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Billet de blog 2 décembre 2008

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Partie de cache-cache avec Dédé-la-Sardine

C'est l'ordinaire d'un journaliste qui conduit une enquête: il raconte ce qu'il a trouvé, les informations qu'il est parvenu à mettre au jour ; et, pour ne pas encombrer le lecteur de détails inutiles, il ne fait pas mention des recherches infructueuses, des intuitions qu'il n'est pas parvenu à vérifier.

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C'est l'ordinaire d'un journaliste qui conduit une enquête: il raconte ce qu'il a trouvé, les informations qu'il est parvenu à mettre au jour ; et, pour ne pas encombrer le lecteur de détails inutiles, il ne fait pas mention des recherches infructueuses, des intuitions qu'il n'est pas parvenu à vérifier.

Pour une fois, peut-être puis-je faire une exception. Car, pour être infructueuse, mes tentatives pour rencontrer André Guelfi complètent l'histoire que je me suis appliqué à raconter par le menu sur Mediapart d'abord, dans mon livre Sous le Tapie (Stock, novembre 2008) ensuite, celle de l'affaire Tapie.

André Gulefi, alias Dédé la Sardine, est-il besoin de le rappeler, c'est l'un des condamnés vedettes du procès Elf, dont Bernard Tapie a fait la connaissance à la prison de la Santé, lors du printemps 1997. Pris dans les turbulences de cette affaire Elf, André Guelfi y est en détention préventive pendant l'instruction ; et Bernard Tapie a été envoyé dans la même maison d'arrêt dans le cadre de l'instruction judiciaire sur le match truqué de football Valenciennes/Olympique de Marseille.

Or, on le sait, je l'ai raconté sur Mediapart (voir l'article: Le mystérieux contrat avec Dédé la Sardine) et beaucoup plus longuement dans le livre, de cette proximité carcérale va naître une grande amitié. Plus que cela ! Comme le racontera lui-même ultérieurement, Dédé la Sardine - dans sa jeunesse, il a possédé des bateaux-usines opérant au large de la Mauritanie, d'où ce sobriquet - il passera un contrat - un «petit papier» selon son expression - au terme duquel il est convenu ce qui suit : André Guelfi s'engage à associer Bernard Tapie à ses activités d'intermédiaires dans les anciens pays du bloc soviétique, en retour de quoi Bernard Tapie offrira à son ami André Guelfi la moitié de ce qu'il gagnera s'il sort victorieux du procès Adidas. «Ce qu'on s'était dit, c'est que la moitié de ce que je gagnais était pour lui, et qu'en échange, la moitié de ce qu'il récupérerait du Crédit lyonnais serait pour moi», a un jour admis André Guelfi.

Depuis que j'ai découvert ce pacte, je n'ai donc qu'une envie : trouver si l'accord entre les deux amis a été respecté. Dans le livre, j'apporte donc une partie de la réponse. André Guelfi a bel et bien tenu parole puisque l'on trouve assez facilement trace qu'il a fait travailler Bernard Tapie dans les anciens pays de l'Est. Mais, en retour, Bernard Tapie va-t-il offrir la moitié des quelque 132 millions d'euros qu'il va percevoir en net, maintenant qu'un tribunal privé lui a alloué cette somme ? En clair, l'un des condamnés vedettes du procès Elf va-t-il percevoir quelque 66 millions d'euros, prélevés sur fonds publics ? On comprendra que pour tenter de vérifier cette information pour le moins importante, je n'ai pas compté mes efforts.

Des semaines durant, j'ai donc cherché à joindre André Guelfi, pour lui donner la parole. Au début, j'ai respecté les usages : je suis passé par ses avocats - il en a plusieurs, le diable! et comme on ne sait jamais lequel a la main, on tâtonne forcément. Ecrivant mon livre, j'ai d'autant plus tâtonné qu'aucun de ses avocats n'a jugé utile de me prendre au téléphone. J'ai donc laissé des messages sur des boites vocales. Sans jamais obtenir la moindre réponse.

Une fois mon livre publié, j'ai donc poursuivi ma quête. Et enfin, j'ai pensé que j'allais toucher au but. Car un confrère m'a transmis les numéros de téléphone par lesquels on peut habituellement joindre André Guelfi : le numéro d'un téléphone fixe à Malte, son lieu de résidence habituel; le numéro d'un téléphone portable également à Malte; le numéro d'un téléphone portable en France; et le numéro de téléphone portable de son gendre en France.

Des jours durant, j'ai donc téléphoné. Espérant entendre la voix de Dédé La Sardine. En vain ! Appelant sans cesse ces quatre numéros, je ne suis tombé que sur des boîtes vocales. Où j'ai laissé de nombreux messages.

Et puis finalement, bonheur des bonheurs, j'ai cru que je touchais au but. Vendredi 28 novembre, mon téléphone a sonné :

- « Allo, c'est André Guelfi...

- Ah, Monsieur Guelfi, je suis heureux de vous entendre ! Cela fait des semaines que je cherche à vous joindre, parce que...

- Attendez ! Vous voulez du spectacle ! Eh bien lundi, vous en aurez... Là, je suis à l'étranger, mais lundi je serai à Paris et vous..

Mais soudainement - manque de chance ! - la ligne a coupé. Pas grave, me suis-je dit, André Guelfi va rappeler. Eh bien, non ! André Guelfi n'a pas rappelé ! Sans me décourager, j'ai donc recommencé à rappeler André Guelfi. Sur ses quatre numéros. Sans plus de succès qu'avant...

