Lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances des fédérations sportives, Gilles Moretton, président de la Fédération française de tennis (FFT) avait multiplié des déclarations inexactes, approximatives ou floues, comme Mediapart s’en était fait l’écho. Et cela avait passablement agacé la rapporteure de la commission, la députée Sabrina Sebaihi (députée EELV-Nupes des Hauts-de-Seine), qui nous avait fait ce commentaire, repris ensuite par toute la presse : « Nous avons des doutes sur l’exactitude de nombreuses déclarations qui ont été faites devant notre commission, dont celles du président de la FFT, par exemple sur les rémunérations passées d’Amélie Oudéa-Castéra. Nous étudions donc la possibilité d’effectuer des signalements au parquet pour parjure ».
Cherchant visiblement à corriger la fâcheuse impression qu’il a laissée à la commission d’enquête parlementaire, à laquelle il avait par ailleurs promis de lui révéler la rémunération de l’actuelle directrice générale de la FFT, Gilles Moretton a adressé un courrier à la présidente et à la rapporteure de la commission pour essayer de corriger le tir. Or, comme j’avais, de mon côté, demandé à l’actuelle directrice générale de la FFT des précisions sur ses rémunérations, la direction de la fédération m’a adressé une copie du courrier adressé à la commission d’enquête.
Voici ce courrier :
Si, donc, l’intention du président de la FFT était d’essayer d’amadouer la commission d’enquête, il n’est pas certain que sa lettre le lui permette. Car elle comprend beaucoup d’habiletés pour essayer de masquer les inexactitudes proférées pendant l’audition.
Lors de son audition, Gilles Moretton avait ainsi expliqué à la commission d’enquête que la plainte déposée par 7 dirigeants ou anciens dirigeants de la FFT, le visant ainsi que certains de ses proches, pour détournement de billets de Roland Garros et pour corruption, avait été classée en juin par le parquet national financier (PNF). Or, on sait qu’il s’agissait d’une contrevérité puisque, après un recours de l’avocat des plaignants, le parquet général a donné instruction au PNF d’ouvrir une enquête préliminaire. Laquelle a donc commencé.

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Pour justifier ses fausses déclarations, Gilles Moretton avance donc dans ce courrier cette explication passablement alambiquée : « Toutefois, n’ayant pas accès au dossier de cette enquête en cours, il m’était impossible de commenter lors de notre audition devant votre Commission d’enquête. L’ouverture ultérieure d’une enquête n’obère ni la réalité, ni les arguments qui ont conduit au premier classement. »
Étranges arguments ! Quand l’enquête préliminaire a finalement été ouverte, deux des plaignants ont demandé qu’il en soit faite une large publicité au sein de la fédération. Dans une lettre au secrétaire général de la FFT, Pierre Doumayrou, et au comité d’éthique, Alain Moreau, président de la Ligue Nouvelle Aquitaine, et un membre du Conseil supérieur de tennis Pascal Da Costa, ont fait ces remarques : « Vous connaissez depuis lundi après-midi la décision du Procureur Général d’enjoindre au PNF l’ouverture d’une enquête préliminaire sur les faits que nous avons dénoncés. Le parquet général nous a indiqué ”qu’après réexamen du dossier …, il a été décidé d’adresser au PNF, des instructions en vue de l’ouverture d’une enquête préliminaire, suite à la plainte déposée … contre plusieurs dirigeants de la Fédération Française de Tennis. Dans ces conditions les plaignants devraient être, prochainement entendus par le service enquêteur, saisi par le PNF” Pour que soient respectés le parallélisme des formes et la neutralité de votre fonction sans méconnaître l’avis publié du Comité d’éthique, vous voudrez bien adresser à tous les dirigeants qui ont reçu votre information sur la décision du PNF une information semblable sur la décision du Procureur Général. »
Or « le parallélisme des formes » demandées par les plaignants n’a jamais été respectée : Gilles Moretton a largement communiqué sur le classement de la plainte ; et il a fait silence quand cette décision est devenue caduque et quand l’enquête préliminaire a été ouverte. Il a fait silence… jusque devant la commission d’enquête.
