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Billet de blog 28 février 2023

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Le passing-shot raté du président de la Fédération française de tennis

Le président de la Fédération française de tennis (FFT), Gilles Moretton n’aime visiblement ni la presse ni le dialogue social. C’est en tout cas ce que suggère la lettre qu’il vient d’adresser aux membres du Conseil supérieur du tennis, l’organe de contrôle de l'instance de direction de la fédération.

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Si le président de la FFT a pris la plume, c’est que plusieurs enquêtes récentes ont révélé des dérives importantes dans sa gouvernance. Il y a d’abord eu l’enquête que j’ai écrite et qui a été mise en ligne sur Mediapart le 7 février sous le titre « Tsunami social à Roland Garros ».

Dans cet article, je révélais des faits nombreux : les méthodes sociales expéditives de la FFT depuis le début de sa présidence, avec à la clef 112 départs, licenciements ou ruptures conventionnelles depuis février 2021 ; les missions de complaisance accordés à certains proches ou alliés ; le salaire exorbitant de plus de 35 000 euros nets par mois versé à Amélie Oudéa-Castéra du temps où elle était directrice générale de la FFT, c’est-à-dire juste avant qu’elle ne devienne ministre des sports ; les négociations secrètes engagées avec le Qatar pour éventuellement attribuer à BeIn un partie des droits TV de Roland-Garros, etc.

Illustration 1
Le président de la FFT Gilles Moretton aux côtés d'Amélie Oudéa-Castéra. © AOC1978

Puis, quelques jours après mon article, RMC-Sports a aussi apporté de nouveaux éléments sur la politique sociale de la FFT en y consacrant un article ainsi titré : « FFT : l’ère Moretton ou la République de la terreur »

Or, le président de la FFT a visiblement peu apprécié ces articles, et dans sa lettre au Conseil supérieur du tennis (rapidement transmise au Figaro) il met en cause Mediapart, comme si j’étais animé par d’autres intentions que celles d’informer honnêtement mes lecteurs. « Comme vous avez pu le lire, écrit-il, notre Fédération et sa gouvernance ont fait l’objet de plusieurs attaques récemment. Ces attaques ont été relayées par plusieurs médias, m’accusant dans des termes quelque peu extrêmes – ” tsunami social ”, ” république de la terreur” … – d’agir avec brutalité, dans le mépris du droit du travail et du dialogue social, et de pratiquer un clientélisme à l’opposé des valeurs que nous prônons ».

En somme, Mediapart n’aurait pas enquêté mais aurait relayé des « attaques ». Qui viennent d’où ? Mystère… Plus loin, le président de la FFT conteste implicitement que Mediapart ait cherché à informer ses lecteurs – il préfère y voir « une volonté de nuire à [la] fédération ». Il évoque aussi « ces soi-disant ”scandales” créés de toutes pièces par quelques-uns en mal de politique et de sensationnel faisant un amalgame avec d’autres fédérations sportives ». Qui sont ces « quelques-uns » aussi mal intentionnés ? Et pourquoi sont-ils « en mal de politique » ? Le mystère s’épaissit, car Gilles Moretton ne livre pas le fond de sa pensée...

Mais le plus important n’est pas le peu d’estime que semble avoir le président de la FFT pour la mission civique de la presse et que traduisent ces attaques en crabe, mais ce sont ses réponses sur le fond.

Car, d’abord, il fait l’impasse sur beaucoup de sujets. Pas un mot sur le salaire digne du CAC 40 qu’il a accordé à Amélie Oudéa-Castéra du temps où elle officiait à la FFT ! Pas un mot non plus sur les missions de complaisance accordée à certains de ses alliés ! Pas un mot sur le Qatar…

Non ! Gilles Moretton ne s’arrête que sur l’un des faits rapportés par Mediapart, pour le contester.

