cassation du 15 décembre 2015, n° 14-84.906 ne manquera pas d’éclairer le débat judiciaire à venir devant les Prud’hommes que les salariés ont annoncés saisir en ce qu’il énonce, dans une situation manifestement analogue, ceci : « Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’il résulte des énonciations de l’arrêt que, d’une part, il était constant que les objets soustraits, devenus impropres à la commercialisation, avaient été retirés de la vente et mis à la poubelle dans l’attente de leur destruction, de sorte que l’entreprise avait clairement manifesté son intention de les abandonner, d’autre part, le règlement intérieur interdisant à la salariée de les appréhender répondait à un autre objectif que la préservation des droits du propriétaire légitime, s’agissant du respect par celui-ci des prescriptions d’ordre purement sanitaire de l’article R. 112-25, alors applicable, du code de la consommation, et était sans incidence sur la nature réelle de ces biens, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. »
Pourquoi ne pas également mobiliser la Fraternité, principe républicain gravé y compris au fronton de nos institutions et consacré par par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2018-717/718 du 6 juillet 2018, suite à une Question Prioritaire de Constitutionnalité consécutive à la condamnation d’un fermier des Alpes-Maritimes poursuivi, tel un vulgaire passeur, pour avoir apporter son aide en transportant, hébergeant et nourrissant des personnes en situation irrégulière qui ont passé clandestinement la frontière franco-italienne.
Enfin, les commandements bibliques précisent certes « Tu ne déroberas point » mais aussi « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », incarné par la figure du Bon Samaritain. Le Droit n’est-il pas après tout une forme de morale cristallisée et partagée par tous ?

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