Pour essayer de convaincre les députés que la plainte le visant est sans fondement, et notamment qu’il est accusé à tort d’avoir contrevenu aux règles encadrant la vente des billets de Roland-Garros quand il était président de la Ligue Auvergne Rhône-Alpes, il avance aussi cet argument : « D’autre part, et comme je vous l’ai indiqué lors de notre audition, les règles d’octroi de billets aux partenaires des ligues ont été clarifiées (notamment, via une modification réglementaire votée en Assemblée Générale relative aux ressources des ligues et des comités départementaux). En particulier, il a été instauré un ”Village des Ligues”, qui permet de favoriser le développement de partenariats en permettant aux sponsors des ligues (voire des Comités départementaux) d’avoir accès à des places du tournoi de Roland-Garros, en échange de leur soutien financier. »
Mais la justification n’emporte guère la conviction pour une raison assez simple à comprendre : si une modification statutaire est intervenue, n’est-ce pas, précisément pour régulariser une pratique qui était auparavant… irrégulière ?
Dans l’affaire des rémunérations des numéros deux de la FFT (Jean-François Vilotte d’abord, puis celle qui lui a succédé, Amélie Oudéa-Castéra, et maintenant Caroline Flaissier), la lettre de Gilles Moretton essaie d’enrober les choses, mais elle confirme en creux que des choses inexactes ont été dites à la Commission.
On se souvient en effet que lors de son audition, Gilles Moretton avait cherché à convaincre les parlementaires que la rémunération d’Amélie Oudéa-Castéra du temps où elle était directrice générale de la FFT était conforme aux pratiques de la fédération. Il avait ainsi fait valoir que la rémunération de son prédécesseur, Jean-François Vilotte était « dans les mêmes eaux ». Entendue elle-même par la commission, Amélie Oudéa-Castéra, l’actuelle ministre des sports, avait dit à peu près la même chose.
Or, en révélant dès décembre 2022, les rémunérations d’Amélie Oudéa-Castéra, Mediapart avait avancé des chiffres qui établissaient strictement le contraire : nous expliquions que l’intéressée empochait à la FFT une rémunération exorbitante de 35 600 euros nets par mois – plus que le patron de la Caisse des dépôts et consignations qui gère pas loin de 250 milliards d’euros d’actifs !-. Et nous révélions à l’époque que la rémunération de son prédécesseur était de l’ordre de 28 500 euros bruts par mois, soit 23 000 euros nets par mois. Soit près de 12 000 euros de moins que l’actuelle ministre. Ce sont ces chiffres que j’ai rappelés lors de ma propre audition, mardi 21 novembre, devant la Commission d’enquête.
Or, dans sa lettre, Gilles Moretton est obligé de mettre les chiffres sur la table. On a ainsi la confirmation pour la première fois par la bouche du président de la FFT que la rémunération de Jean-François Vilotte était de 373 750 bruts par mois sur 13 mois. Soit 28 750 euros bruts par mois. Ce qui correspond bien aux 23 000 euros nets par mois que Mediapart avait révélés. Alors, même si l’on prend en compte la prime annuelle sur objectifs de 37 375 € dont profitait par surcroît le même Jean-François Vilotte, on peut en déduire que sa rémunération n'était pas du tout « dans les mêmes eaux » que celles de l’actuelle ministre des sports.
Gilles Moretton revient aussi longuement sur les conditions financières d’achat d’un appartement de la FFT, pour son propre usage, qui a fait l’objet de très vives critiques.
Au total, toutes ces explications ont peu de chances d’inverser la fâcheuse impression qu’a laissée l’audition de Gilles Moretton. Avec l’ouverture de l’enquête préliminaire et maintenant cette très chaotique audition, la direction de la FFT FFT est emportée dans une crise qui se renforce de jour en jour…
Pour mémoire, on retrouvera ci-dessous la vidéo de ma propre audition devant la commission d'enquête: