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Billet de blog 2 janv. 2023

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Services Hospitaliers Publics 2023 : « Plus de chef ! Toutes et tous chefs ! »

[Rediffusion] Les politiques de Santé menées ces 25 dernières années n’ont eu de cesse de réduire les moyens, les solidarités et le pouvoir décisionnel des soignants au sein des hôpitaux publics au profit des Directions et des ARS, tout en reportant la responsabilité des dysfonctionnements sur les soignants eux-mêmes. En 2023, nous pourrions commencer à changer la donne.

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Services Hospitaliers Publics 2023 :

« Plus de chef ! Toutes et tous chefs !!! » 

Illustration 1
Dream Team Neurochirurgie Besançon

Les politiques menées en France depuis plus de 25 ans n’ont eu de cesse de résumer la Santé à un bilan purement comptable (rentabilité à tous les étages), de réduire les solidarités interprofessionnelles (diviser pour mieux régner) et de restreindre le pouvoir décisionnel des soignants au sein de l’hôpital (management autoritaire).

Les choses ont commencé à tourner à l’aigre en 1995 avec l’élection de J Chirac (Gouvernement Juppé - Ministre de la Santé H Gaymard) par la création de la « Contribution au Remboursement de la Dette Sociale » (CRDS), la création des « Agences Régionales de l’Hospitalisation » (ARH), précurseurs du mille-feuille administratif des ARS (Agences Régionales de Santé), et de l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES), organe de contrôle de « l’efficience » du système de soin. C’est surtout à cette époque qu’a été inscrit dans la Loi l’Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie (le fameux ONDAM), voté par le Parlement, qui fixe le taux maximum de dépassement annuel autorisé pour les dépenses de Santé. Avec les prêts toxiques, les crises financières, l’inflation, celui-ci deviendra vite un garrot terrible au cou des hôpitaux publics car toujours inférieur à l’augmentation spontanée des coûts du marché. On voit aussi se mettre en place les Groupements de Coopération Sanitaire (futurs Groupement Hospitaliers de Territoire actuels) visant à la mise en commun des moyens au niveau régional. L’objectif clairement avoué par les pouvoirs publics de l’époque, n’est en rien différent de celui du Gouvernement actuel, celui de réduire le parc hospitalier français de… 100 000 lits, soit près du tiers de sa capacité. De fait, entre 1993 et 2018, ce sont 103.000 lits qui seront fermés (bien entendu avec la suppression des personnels afférents). De nombreux établissements publics et privés de petite dimension vont ainsi être fermés et regroupés. Cette diminution considérable des moyens d’hospitalisation s’accompagnera d’une concentration des équipements hospitaliers dans les grosses institutions au détriment de l’accès aux soins de proximité dont nous connaissons les grandes difficultés aujourd’hui.

Le deuxième mandat de J Chirac (Gouvernement Raffarin - Ministre de la Santé P Douste-Blazy), fort d’une majorité très à droite, accélère les réformes de l’hôpital à coups d’ordonnances. C’est en 2005, qu’on impose le saucissonnage de l’hôpital en pôles médicaux et médico-techniques, plus faciles « à gérer » pour l’administration car individualisés, mis en concurrence et divisés. Les services et les soignants de terrain vont se retrouver dans des structures administratives autogérées, mais à budget de plus en plus contraint, et déconnectées des décisions prises en Directoire par des chefs de pôles parfois complaisants car souvent nommés par la Direction elle-même (à moins que ce ne soit l’inverse). En échange de cette nouvelle organisation, les orientations seront prises à parité entre les administratifs et les médecins de la Commission Médicale d’Établissement (CME), qui croient voir là leur pouvoir décisionnel enfin renforcé. C’est aussi à cette période qu’a lieu le 1er grand virage de l’hôpital entreprise avec l’instauration de la T2A (Tarification à l’activité) qui privilégie les recettes sur les dépenses et les résultats sur les moyens, au lieu de prévoir une enveloppe budgétaire adaptée aux besoins réels de la population du territoire. On créée alors, comme dans les usines de voitures, des tarifs formatés pour chaque soin comme on calculerait le coût de fabrication et le prix de vente d’un véhicule : groupe homogène de séjours (GHS) correspondant (ou non) au tarif d’un groupe homogène de malades (GHM). Les hôpitaux sont mis en concurrence entre eux par ce nouveau logiciel et ceux dont la balance budgétaire deviendra « déficitaire » pourront alors être montrés du doigt et mis sous tutelle. On transformera le droit à la Santé de la population en offre de soin devant être toujours plus rentable. Le plan Hôpital 2012 associant « modernisation et efficience », justifie une sélection rigoureuse des projets retenus. La mesure de l’efficience par des outils du type « calcul du retour sur investissement » complétée par une appréciation plus qualitative du service rendu, notamment médical, sera intégrée dans la méthodologie de sélection. On accompagne la reconversion des sites chirurgicaux « en sous-activité́ » et on poursuit les regroupements et les restructurations des plateaux techniques des secteurs médico-chirurgico-obstétricaux et des établissements dans le secteur des Soins de Suite Réadaptation.

