Il faut saluer le travail que font les animateurs du site « Game, Set and Talk », site qui anime une chaîne Youtube dédiée au tennis. Car s’ils sont passionnés par ce sport – tout autant que je le suis-, ils ne perdent pas de vue que le sport est une activité majeure dans la vie de la Cité, et qu’il est utile de décrypter les enjeux politiques ou sociétaux qui gravitent autour de toute activité sportive. En bref, ils n’oublient pas qu’un passionné de tennis est aussi un citoyen, et qu’il est précieux de parler des deux facettes : dans le cas présent, parler du tennis, satisfaire la curiosité de ceux qui sont passionnés par ce sport ; mais tout autant décrypter l’écosystème politico-financier dans lequel ce sport évolue.
Un jeune journaliste de ce site, Maxime Tallant, m’a donc demandé d’avoir un échange vidéo avec lui pour présenter mes enquêtes récentes sur la tourmente judiciaire que traverse actuellement la Fédération française de tennis (FFT). Je l’ai fait avec plaisir. On pourra donc visionner ci-dessous cette vidéo, réalisée le 30 avril, et mise en ligne le lendemain sur la chaine Youtube de « Game, Set and Talk ».
Dans cet entretien, je présente donc le détail de la plainte que j’ai révélée et qui a été déposée auprès du parquet national financier (PNF) par sept dirigeants et anciens dirigeants de la FFT, des chefs de détournement des billets de Roland-Garros et de corruption, visant plusieurs dirigeants actuels de la FFT, dont son président, Gilles Moretton, et plusieurs de ses proches. J’y présente aussi le détail du signalement, que j’ai également révélé, auprès du PNF, que l’association Anticor a effectué quelques jours plus tard, en retenant contre ces dirigeants de la FFT les mêmes griefs.
Dans le cadre du même entretien, je m’applique aussi à décrypter le système de défense choisi par Gilles Moretton et son conseil, Me Alain Jakubowicz, à la faveur d’un long entretien que l'avocat a eu avec le journal Ouest-France.
Dans cet entretien, l’avocat cherche à accréditer l’idée que toutes ces affaires ne seraient qu’une vengeance de l’ancien président de la FFT, Bernard Giudicelli. Il ne dit pas explicitement que ce dernier a instrumentalisé la presse, et notamment Mediapart, mais c’est tout comme : « Aujourd’hui, fait-il valoir, on vient nous dire qu’on a fait des détournements alors qu’on a utilisé le contrat type de la FFT… C’est ahurissant ! Tout ça, M. Giudicelli en a fait des choux gras pendant la campagne électorale et, comme par hasard, ça ressort à quelques semaines de Roland-Garros. C’est une pantalonnade ! C’est proprement scandaleux. Les gens qui ont commis cela auront à en rendre compte devant la justice. Cette instrumentalisation n’est pas seulement dégueulasse, elle est ignoble. On veut jeter l’opprobre sur Gilles Moretton. »
Mais l’idée d’une instrumentalisation organisée par l’ancien président de la FFT est évidemment cocasse, puisque Mediapart a mené de longues enquêtes, sous les présidences précédentes, sur d’autres pratiques de détournement de billets de Roland-Garros.

Comme je l’évoque aussi lors de mon entretien avec Maxime Tallant, ce système de défense choisi par Gilles Moretton a aussi fait réagir, l’avocat des plaignants, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, qui m’a fait ces commentaires : « Je ne répondrai pas aux propos de mon confrère Jakubowicz publié par Ouest-France ce 27 avril, il contient des erreurs grossières mais mon confrère n’a ni la plainte ni les pièces annexées dont l’examen est réservé au procureur de la république saisi. En revanche je trouve navrant que M. Moretton ait laissé écrire et répété que la plainte de mes clients serait dirigée contre la Fédération Française de Tennis alors que c’est exactement le contraire de la vérité : mes clients ont agi en leurs noms mais pour le compte de la Fédération, laquelle est la victime des agissements dénoncés ce qui va la conduire à se constituer partie civile dans ce dossier. Plus désolant encore, l’équipe de monsieur Moretton a utilisé les moyens techniques et les personnels de la Fédération, pour diffuser à tous les délégués électeurs et beaucoup d’adhérents un texte re-mis en page de la ”plaidoirie” de son avocat dans Ouest-France, agrémenté de jolis portraits photographiques. Ceci aux seuls frais de la Fédération. » Voici le document auquel fait allusion l'avocat, tel qu'il a été diffusé largement par la direction de la FFT.
