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Billet de blog 16 juin 2008

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Le SMS d'Alain Minc

Je le raconte dans la « boite noire » de l'article que je viens de consacrer à Alain Minc : au lendemain de la mise en ligne de cet article, c'est-à-dire, samedi 14 juin en début d'après midi, j'ai reçu un SMS de lui. Sans doute mécontent que je raconte par le menu la réception qu'il a organisée jeudi 12 juin dans les jardins de l'Observatoire de Paris (un peu à la manière d'une autre fête organisée à la fin des années 1990 pour ses cinquante ans) et que je donne la liste, assez révélatrice, de ses invités - tous proches du pouvoir ou figures connues du monde parisien des affaires - il m'a adressé ce message, que j'ai reçu sur mon téléphone : « Vous avez omis dans votre papier de citer une fête précédente au musée Guimet où Edwy Plenel trônait... Un hasard? A. Minc ». Depuis que j'ai écrit un livre sur lui (« Petits Conseils », Stock, mars 2007), c'est la première fois qu'Alain Minc entre en contact avec moi.

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Je le raconte dans la « boite noire » de l'article que je viens de consacrer à Alain Minc : au lendemain de la mise en ligne de cet article, c'est-à-dire, samedi 14 juin en début d'après midi, j'ai reçu un SMS de lui. Sans doute mécontent que je raconte par le menu la réception qu'il a organisée jeudi 12 juin dans les jardins de l'Observatoire de Paris (un peu à la manière d'une autre fête organisée à la fin des années 1990 pour ses cinquante ans) et que je donne la liste, assez révélatrice, de ses invités - tous proches du pouvoir ou figures connues du monde parisien des affaires - il m'a adressé ce message, que j'ai reçu sur mon téléphone : « Vous avez omis dans votre papier de citer une fête précédente au musée Guimet où Edwy Plenel trônait... Un hasard? A. Minc ». Depuis que j'ai écrit un livre sur lui (« Petits Conseils », Stock, mars 2007), c'est la première fois qu'Alain Minc entre en contact avec moi.

J'ai aussitôt répondu à Alain Minc, également par SMS, que j'apporterai naturellement cette précision à mes lecteurs. Voici donc, pardon de me citer, l'ajout que j'ai apporté dans la « boite noire » de cet article : «Renseignement pris auprès d'Edwy Plenel (à l'époque directeur de la rédaction du Monde, aujourd'hui président de Mediapart), une troisième fête a effectivement eu lieu, à laquelle il a été convié. C'était à l'époque, - je m'en explique longuement dans mon livre - , où nous n'avions pas la lucidité, ni Edwy, ni moi-même, ni la collectivité de journalistes du Monde, de mesurer l'erreur collective que nous avions commise en acceptant qu'un personnage comme Minc, compte tenu de son métier d'entremetteur du capitalisme parisien qui était le sien, soit investi d'une responsabilité centrale au sein du journal. Edwy m'a donc confirmé qu'il s'est, à l'époque, rendu à cette invitation. Sans pressentir que le même Alain Minc serait celui qui, quelques temps plus tard, organiserait son éviction; et l'entrée en force de nouveaux investisseurs au sein du capital du journal, de sorte que les journalistes en perdent le contrôle. »

Mais avec le recul, j'avoue que ce SMS m'a plongé dans une perplexité dont je ne suis toujours pas sorti. Car, quand mon livre est sorti, cette confrontation avec Alain Minc, je l'ai souhaitée. M'étant appliqué à écrire sur lui non pas un pamphlet mais un récit, appuyé sur une longue investigation, un récit que j'ai essayé d'établir de la manière la plus rigoureuse qui soit, étayé par des faits incontestables, j'ai des mois durant pensé que, forcément, un jour ou l'autre, nous serions face à face, devant un micro ou devant une caméra. Je l'ai d'autant plus souhaité que j'avais le sentiment, dans ce livre, d'avoir mis à jour des faits peu connus ou inconnus, révélateurs de dysfonctionnements du capitalisme français ; ou de dysfonctionnement de la démocratie et de la presse. Des dérives, aussi, au sein du Monde.

Mais cette confrontation sérieuse, méticuleuse, Alain Minc n'en a jamais voulu. Dans un premier temps, il a menacé mon éditeur d'un procès. Mais comme il a sans doute craint qu'une telle procédure ne se retourne contre lui, il a finalement choisi une autre attitude : l'esquive. Ainsi devions-nous nous retrouver lors de l'émission de Guillaume Durand, sur France 2. L'animateur nous en avait fait la proposition à Alain Minc comme à moi-même. Mais Alain Minc s'est dérobé ; et ma propre invitation n'a pas été maintenue.

Les mois passant, je me suis donc fait une raison. J'ai compris qu'Alain Minc, pourtant si prompt à engager des débats intellectuels, se déroberait en permanence à la confrontation à laquelle mon livre l'invitait. Une confrontation autrement plus périlleuse pour lui. Sur des faits. Sur son rôle au sein du capitalisme parisien. Sur son engagement auprès de Nicolas Sarkozy. Sur les dérives financières et éditoriales du Monde...

Alors, pour le coup, oui, ce SMS m'a interloqué. Lui qui a esquivé tous ces débats ; lui qui a opté pour le silence quand le livre est sorti, pourquoi a-t-il ressenti le besoin de m'interpeller si longtemps plus tard, et par surcroît sur un détail mineur - dont je lui ai au demeurant donné acte immédiatement ? Dans un moment d'énervement ou de colère ? Sûrement...

Il reste sans doute que ce geste inattendu agit comme un révélateur. Depuis qu'il a été déchu de sa responsabilité de président de conseil de surveillance du Monde, Alain Minc a compris que son système d'influence était menacé d'ébranlement sinon même d'écroulement. Après avoir fait adouber son ami Louis Schweitzer à la tête du Monde, il s'est donc replié, si je puis dire, sur son cœur de business : un travail d'influence entre l'Elysée et quelques unes des grandes fortunes françaises. Et à la différence d'un Jean-Marie Messier au tournant des années 2000, il a compris qu'il devait désormais sortir des feux de l'actualité, se montrer plus discret. On a donc deviné son ombre en de nombreuses circonstances : lors de l'annonce par Nicolas Sarkozy de la suppression de la publicité dans l'audiovisuel public - dont le principal client d'Alain Minc, Vincent Bolloré, sera l'un des bénéficiaires ; ou alors lors du vote de l'amendement assouplissant un critère anti-concentration concernant la télévision numérique terrestre ; amendement qui, là encore, devrait faire les affaires du même Vincent Bolloré.

On a deviné la patte d'Alain Minc... mais l'homme s'est fait effectivement très discret. Lui qui adorait faire parler de lui n'a pas été faire le fanfaron sur les plateaux de télévision pour revendiquer la paternité de ces mesures. Et pour cette raison que je viens d'évoquer : Alain Minc a compris que s'il voulait continuer à faire le «go-between » entre son ami Nicolas Sarkozy et quelques uns de ses grands clients, il ne fallait plus que cela se sache. Vieux principe des affaires auquel Alain Minc avait cru pouvoir déroger : « Pour vivre heureux, vivons caché ».

D'où sans doute, cet énervement à la lecture de l'article racontant la fête des Jardins de l'Observatoire. Enervement instructif : le « système Minc » est plus que jamais à l'œuvre, mais il opère désormais dans des conditions renforcées de confidentialité.