En ces temps de joute présidentielle, il arrive au journal Le Monde de ne guère se montrer exigeant ni trop regardant et de publier en « point de vue » des textes qui s’apparentent à de simples tracts et non à des invitations à la réflexion. Et même des textes qui biaisent avec l’identité réelle de leurs auteurs et qui semblent n’avoir qu’une seule source d’inspiration, celle de la mauvaise foi.
En faut-il une illustration, on la trouve dans ce point de vue que Le Monde vient de publier sous le titre : « Economistes, sans parti pris idéologique, nous soutenons Nicolas Sarkozy ». L’énoncé se suffit à lui-même : en le lisant, on devine que le texte qui suit est à l'avenant et de basse facture. Sans trop de surprise, le texte ne fait en effet qu’enfiler des platitudes pas franchement progressistes. A croire que les signataires ne sont pas des savants ni même de simples universitaires, mais des responsables pas trop subtils de l’UMP. « Depuis 2007, grâce à Nicolas Sarkozy et François Fillon, la réforme a cessé d'être un slogan vide comme elle l'a été trop longtemps par le passé », lit-on ainsi au début. Et en conclusion, on a droit à cette envolée du même acabit : « Ni de droite ni de gauche, la science économique aide à délibérer les choix, et elle a informé le nôtre : des deux candidats, Nicolas Sarkozy nous semble le mieux capable de prendre l'avenir à bras-le-corps ».
Ni de droite, ni de gauche ! Le texte est donc sous-tendue par la petite musique réactionnaire de l’apolitisme. Mais la petite musique ne trompe personne. Cet apolitisme-là –comme il l’est toujours- est très engagé à droite, fortement conservateur. C’est si vrai que Le Monde ne prend pas même le soin de préciser quelle est la véritable identité du premier des signataires dont le nom apparaît sous ce texte. On peut juste lire ceci : « Bernard Belloc, Université Toulouse I ». Suivent ensuite d’autres noms d’économistes, tous engagés à droite…
Ni de gauche, ni de droite ! Sans parti pris idéologique ! Il faut tout de même être sacrément gonflé pour écrire une chose pareille lorsque l’on s’appelle Bernard Belloc. Car l’intéressé peut tout de même difficilement espérer que l’on ignore quelles sont ses véritables occupations depuis juin 2007 : comme on peut le vérifier sur le site Internet de l’Elysée, il est membre du cabinet de Nicolas Sarkozy, avec le titre de « conseiller enseignement supérieur et recherche ». Mediapart avait d’ailleurs chroniqué les activités de ce Bernard Belloc en racontant par exemple le rôle qu’il avait joué dans le projet d’organisation secrète d’un examen de nuit pour des étudiants juifs pratiquants voulant passer des concours aux grandes écoles d’ingénieurs, en violation des règles de la laïcité (Lire Laïcité : le directeur de Centrale avait mis en garde l’Elysée)
Et Le Monde, sans barguigner, trompe ses lecteurs, sans les mettre en garde sur cette misérable petite mise en scène.
Il faut dire que le journal avait sans doute quelque chose à se faire pardonner. Car le 17 avril, il avait publié un appel symétrique en faveur de François Hollande : « Nous économistes, soutenons Hollande ». Et ce premier appel était tout aussi cocasse – ou de mauvaise foi- que le suivant. Car si, dans le lot des signataires, on trouvait des universitaires de renom et de talent, on y relevait aussi le nom de la plupart des « Imposteurs de l’économie » dont je décortique dans mon livre les liens, plus ou moins cachés, avec les grandes banques ou compagnies d’assurance françaises. On y retrouvait même, comme toujours aux avant-postes de la mauvaise foi, le président du Cercle des économistes, Jean-Hervé Lorenzi, dont je raconte le parcours sinueux dans mon livre. Alors qu’en 2007, il a aussi appelé publiquement à voter pour la gauche, en clair pour Ségolène Royal, cela ne l’avait pas empêché quelques mois auparavant de siéger dans un groupe secret, avec notamment Henri de Castries, pour élaborer le volet économique du programme de... Nicolas Sarkozy (Lire Les agents doubles de la pensée unique)
Selon Le Figaro, la nouvelle prise de position de Jean-Hervé Lorenzi en faveur de Hollande aurait suscité des remous au sein de la très mondaine association du Cercle des économistes. Mais des remous sans doute limités. Car c’est aussi ce que révèlent ces histoires de pétition, pour un bord ou pour l’autre : le débat sur la déontologie des économistes n'en est visiblement qu'à ses débuts.