
L'opération de communication politique qui entoure la publication des statistiques de police et de gendarmerie ne se joue pas seulement au niveau national. Les médias nationaux ont beaucoup commenté celle réalisée rituellement par le ministre de l'Intérieur au mois de janvier de chaque année, mais le même processus se décline ensuite plus ou moins bruyamment dans chaque département, voire dans chaque ville. Dans certains cas, il n'est pas présenté comme un événement. Dans d'autres, il a au contraire des répercussions locales importantes et est fortement valorisé par la presse quotidienne régionale. C'est ce qui s'est produit notamment à Nîmes.
Ainsi pouvait-on lire à la Une du Midi Libre le 24 janvier que les "chiffres de la délinquance" 2010 étaient particulièrement "préoccupants" voire "inquiétants" (selon les éditions locales du journal). En effet, le préfet venait de tenir une conférence de presse en insistant sur une hausse importante de la délinquance et en particulier sur le "problème des mineurs délinquants" présenté même comme "une spécificité gardoise". Il faut dire que le préfet avait peut-être une certaine pression sur les épaules. Le même article du journal nous apprend qu'il avait été convoqué à Paris quelques jours auparavant pour discuter de ces chiffres. Quoi qu'il en soit, le message relayé par la presse fut univoque. Or la même presse avait relaté quelques jours plus tôt d'autres éléments singulièrement contradictoires.
Un message "inquiétant" contredit par d'autres sources
En effet, quelques jours auparavant (le 10 janvier), le parquet de Nîmes avait lui aussi donné ses statistiques pour l'année 2010, et ces dernières renvoient un message tout différent. Elles témoignent en effet d'une baisse des saisines de la justice en 2010 et en particulier d'une forte baisse (- 15 %) du nombre de mineurs poursuivis. Et l'on ne taxera pas le parquet de Nîmes de "laxisme" car son "taux de réponse pénale" est de 90 % en général et même de 96 % pour les mineurs, ce qui le place parmi les plus réactifs de France.
Pour en savoir plus, nous avons interrogé quelques acteurs judiciaires locaux qui ont volontiers parlé sous garantie d'anonymat.
Certes, on indique au parquet que le département a bien un taux de criminalité élevé (10ème rang national), mais, comme le remarquait le Procureur de la République lui-même, ceci est à mettre en relation avec d'autres indicateurs tels que le taux de chômage, le taux de scolarisation et le taux de minima sociaux. Pour le reste, ni au parquet, ni au siège, ni à la PJJ, on ne confirme l'idée d'une "spécificité gardoise" en matière de délinquance des mineurs. Certes encore, la justice des mineurs est préoccupée en permanence par les "mineurs multi-réitérants", qui mettent sa patience et ses structures à l'épreuve, mais le problème est classique, il n'a rien de nouveau. Tous les professionnels interrogés nous ont dit au contraire qu'ils retrouvaient ici ce qu'ils observaient dans des départements de type comparable.
Comment donc comprendre ce décalage flagrant dans les messages ? Ce magistrat local n'hésite pas à le dire : "il y a une stratégie politique globale sur les mineurs, on y revient toujours avec l'argument de la réforme de l'ordonnance de 1945 et toujours pour chercher à durcir le droit des mineurs, alors qu'on sait bien par ailleurs que la réponse de fond avec les mineurs ne peut pas être la simple répression". Et nos autres interlocuteurs ont dit la même chose. Ils ont même précisé un peu les enjeux politiques locaux qui se cachent probablement derrière la question de la délinquance.
Un enjeu politique à la fois local et national
L'attention nationale avait été un peu attirée sur Nîmes en octobre 2010, lorsque TF1 avait consacré un "reportage" à la ville en la présentant comme la plus dangereuse de France. Localement, chacun s'était ému de cette stigmatisation et avait cherché à relativiser le problème pour écarter cette mauvaise publicité (voir notre article à ce sujet). De fait, l'histoire fut assez vite oubliée. En revanche, dans le petit monde nîmois de la sécurité et de la justice chacun sait qu'il y a bien un enjeu politique actuel: celle de la mobilisation sur ce sujet de celui qui est à la fois député de la 1ère circonscription du Gard, premier adjoint à la mairie de Nîmes et Secrétaire général du parti le Nouveau centre : Yves Lachaud.

Par ailleurs directeur d'un établissement scolaire privé, et tout en recherchant des sanctions alternatives à l'emprisonnement, Y. Lachaud affiche à chaque occasion la plus grande fermeté sur le thème de la sécurité, ainsi qu'une proximité grandissante avec le Président de la République. Au mois d'août, suite aux déclarations très dures mais bien préparées de Nicolas Sarkozy à Grenoble, le député du Gard tenait à marquer son "soutien dans cette action". Dans le même texte, il déclarait que l'autorité de l'Etat tenait à "une chaîne qui va de l’éducation par les familles, jusqu’à la sanction pénitentiaire en passant par l’école, la police et la justice. Si un de ces maillons est faible, c’est toute la chaîne qui s’écroule… et aujourd’hui ce maillon faible, c’est la sanction." Autre exemple, en réaction au reportage de TF1 du mois d'octobre, Y. Lachaud écrivait sur son blog : "L'insécurité au quotidien, les agressions, les vols, les insultes, la peur constante de beaucoup de nos concitoyens ne peuvent plus être tolérés... Il faut remettre les choses à leur place, remettre de l'ordre, et réinstaurer la crainte de la sanction chez les délinquants !". Toujours sur son blog, il avait du reste rendu compte à deux reprises de ses rencontres avec N. Sarkozy et Claude Guéant courant 2010, pour parler des problèmes de sécurité. C'est donc sans grande surprise que l'on a pu apprendre, en décembre 2010, que le Président de la République avait officiellement confié à monsieur Lachaud une mission sur le traitement de la délinquance des mineurs. Quelques jours auparavant, M. Lachaud déposait à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à "créerdes établissements d’éducation, de discipline et de réinsertion pour lesmineurs délinquants". Le préambule de cette proposition reprend l'argumentaire sécuritaire habituel, tel qu'on peut le trouver dans la plupart de la quarantaine de lois votées sur les questions de sécurité depuis 2002 : augmentation de la délinquance des mineurs, actes de plus en plus graves, sentiment d'impunité, inadaptation des réponses actuelles, etc. Dans une interview au Midi Libre le 9 janvier, M. Lachaud écrivait ainsi l'histoire : "j’ai rédigé une proposition de loi qui a attiré l’œil du chef de l’Etat. Nicolas Sarkozy m’a ainsi appelé. M’a dit qu’il voulait voir cela et m’a confié cette mission". Il est permis de penser que ce n'est pas dans cet ordre que les choses se sont jouées et que tout ceci a été fort bien préparé.