Enfin, c’est sous le mandat de N Sarkozy (Gouvernement Fillon – Ministre de la Santé R Bachelot) que sera promulguée la Loi Hôpital Patients Santé Territoire (HPST) qui amènera la création des ARS qui deviendront rapidement une courroie de distribution efficace et directe des directives et contraintes budgétaires ministérielles à l’échelon régional. Au niveau local, le texte renforcera de façon drastique le pouvoir décisionnel des Directeurs d’établissement (nommés par décret pour les CHU et CHR) vis-à-vis de la communauté médicale à qui il ne reste quasiment plus qu’un rôle consultatif aussi bien au niveau de la CME qu’à celui du Directoire. Les anciens chefs de service, appelés à présent « Responsables de structure interne » (RSI), et encore plus les autres personnels médicaux ou paramédicaux sont relégués en bout de chaîne alimentaire et n’ont que peu de pouvoir décisionnel ou organisationnel sur leur service et aucun sur les projets d’établissement, les plans de financement ou de recrutement. Depuis le 1er mandat d’E Macron, 2ème grand virage de l’hôpital entreprise, la fermeture des lits s’est à nouveau accélérée, en partie du fait du « virage ambulatoire » et en partie du fait des contraintes budgétaires imposées par l’application de la formule de « l’argent-magique » : fermeture de lits = suppression de personnel = allègement de la masse salariale = économies. Ce sont maintenant environ 21.000 lits qui ont été supprimés depuis 2017, lits qui nous font particulièrement défaut en période épidémique de Covid ou d’épidémies saisonnières (grippe, bronchiolite…). Et il faudrait tout le déni d’un Président pour se demander au tournant de la nouvelle année: « Qui aurait pu prédire en 2022 la crise du système de Santé en France ? »

C’est dans ce contexte, que les conditions de salaire et de travail des soignants hospitaliers n’ont cessé de se détériorer : gel du point d’indice, non-paiement des heures sup, non respect des plannings, contractualisation à outrance, suppression de postes, augmentation de la charge de travail, manque de moyens, dégradation de l’humanité des soins, harcèlement managérial, non reconnaissance institutionnelle, suppression progressive du statut de fonctionnaire etc... Et si la dégradation de la sûreté et de la qualité des soins suit exactement la même tendance, la responsabilité morale et médico-légale des dysfonctionnements pour les usagers incombe toujours aux soignants eux-mêmes, et à leurs chefs de service en particulier. En 2023, nous pourrions commencer à changer la donne en montrant l’exemple à notre échelle, celle du service, de la possibilité d’une réorganisation collective de l’hôpital public en visant à terme la réorganisation de notre société.

Pour lutter de façon solidaire contre une institution qui broie les individus.

Pour ne plus accepter d’être les fusibles confortables d’un système qui tourne fou.

Pour réintroduire une vraie démocratie participative horizontale dans les équipes de soin.

Pour reconquérir le pouvoir décisionnel du terrain et proposer un autre avenir à l’hôpital.

Pour maintenir la qualité et l’humanité des soins pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire.

Ainsi, fin décembre 2022, nous avons adressé collectivement cette lettre à notre Direction et à nos collègues chefs de service pour leur annoncer le changement de paradigme. «  Plus de chef ! Toutes et tous chefs !!! » 

Une aventure à suivre ...


De : Equipe de Neurochirurgie - Centre Hospitalier Régional et Universitaire de Besançon

A : Monsieur E. Luigi

Directeur par intérim du CHRU de Besançon

Copie : Président de CME, Chef de pôle, Directrice de pôle, Directeur des soins, Cadre supérieure de Santé de pôle

Objet : réorganisation du service de neurochirurgie dans un contexte de dysfonctionnement global du système de Santé impactant le CHRU de Besançon

Monsieur le Directeur par intérim

Nous, soignants, avons alerté depuis plusieurs mois (années) vos prédecesseurs, ainsi que vous et vos équipes, le Ministère et ses ARS sur les nombreux dysfonctionnements dont pâtissent, dans nos institutions de santé, les patients et les personnels soignants. La situation ne cesse de se dégrader et nous ne voyons aucune issue au bout du tunnel. Je le redis encore une fois, ce système est malade de l’application de logiciels de management et de gestion financière ineptes, qui n’ont plus rien en commun ni avec l’humain, ni avec la Santé et qui nous ont conduits au fil des années à cette situation catastrophique. Dans cette organisation, les avis et les propositions venant des soignants ne sont que peu considérées et leurs marges décisionnelles sont quasi nulles. Certainement que nous, médecins, portons aussi notre part de responsabilité d’avoir laissé faire les choses ou d’y avoir collaboré.

