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Billet de blog 20 février 2024

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Vous ne me trouverez pas sur Amazon !

Mon livre qui paraît vendredi sous ce titre ne sera effectivement pas distribué par l’oligopole américain, symbole des dérives du capitalisme financiarisé. Il a l’ambition d’alerter sur les dangers qui pèsent sur le livre et sur la presse, pris en tenaille entre les puissances d’argent et les géants du numérique que sont Amazon, Google ou encore Facebook.

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Illustration 1

Au fur et à mesure qu’une poignée de milliardaires ont croqué ces deux dernières décennies les grands titres de la presse nationale et régionale, on a beaucoup parlé des dangers que cette opération de prédation conduite par les puissances d’argent faisait peser sur la liberté de la presse et le droit de savoir des citoyens. Et on a bien compris que ces dangers menaçaient de déstabiliser jusqu’à notre démocratie puisqu’un milliardaire comme Vincent Bolloré n’a pas hésité à transformer les médias dont il a pris le contrôle en chambre d’écho de l’extrême droite, propageant toutes ses idées nauséabondes ou xénophobes. En quelque sorte, nous voici revenu aux années sombres de la presse corrompue de l’entre-deux-guerres, avec par exemple la prise de contrôle du Figaro en 1922 par le parfumeur François Coty, fondateur de la ligue fasciste Solidarité française.

Mais cette attention que beaucoup ont porté à juste titre sur cette mainmise croissante des milliardaires sur la presse a souvent relégué au second plan deux autres réalités tout aussi inquiétantes. La première d’entre elles est que la situation de l’univers de l’édition est strictement identique à celle de la presse. Car le livre, lui aussi, attise la convoitise des milliardaires. Et ce sont souvent les mêmes qui organisent ces autres opérations de prédation, Vincent Bolloré en tête, qui vient de prendre le contrôle de Hachette, le plus grand des groupes de l’édition française. En d’autres termes, ce n’est pas seulement la liberté de la presse qui est en danger ; c’est tout autant la liberté d’opinion, dont le livre est l’un des principaux vecteurs, qui est menacé.

La seconde réalité souvent occultée, c’est que les milliardaires ne sont pas les seuls à faire peser sur la presse et sur l’édition ces extrêmes dangers. Les géants du numérique, que sont Amazon, Google ou encore Facebook, constituent des menaces tout aussi graves pour l’édition et pour la presse. Et de cela, on parle très peu, pour une raison qui coule de source : parce que les grandes maisons d’édition, croquées par les milliardaires, ont fait d’Amazon leur premier distributeur et leur premier libraire, au détriment des libraires indépendants ; parce que presque toute la presse, elle aussi sous le joug des milliardaires, s’est abaissée à pactiser avec Google ou Facebook, au risque d’abimer l’information et de livrer toutes leurs datas aux géants de la publicité sur Internet.

C’est donc l’ambition de ce livre : alerter les citoyens sur cette double menace qui pèsent sur l’édition et sur la presse, prises en tenaille entre les milliardaires et les géants du numérique, et inviter à un débat pour la défense de la presse et de l’édition indépendantes.

Le préambule du livre résume à lui seul l’ambition de ce livre. Le voici :

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                                         Préambule

Aussi controversé qu’il soit, le géant Amazon est devenu en France le premier libraire et le premier distributeur de livres. Si tous les libraires indépendants connaissent les dangers que fait peser cette situation de domination sur l’acquis démocratique majeur que constitue le prix unique du livre et s’ils mènent de très longue date un combat solidaire pour contenir ses avancées, il n’en va pas de même des éditeurs dont beaucoup laissent faire. L’hypocrisie est même encore plus spectaculaire : de nombreux éditeurs de gauche, qui aiment publier des essais présentant les effets ravageurs du capitalisme financiarisé, n’ont aucune gêne à faire distribuer leurs livres par l’un des groupes les plus emblématiques de ce système prédateur.

Les éditeurs qui refusent ce double jeu sont rarissimes. Divergences est l’une des 80 maisons d’édition qui se sont fédérées autour de Hobo Diffusion, une structure de diffusion de livres, DVD et revues en librairies, pour participer à l’appel de novembre 2020 « Nous ne vendrons plus nos livres sur Amazon ».

Comme cet essai, qui prolonge plusieurs de mes enquêtes publiées sur Mediapart, entend lancer l’alerte sur les dangers que les géants du numérique font peser sur la liberté de l’information dont la presse est l’instrument, et sur la liberté d’opinion dont le livre est l’un des principaux vecteurs, il m’a semblé logique qu’il soit publié par les Éditions Divergences dont le fondateur, Johan Badour, a été l’un des rédacteurs de cet appel.

C’est donc de ce partenariat qu’est née l’idée du titre de ce livre : « Vous ne me trouverez pas sur Amazon ! » Car les éditions neuves de cet ouvrage n’y seront effectivement pas distribuées : pour les trouver, il faudra se rendre dans une librairie. Mais ce titre est évidemment une bouteille à la mer. Nous nous prenons à espérer que le message finira par se propager sous des formes diverses, dans les univers du livre et de la presse : «Nous ne pactiserons pas avec Google, pas plus qu’avec Facebook!» C’est en tout cas l’ambition de cet essai : lancer l’alerte et défendre la presse et l’édition indépendantes.

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                                 Pour en débattre

Puisque le but de ce livre est de susciter le débat, je m’appliquerai avec mon éditeur et avec le concours de tous les libraires indépendants, à multiplier les lieux de rencontres et d’échanges.

Pourquoi Le Merle Moqueur ? Parce que je veux rendre hommage à l’un de ces libraires indépendants auquel ce livre est dédié. Parce que la réponse que ce libraire apporte sur son site à cette même question correspond bien aux valeurs du livre: « Pourquoi le Merle Moqueur ? Parce que c’est ainsi que nous envisageons notre métier de libraire, ”en résistance”, comme le dit l’écrivain Alberto Manguel ”au mépris que nous manifestons envers notre prochain, à l’ignorance que nous entretenons quant au monde où nous vivons, à notre refus d’ouvrir les yeux sur les formes secrètes de la beauté, à notre surdité quand s’élève une voix autre et qui narre un récit différent”. » (Postface à « Résistance », Barry Lopez, éditions Actes Sud).

Illustration 2

POST SCRIPTUM

Quelques amis m'alertent: Amazon annonce malgré tout la parution de ce livre, et il est possible de le pré-acheter en ligne sur le site de l'oligopole américain. Il suffit de suivre ce lien pour le vérifier.

Et pourtant, non ! Ce n'est qu'une de ces roueries dont Amazon est coutumier. Car si un lecteur ou une lectrice suit l'invitation et achète le livre,  Amazon leur annoncera le jour de la parution que l'essai est en fait... indisponible ! Et le remboursement n'interviendra que bien plus tard. Amazon... comme une pieuvre !