Il est des livres rares dont on ne sait pas bien, de but en blanc, pourquoi on les a aimés : si c’est à cause de l’histoire qu’ils racontent, de la violence des événements qu’ils mettent en scène, du formidable héroïsme dont ils témoignent; ou si c’est à cause de l’auteur qui transparaît, discrètement, en arrière plan du récit, de la part d’humanité si touchante, si chaleureuse, si généreuse, que l’on devine en lui.
Lisant le dernier essai de Pierre-Louis Basse, Gagner à en mourir (avril 2012, Robert Laffont, 145 pages, 14€), j’ai longtemps balancé d’un sentiment à l’autre. Avant d’en venir à cette simple évidence : si ce livre retient si fortement l’attention, c’est pour les deux raisons à la fois. C’est parce qu’il met en scène une histoire terrible et pathétique, comme la barbarie nazie en a tant générée, dont malheureusement toutes ne sont pas connues, ou pas suffisamment. Mais c’est aussi parce que, aussi effacé et élégant qu’il soit, éminemment pudique comme il l’est toujours, Pierre-Louis Basse parle envers et contre tout de lui-même. Par toutes petites touches allusives. Et ce tout petit voile qu’il lève sur lui rend son récit d’autant plus attachant.
L’histoire, donc, Pierre-Louis Basse nous la livre petit à petit. C’est celle d’une équipe ukrainienne de football, celle du FC Start, qui rencontre le 9 août 1942 à Kiev une sélection des meilleurs joueurs de l’Allemagne nazie. Rencontre terrible ! Les joueurs ukrainiens savent par avance que s’ils gagnent la partie, ils en paieront le prix. Et pourtant, ils n’hésitent pas. Plutôt que d’affronter le déshonneur d’une partie truquée, ils décident de jouer normalement. Et de gagner. Au péril de leur vie..
Mais Pierre-Louis Basse, grande figure du journalisme sportif, comme il en existe si peu, passionné par son sport mais tout autant par la politique et l'histoire, est ainsi qu’il est omniprésent dans ce récit même s’il ne se met pas en scène, ou presque pas. La force de l’histoire, c’est qu’elle est contée par un esprit chaleureux et rebelle. D’autant plus chaleureux qu’il est rebelle…
Par toutes petites touches, l’auteur s’éloigne donc par moments de son récit. Pour parler du foot qu’il aime tellement, et de ce que ce sport peut révéler des gens qui le pratiquent ; des quartiers aussi dans lesquels ils vivent. Pour parler aussi de la culture communiste dans laquelle il a baigné, jeune, du fait notamment de sa mère, avant plus tard, d’ouvrir les yeux sur certaines de ses monstruosités.
Alors, pour finir, tout s’entremêle. Gagner à en mourir, c’est une terrible histoire ukrainienne. Mais c’est aussi l’un de ces récits, entre histoire et mémoire, entre résistance et vigilance, où Pierre-Louis
Basse livre, sans trop le dire, avec beaucoup de modestie, beaucoup de lui-même. Beaucoup de son regard sur la vie. Comme il l’avait fait auparavant dans d’autres récits, dans une veine voisine, comme Guy Môquet, une enfance fusillée (Editions Stock, 2000)
Pierre-Louis Basse est ainsi. Fidèle mais rebelle. Chaleureux et résistant. Tour à tour enjoué et grave. Les abonnés de Mediapart ont eu une fois la chance de pouvoir le mesurer. C’était le 16 février dernier lors du débat organisé par Mediapart, au théâtre de la Colline, à Paris, sur la liberté de la presse. L’ami Pierre-Louis avait eu la gentillesse ce jour-là de quitter son refuge breton pour venir nous exposer la révolte qu’il éprouve à observer la dégradation du paysage audiovisuel français.
Oui, Pierre-Louis Basse est ainsi. Réservé, il dit peu de choses de lui. Mais il y a tellement de chaleur en lui, tellement de générosité et tellement d’engagement, qu’il transparaît, même involontairement, dans chacun de ses récits. C’est aussi cela la force de Gagner à en mourir…