Dans notre enquête, nous écrivions en particulier ceci – que l‘on m’excuse de me citer moi-même: « Dans d’autres cas, des salarié·es ou cadres de la fédération se sont plaints de faire l’objet de harcèlement moral. C’est le cas de l’une des responsables de la communication du président et de la direction technique nationale, Sylvie Marchal, ou encore de la directrice des affaires publiques, Audrey Delacroix, que sa proximité avec Amélie Oudéa-Castéra n’a pas protégée. Pour ces deux cas, le comité social et économique (CSE) a fait jouer son droit d’alerte mais Gilles Moretton n’a pas fait droit à la demande que l’audit soit examiné par un cabinet extérieur. Dans ces deux cas, les licenciements, selon nos sources, leur auraient été notifiés alors qu’elles étaient en arrêt maladie. »

Sans prendre le soin d’expliquer les raisons pour laquelle 112 salariés sur près de 400 ont quitté la FFT de février 2021 à décembre 2022, Gilles Moretton s’en tient seulement à apporter des précisions sur le seul droit d’alerte, qui concerne deux salariés. Voici donc le cœur de sa défense : « Quant aux accusations formulées, au sujet desquelles le Comité Social et Economique (CSE) - instance de représentation du personnel - avait fait jouer son droit d’alerte, nous avons décidé, à sa demande de lancer une enquête conjointe afin d’établir les faits – seule option pouvant être retenue. Après avoir procédé à l’audition de toutes les personnes concernées par les faits allégués, les enquêteurs rendu le 23 février des conclusions sans ambiguïté, réfutant les accusations formulées. Si le style de management est ” franc et direct, et basé sur la culture du feedback ”, aucune ” situation de harcèlement moral ”, aucune ” atteinte au droit des personnes, à leur santé et sécurité physique et mentale ” n’a été mise au jour par les enquêteurs envers les salariés ayant alerté le CSE, ni ” plus généralement envers les salariés de la FFT” ».

La défense de Gilles Moretton ne porte donc que sur une infime partie des faits qui ont été mis au jour. Et pourtant, même sur ce point, elle peine à emporter la conviction pour de nombreuses raisons. Primo, comme nous l’indiquions dans l’enquête, comme deux salariées se plaignaient de harcèlement, le Comité social et économique (CSE) de la FFT avait demandé un audit extérieur, seul gage d’une enquête indépendante et impartiale. Ce que Gilles Moretton a refusé, préférant que soit conduit un audit interne.

Or, à ma connaissance, l’enquête interne a été conduite par deux personnes. La première est un salarié délégué au CSE, qui est astreint à une obligation de confidentialité et qui n’est donc pas libre de sa parole. Et la seconde personne est le Directeur des ressources humaines (DRH) de la FFT, lequel a été nommé à ce poste par la nouvelle directrice générale, Caroline Flaissier, soupçonnée précisément, à tort ou à raison, du harcèlement dont se plaignent les deux salariées en question. Imagine-t-on donc que le DRH pouvait mettre en cause la directrice générale, Caroline Flaissier, qui est sa supérieure hiérarchique et à laquelle il doit son poste ? La réponse est tristement simple : l’audit n’était pas indépendant et a produit ce que l’on attendait de lui.

La morale de l’histoire, c’est que lorsqu’on s’applique à faire un passing-shot, il ne faut pas le rater. Gilles Moretton aurait été bien inspiré de ne pas l’oublier. Reste à savoir ce qu’en pensera le Conseil supérieur du tennis…

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Pour la bonne intelligence de ce billet, on trouvera ci-dessous in-extenso le courriel adressé par Gilles Moretton aux membres du Conseil supérieur du tennis:

De : Secrétariat Général <secretariatgeneral@fft.fr>
Envoyé : mardi 28 février 2023 15:26
Objet : Message du Président

 Destinataires :   Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Supérieur du Tennis

Madame la Présidente,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Supérieur du Tennis,

Comme vous avez pu le lire, notre Fédération et sa gouvernance ont fait l’objet de plusieurs attaques récemment. Ces attaques ont été relayées par plusieurs médias, m’accusant dans des termes quelque peu extrêmes – « tsunami social », « république de la terreur » … – d’agir avec brutalité, dans le mépris du droit du travail et du dialogue social, et de pratiquer un clientélisme à l’opposé des valeurs que nous prônons.

