Alors que tous les indicateurs étaient au rouge depuis le début de l'année 2009 et que le bilan annuel s'annonçait particulièrement mauvais, l'arrivée de M. Hortefeux a permis un retournement de tendance spectaculaire des statistiques de police et de gendarmerie après l'été. Par quel miracle? par Laurent Mucchielli, sociologue (CNRS-Cesdip)
Alors que tous les indicateurs étaient au rouge depuis le début de l'année 2009 et que le bilan annuel s'annonçait particulièrement mauvais, l'arrivée de M. Hortefeux a permis un retournement de tendance spectaculaire des statistiques de police et de gendarmerie après l'été. Le ministre peut ainsi annoncer ce jeudi 14 janvier une «baisse de la délinquance de 1 %» et s'auto-congratuler devant les journalistes :«Dès ma prise de fonctions, j'ai donné à l'ensemble des acteurs de la sécurité un objectif ambitieux. [...]
Pari pris, pari tenu : les objectifs fixés sont devenus des résultats concrets. [...]
Malgré un début d'année difficile, 2009 restera donc comme la septième année de baisse consécutive de la délinquance en France. [...]
C'est la preuve que lorsque la volonté, la détermination et la mobilisation sont là, les bons résultats sont, eux aussi, au rendez-vous. C'est aussi la preuve que la politique de sécurité voulue par le président de la République produit des résultats concrets au service des Français.»
Enfin, tout ceci serait le résultat de la «mobilisation» accrue des policiers et des gendarmes, mais aussi «des entreprises de la sécurité privée», des policiers municipaux et bien entendu des caméras de vidéosurveillance.
Ainsi, il suffisait en fin de compte d'un simple surcroît de «volonté politique» pour obtenir de meilleurs résultats que son prédécesseur au ministère de l'Intérieur, Mme Alliot-Marie. Ainsi, la conférence de presse du ministre a surtout consisté à opposer les 8 premiers mois de l'année 2009 et les 4 derniers durant les lesquels il était à ce poste. Un modèle pour les étudiants des écoles de communication...
Pourtant la crise économique est toujours là et bien là. Et elle n'est pas sans effet sur l'activité délinquante au quotidien, tous les acteurs rencontrés sur le terrain en témoignent. C'est du reste aussi ce que l'on peut comprendre à la lecture du détail des données policières sur l'ensemble de l'année 2009 (et non pas seulement des 4 derniers mois), publiées le même jour par l'Observatoire Nationale de la Délinquance. Il est vrai que cette lecture du détail des publications de l'OND est bien compliquée, il faut faire avec la longueur du document, le nombre et parfois la complexité inutile des graphiques et des tableaux, sans parler de leur faible lisibilité à l'écran et à l'impression (avec des phrases et surtout des chiffres en tout petits caractères, parfois colorés en jaune ou en orange et ainsi très difficile à déchiffrer !).
Quelles sont donc ces données détaillées ? D'abord celles présentées dans le tableau suivant (recomposé par nos soins). Ensuite quelques informations sur les indicateurs de la « performance policière » qui ont été donnés par ailleurs.
Tableau 1 : l'évolution des faits constatés par la police et la gendarmerie
Rappelons ici que ces chiffres ne sont pas ceux de « la délinquance », mais ceux de l'activité policière et gendarmique sur la délinquance, ce qui est différent. Mais pour l'heure, tirons trois grandes leçons de ce tableau :
1) la baisse globale de 1 % cache en réalité des mouvements très différents.
2) d'abord et surtout des hausses : non seulement sur les atteintes aux personnes (essentiellement les coups et blessures non mortels), mais aussi sur les vols et cambriolages. En réalité, la baisse (ancienne) des vols liés aux voitures et aux deux roues cache des hausses importantes comme celle des cambriolages, des vols avec ou sans violence contre les particuliers ou encore des vols à l'étalage. Et ceci indique des retournements de tendance.
3) les baisses qui compensent ses hausses et permettent d'afficher au global une baisse de 1 % sont en réalité liées à un nombre limité d'infractions bien précises. Pour l'essentiel : les vols liés aux voitures et aux deux roues, on l'a dit, mais aussi la délinquance économique et financière, les destructions-dégradations de véhicules, les recels, les infractions à la législation sur les stupéfiants et celles à la législation sur les étrangers.
Enfin, ajoutons celles relatives aux autres indicateurs de l'activité policière :
1) la baisse des « infractions révélées par l'activité des services » (et non par les plaintes des victimes), ce qui constitue un retournement de tendance depuis 2002.
2) L'arrêt de l'augmentation de l'élucidation (avec un taux d'élucidation de 37,7 % en 2009 contre 37,6 en 2008...), ce qui constitue également un retournement de tendance.
3) La quasi stagnation (+0,4 %) des gardes à vue, ce qui constitue encore un changement après l'augmentation forte et continue depuis 2002.
Si nous réunissons maintenant toutes ces informations, que nous les relions entre elles et avec les travaux de recherche, voici les hypothèses conclusives auxquelles nous parvenons :
1- La hausse des atteintes aux personnes se poursuit, ce qui est logique : il s'agit avant tout d'une judiciarisation progressive d'affaires de faible gravité et qui étaient moins souvent dénoncées par le passé. Il s'agit d'une tendance profonde de notre société. A contrario, les affaires les plus graves non seulement n'augmentent pas mais même déclinent, à commencer par les homicides.
2- Il est très probable que la crise économique actuelle (et la remontée du chômage) intensifie les vols et cambriolages.
3- Face à ces tendances d'évolution de la société qu'ils ne maîtrisent absolument pas, les policiers et les gendarmes ont reçu l'injonction de faire baisser les chiffres d'enregistrement de la délinquance pour permettre au ministre, au gouvernement et au Président de ne pas afficher un bilan négatif. Dès lors, ils ont agi sur ce qu'ils maîtrisent : leur marge d'appréciation et leur marge d'action sur la réalité délinquante, les infractions dont la découverte est liée directement à leurs actions et non aux plaintes des victimes. C'est pourquoi on constate ces baisses subites de la délinquance économique et financière, des infractions à la législation sur les stupéfiants et celles à la législation sur les étrangers.
4- Comme ces dernières infractions sont aussi celles qui permettent d'augmenter l'élucidation, leur baisse explique du même coup la stagnation de l'élucidation.
En résumé : face à une situation très difficile en 2009 mais mis sous pression par leur hiérarchie, les policiers et les gendarmes ont fait ce qu'ils ont pu pour permettre au ministre de sauver les apparences, qui plus est au moment où l'on est entré en pleine campagne pour les élections régionales.
(Cette analyse se retrouve sur le site de Laurent Mucchielli)
Pour aller plus loin :
Matelly (J.-H.), Mouhanna (C.), 2007, Police : des chiffres et des doutes. Regard critique sur les statistiques de la délinquance, Paris, Michalon.
Mucchielli (L.), 2008, « Une société plus violente ? Analyse socio-historique des violences interpersonnelles en France, des années 1970 à nos jours », Déviance et société, 2, 115-147.
Mucchielli (L.), 2008, « Le ‘nouveau management de la sécurité' à l'épreuve : délinquance et activité policière sous le ministère Sarkozy (2002-2007) », Champ pénal / Penal Field mis en ligne le 28 avril 2008. URL : http://champpenal.revues.org/document3663.html
Mucchielli (L.), Saurier (D.), 2007, « L'évolution de la délinquance enregistrée par la gendarmerie (1988-2004) : énigmes et enseignements », in L. Mucchielli, dir., Gendarmes et voleurs. De l'évolution de la délinquance aux défis du métier, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 17-58.