Depuis ma prise de fonction en septembre 2015, et avec mes collègues, nous avons pu reconstruire avec motivation une équipe médicale et paramédicale de qualité sur un plateau technique de haut niveau, grâce au soutien il faut le reconnaître ici de l’institution. Ceci nous permet d’assurer une prise en charge optimale de la quasi-totalité des pathologies neurochirurgicales dont pourraient souffrir les habitants de Franche-Comté et au-delà. Pourtant, et afin de dénoncer la casse du service public de Santé, j’avais pris l’initiative de démissionner (avec 1200 autres RSI au niveau national) de mes fonctions administratives le 13 février 2020. Ceci a été acté par un courrier de la Directrice de l’époque, Mme Carroger, le 18 février 2020. Si certains ont repris leurs fonctions depuis, je n’ai reçu pour ma part aucune demande d’explication ni de relance de la part de la Direction, et ce qui paraissait au départ être du mépris est devenu au final pour nous une excellente opportunité d’acter cette réorganisation. En effet, je ne souhaite plus porter seul la responsabilité du chaos que vous faites peser chaque jour un peu plus sur nos épaules, nous chefs de service. D’autre part, ne trouvant pas une semaine où je n’aie à jouer le pompier ou le casque bleu d’une situation qui nous dépasse tous, je n’ai plus de temps à consacrer à mes tâches universitaires qui sont en tant que PU-PH mon cœur de métier et de passion en plus de mon activité clinique.

A la lumière des événements récents (défections des internes, dégradation chronique de la qualité/sécurité des soins et des conditions de travail, diminution des effectifs humains, réduction d’activité d’hospitalisation et de bloc en lien avec l’austérité & la pénurie imposée par le Ministère et ses relais locaux - directions et ARS) et face à l’isolement que l’on ressent, il faut le dire, aux côtés d’une administration souvent méprisante et déconnectée de la réalité (ou dans le déni perpétuel), je vous annonce que je démissionne définitivement de ma position de « chef de service » en neurochirurgie au CHRU de Besançon. En effet, j’avais continué jusqu’alors d’en assumer, au mépris de mon épanouissement et de ma santé personnelle, l’ensemble des charges organisationnelles, managériales, universitaires, médico-légales, psycho-sociales …

Nous avons donc organisé ce 12 décembre 2022 une réunion exceptionnelle associant médecins et cadres de soins pour décider de la suite à donner à notre organisation de service dans ce nouveau contexte. De façon assez surprenante, aucun.e candidat.e ne s’est manifesté.e pour reprendre la charge de Responsable de Structure Interne (comme vous l’appelez). Il n’y aura donc plus de « chef de service » unique, ce qui sera excellent en terme de démocratie participative, mais une liste de responsables médicaux et paramédicaux qui assureront la charge d’organisation, d’animation et de responsabilité (clinique, médico-légale, administrative) de leurs périmètres d’action respectifs vis-à-vis de nos patients, du reste de l’équipe soignante et de l’administration.

Pour ce dernier point, il va sans dire qu’en cas de dysfonctionnement signalé et sans acceptation des solutions émanant de l’équipe soignante par la Direction, c’est cette dernière qui assumera entièrement sur le plan médico-légal les complications dont les patients pourraient être victimes en lien direct avec ces mêmes dysfonctionnements.

Nous vous joignons donc ci-dessous l’Organigramme de Répartition Collective des Fonctions et Responsabilités pour le service de neurochirurgie du CHRU de Besançon à compter du 1er janvier 2023 et qui a été validé par l’ensemble des membres de l’équipe médicale.

Des réunions mensuelles associant l’ensemble des acteurs et actrices du soin permettront de piloter cette organisation et les actions à mener.

Dr NB

Responsable d’unité Sud (mois pairs) et unité Ouest (mois impairs)

Responsables recrutements (PH, professions de soin)

Référent Pathologie hypophysaire & Neuro-vasculaire

Dr AD

Responsable d’unité Sud (mois impairs) et unité Ouest (mois pairs)

Responsable Secrétariats & Consultations

Référente Neuro-oncologie / Chirurgie éveillée & Spasticité

Dr NH

Responsable Bloc Urgence (fonctionnement / équipement)

Référent Neuro-oncologie / Chirurgie éveillée / Pathologie du LCS & Epilepsie

Dr HK

Responsable qualité (EPP, accréditation, CREX, Ennov, Contentieux, Relation aux usagers)

Référent Rachis complexe & Douleur

Dr CL

Co-responsable encadrement des étudiants (service et bloc opératoire)

Responsable Consultation post-urgence

Référente RMM / Bibliographie

Dr AM

Responsable relations avec les Réanimations

Responsable Consultation post-urgence

Dr AP

Responsable Bloc Programmé (fonctionnement / équipement)

Responsable du tableau d’astreintes séniors

Référent Ostéolyse maligne rachidienne / Douleur / Dysraphies & Rachis complexe

Pr Laurent Thines

Responsable Universitaire (enseignement & encadrement des étudiants & internes)

Responsable Recherche-publications

Responsable des relations avec le CHU & Universités

Référent Pathologie Neuro-vasculaire / Chiari / Base du crâne / Névralgie du V & Pédiatrie

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Directeur par intérim, l’expression de nos sentiments distingués.

Besançon le 13/12/2022

L’équipe de neurochirurgie


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