En désespoir de cause, je me suis donc pris à penser que le mieux était de trouver pour quelle bonne raison André Guelfi venait à Paris et pourquoi il m'avait promis du «spectacle». Bonne pioche ! J'ai rapidement découvert que dans le cadre d'une nouvelle et ténébreuse affaire opposant André Guelfi à la société Elf (absorbée depuis par Total), une énième audience devait avoir lieu ce lundi 1er décembre devant le tribunal de commerce.

Lundi, une bonne demi-heure avant l'audience, je suis donc dans un café voisin du tribunal de commerce. Et là, qui vois-je arriver, flanqué de deux dames que je ne connais pas ? André Guelfi, un peu vouté, marchant à touts petits pas hésitants - le fameux intermédiaire, amis de nombreux oligarques russes, va sur ses 90 ans.

Tout de suite, je me précipite donc vers sa table.

- « Monsieur Gulelfi, je suis Laurent Mauduit...
- Non, non, non...

- Attendez, j'aimerais juste vous rencontrer pour...
- Non, non, non...
- Mais alors, quand puis-je vous voir ?
- Demain après-midi. Je vous appelle... »

Et mon interlocuteur s'est alors détourné, me signifiant ostensiblement qu'il ne voulait décidément pas me parler.

Que faire ? Naturellement, je me suis rendu à quelques pas de là, assister à l'audience du tribunal de commerce, pensant qu'André Guelfi y viendrait aussi et que j'aurais peut-être une autre occasion de lui parler. Et puis j'étais curieux de voir quel était ce «spectacle» qu'il m'avait annoncé.

Mais de spectacle, il n'y a, en fait, pas eu. André Guelfi m'a certes rejoint, quelques temps plus tard, s'asseyant dans la travée du fond du tribunal, flanqué toujours de ces mêmes deux dames. Mais ensuite, il est resté silencieux. Car le héros du jour, pour une fois, ce n'était pas lui, mais une dénommée Geneviève Gomez, ancienne collaboratrice de Philippe Jaffré (l'ex-PDG d'Elf, aujourd'hui décédé).

Ténébreuse histoire, en effet ! Intermédiaire très introduit dans les anciens pays de l'Est, André Guelfi a beaucoup usé de son carnet d'adresses, pour Elf, à la demande du patron précédent, Loïk Le Floch Prigent. C'est d'ailleurs ce qui conduira André Guelfi dans les turbulences judiciaires de l'affaire : suspecté par la police d'avoir empoché quelque 50 millions de francs de commission dans un contrat pétrolier ouzbek, il est mis en examen en mars 1997 pour recel d'abus de bien sociaux, et aussitôt placé en détention provisoire à la prison de la Santé. Puis, il sera définitivement condamné le 31 janvier 2006 à trois ans d'emprisonnement dont 18 mois fermes et 1,5 million d'euros d'amendes.

Mais André Guelfi est homme tenace. Ayant joué le rôle d'intermédiaire pour Elf, toujours du temps de Loïk Le Floch Prigent, dans un autre contrat, il a engagé une procédure contre l'ex-compagnie pour recouvrer sa commission, que Philippe Jaffré a ultérieurement refusé de lui verser, le contrat n'ayant pas été exécuté. Ténébreuse affaire, mais portant sur des montants considérables, puisque, au fil des ans, les sommes exigées par André Guelfi sont passées de quelque 80 millions de dollars à désormais plusieurs milliards.

Plus ténébreuse encore qu'il n'y paraît puisque Geneviève Gomez, qui est la sœur d'Alain, l'ancien patron (chevènementiste) de Thomson, a au cours des ans changé de camp. A l'origine de certaines révélations qui, au début des années 1990, ont conduit à la découverte du scandale Elf, ce qui a conduit André Guelfi en prison, elle s'est rapproché récemment du même André Guelfi.

C'est donc ce qui a conduit à un nouvel imbroglio judiciaire. Se disant indigné de certaines conclusions de l'avocat d'Elf, Me Emmanuel Rosenfeld, soulignant que Geneviève Gomez avait profité du décès de Philippe Jaffré pour tourner casaque et rallier le camp d'André Guelfi, elle a porté plainte en diffamation.
C'est cette affaire dans l'affaire qui était jugée devant le tribunal de commerce, ce lundi. Silencieux, André Guelfi a donc écouté toutes les plaidoiries. Celle du conseil de Madame Gomez, soulignant que «le droit de la défense peut dégénérer en abus». Comme celle de Me Rosenfeld, dénonçant la «tactique de snipper» de la meme Geneviève Gomez (absente à l'audience) : «Elle tire mais ne veut pas que l'on riposte». Le jugement a été mis en délibéré au 12 janvier.

En bref, Andre Guelfi n'a plus eu d'yeux pour moi. Visiblement, il n'avait pour l'heure qu'une seule question en tête : son interminable confrontation judiciaire avec Elf. Et le pactole, rêve-t-il, que cela pourrait peut-être un jour lui rapporter.

Mais l'autre pactole, celui que son très cher ami Bernard Tapie, lui a un jour promis, il ne semblait décidément pas pressé d'en parler...

Tant pis! Je continuerai à chercher. Puisqu'il en va des deniers publics, la quête est d'autant plus importante...