J’apporte le démenti le plus ferme à ces accusations. Celles-ci traduisent une profonde méconnaissance non seulement des faits, mais aussi de la manière dont fonctionne la FFT, et une volonté de nuire à notre Fédération. Je tiens à le réaffirmer avec force : notre organisation agit, en toutes circonstances, dans le respect total de la loi et du droit du travail, dans le respect des personnes et en cohérence avec les valeurs du sport, qui nous sont chères. J’assume être un président exigeant. Je l’ai souvent dit : la bienveillance n’exclut ni l’exigence, ni la rigueur.

Quant aux accusations formulées, au sujet desquelles le Comité Social et Economique (CSE) - instance de représentation du personnel - avait fait jouer son droit d’alerte, nous avons décidé, à sa demande de lancer une enquête conjointe afin d’établir les faits – seule option pouvant être retenue. Après avoir procédé à l’audition de toutes les personnes concernées par les faits allégués, les enquêteurs rendu le 23 février des conclusions sans ambiguïté, réfutant les accusations formulées. Si le style de management est « franc et direct, et basé sur la culture du feedback », aucune « situation de harcèlement moral », aucune « atteinte au droit des personnes, à leur santé et sécurité physique et mentale » n’a été mise au jour par les enquêteurs envers les salariés ayant alerté le CSE, ni « plus généralement envers les salariés de la FFT ».

En l’absence de toute substance, je suis réellement confiant sur le fait que nous pourrons bientôt tourner la page de ces soi-disant « scandales » créés de toutes pièces par quelques-uns en mal de politique et de sensationnel faisant un amalgame avec d’autres fédérations sportives.

Cette stratégie que nous poursuivons, cette transformation que nous conduisons tous ensemble, ce sont les bonnes. Elles portent aujourd’hui leurs fruits, avec déjà de premiers résultats concrets. La campagne de rentrée 2022 a été un succès, avec ses Journées Portes Ouvertes, et le Pass Sport, entre autres. Nous avons de nouveau franchi, avec trois mois d’avance par rapport à 2022, le cap du million de licenciés. La situation financière de la Fédération est assainie ; l’image du tennis en France s’améliore ; et les nouvelles pratiques – para tennis, padel, beach tennis, urban tennis… – sont en forte progression à travers la France.

Ces premiers succès, vous les avez très clairement perçus, et vous l’avez exprimé dans votre soutien renouvelé sans ambiguïté lors de l’Assemblée Générale du 15 janvier 2023, avec notamment l’approbation à plus de 80% de la nouvelle gouvernance qui figurait au cœur de notre programme.

Ces succès, ce sont les vôtres et nous allons continuer à les amplifier en 2023. Nous continuerons à recruter de nouveaux pratiquants, nous amplifierons les succès que rencontrent le padel et l’urban tennis, nous travaillerons aussi à davantage féminiser notre sport. Nous continuerons aussi de proposer des solutions facilitant la vie des clubs, des licenciés et des pratiquants, avec par exemple le lancement en avril d’une solution de paiement en ligne, gratuite pour les clubs.

Pour ma part, je poursuis le Tour de France des clubs, pour rencontrer l’ensemble des acteurs du tennis, échanger, écouter, et continuer de nous améliorer pour le tennis en France.

Je vous remercie de votre action et de votre engagement derrière notre projet commun pour la Fédération. Votre confiance, tout comme celle des équipes, nous renforce pour continuer à mettre en œuvre la politique pour laquelle vous m’avez élu. Continuons ensemble sur la voie de cette transformation !

Bien sportivement,