Dans cet entretien, je pointe aussi le fait que Me Jakubowicz use d’un étrange argument pour défendre son client et ses proches de l’un des griefs détaillés dans la plainte des dirigeants et ex-dirigeants de la FFT et dans le signalement d’Anticor. Dans les deux procédures, les plaignants relèvent en effet que l’accession de Gilles Moretton à la présidence de la FFT a été grandement facilitée par Hugues Cavallin (ancien homme fort du Comité de Paris) et Jean-Luc Barrière (président de ce même comité), qui ont changé de camp en dernière minute et se sont ralliés à la candidature de Gilles Moretton, assurant ainsi sa victoire. Puis, les deux transfuges ont été promus : le premier a été nommé directeur de cabinet de Gilles Moretton, et le second trésorier de la FFT. Et enfin, dès le lendemain de la victoire de Moretton, le comité exécutif de la FFT a, par un vote, décidé d’annuler la saisine du comité des litiges de la FFT, qui devait faire le jour sur cette affaire d'éventuels détournements de billets, menaçant potentiellement les trois récents alliés.
Pour Me Jakubowicz, cet enchaînement des faits pointé par les plaignants a ni queue ni tête. « On est dans un délire le plus complet, c’est une série Netflix leur truc », s’offusque-t-il. Et il ajoute : « Lorsque des politiques issus d’une autre famille que celle du président sont “remerciés“ de leur soutien en devenant ministres, est-ce de la corruption ? C’est absurde. ». Mais on comprend sans peine que s’il faut filer cette comparaison, l’avocat s’arrête en chemin dans sa démonstration, ce qui lui permet d’éluder la question principale : que faudrait-il penser d’un président de la République fraîchement élu qui choisit comme ministre deux personnalités qui se sont ralliées à sa cause en cours de campagne, puis qui contribue à suspendre une procédure judiciaire qui pourrait éventuellement les rattraper tous les trois ?
Car c’est bien ce que suggèrent les plaignants, qui évoquent un possible « pacte corruptif ». Si le parquet national financier décide d’ouvrir une enquête préliminaire, c’est en tout cas la question principale qu’il devra trancher : ce soupçon est-il ou non justifié ? Pour mémoire, lors de ma première enquête révélant la plainte, j'avais recueilli la version des principales personnalités concernées par l'affaire : toutes leurs observations, dont celles de Gilles Moretton et de Hugues Cavallin, peuvent être consultées ici.
Dans le fil de cet entretien vidéo, j’analyse aussi le comportement d’Amélie Oudéa-Castéra qui, élue sur la liste de Gilles Moretton à la FFT, participe à ce premier comité exécutif qui suspend les procédures lancées pour faire le jour sur les possibles irrégularités. Ce qui est un boulet que traîne désormais celle qui est devenue ministre des sports.
Cet entretien avec « Game, Set and Talk » a donc été l’occasion pour moi de présenter mes enquêtes et de décrypter les débats qu’ils ont suscités. Auparavant, le 18 février, le même site m’avait proposé un premier entretien, que l’on peut visionner ci-dessous :
Dans ce premier entretien vidéo, je rendais compte de mes enquêtes précédentes révélant la gestion sociale pour le moins controversée conduite au sein de la FFT par Gilles Moretton, gestion qui a déclenché sur la fédération un véritable tsunami social. Et je donnais des détails sur mon enquête levant le voile sur l’indécente rémunération de près de 36 000 euros nets par mois concédée par Gilles Moretton à Amélie Oudéa-Castéra, du temps où elle était directrice générale de la FFT.
En deux vidéos, je pense que l’on peut donc prendre la mesure de la gravité des turbulences que traverse la FFT. Ce qui, je l’espère, devrait susciter un débat sur les moyens de contenir ces dérives, et de refonder cette grande fédération qui est supposée assumer des missions d’intérêt général.