Adresse aux français pour stopper la mise à mort
de nos Hôpitaux Publics.

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Vous, françaises, français, êtes loin de connaître l’état réel de vos hôpitaux et de savoir les drames humains qui s’y déroulent chaque jour. Je dresse ici un état des lieux de la situation sur le terrain pour susciter une réelle prise de conscience de la gravité des choses et lancer un appel à un sursaut citoyen pour ne pas accepter l'agonie de notre système de Santé.
En route vers l’A-normalité
On a vu ces derniers jours l’APHP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris) avoir recours à des transferts importants d’enfants (à minima 31 selon le Ministre de la Santé) nécessitant de la Réanimation Pédiatrique vers la Province et cela parfois à des centaines de kilomètres de chez eux, comme à Rennes. Du jamais vu dans notre pays, depuis l’épidémie de Covid 2019 ! Ceci confirme, si cela était encore nécessaire, l’état de dégradation avancée de notre système de Santé hospitalier qui n’est même plus capable d’absorber une banale épidémie de bronchiolite saisonnière. Au-delà du drame que cela peut représenter pour des parents d’être éloignés de leur enfant, il est important de souligner que transférer des bébés intubés et ventilés sur de longues distances, parfois en hélicoptère, ajoute un risque non négligeable de complications, de séquelles voire de décès… Est-ce tolérable en France ?

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On n’est cependant pas étonné que cela se produise au sein de l’APHP, un des plus grands complexes hospitaliers européens (excusez du peu), qui a été patiemment dépecé (moyens) puis vidé de sa substance (soignants) par Martin Hirsch, son ancien directeur. Lors de sa période de fonction, il a continué d’appliquer, avec il faut le dire ici un zèle excessif, des logiques managériales toxiques et des mesures d’austérité qui ont fini d’achever la structure. Une fois le travail de mise à sac effectué, et en bon carriériste de Direction Hospitalière, celui-ci coule maintenant des jours heureux comme vice-président de Galileo Global Education, la plus grande société privée d’enseignement supérieur en Europe. Comme pour Mme Buzyn avant lui, qui a été recasée à l’OMS, il n’a pas eu besoin de « traverser la rue pour trouver un emploi ». Le système néo-libéral sait comment rétribuer ses meilleurs fossoyeurs.

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Mais ce phénomène, qui peut vous paraître nouveau et inquiétant, n’est rien en comparaison des drames qui se nouent chaque jour au sein de vos établissements de « Santé ». Les soignants, eux, constatent avec amertume et découragement chaque jour cette dégradation qui s’est accélérée nettement depuis septembre 2021. Vous ne devez pas vous habituer à l’A-normalité.
Car il n’est pas normal qu’un patient porteur d’une énorme hernie discale, et qui s’est vu refuser l’admission aux urgences d’un hôpital de la Région après appel du 112, finisse par arriver sur la table d’opération à 5h du matin après un délai de 42h. Ceci a eu pour conséquence pour lui d’avoir une paralysie des membres inférieurs et de la vessie, des séquelles l’obligeant aux auto-sondages urinaires et à marcher avec deux cannes. On imagine aussi aisément la perte de qualité de vie, les difficultés psychologiques et corporelles pouvant être associées (trouble érectile) et les complications sociales (perte d’emploi, difficulté à se déplacer) qui peuvent en découler.
Il n’est pas normal qu’un homme d’âge moyen qui fait un coma brutal sur son lieu de travail (BTP) par rupture d’anévrisme n’arrive sur la table opératoire pour l’évacuation de l’hémorragie cérébrale et la sécurisation de son anévrisme qu’au bout de 9h de délai, après un passage par le chaos des urgences, quand on sait que le centre référent est à 1h de voiture… Nous avons fait notre maximum pour lui, avec un résultat opératoire excellent, mais des suites malheureusement dramatiques en raison d’un délai de compression cérébrale responsable d’une ischémie complète de son hémisphère gauche et d’une survie impossible sans séquelles neurologiques majeures et dépendance physique / psychique totale.
Il n’est pas normal que dans un CHU comme Dijon, une personne âgée décède récemment, de malnutrition, de déshydratation et d’alitement, en attendant une opération bénigne pour fracture du péroné reportée jour après jour aux calendes grecques. Il nous arrive également dans notre CHU de reporter de plusieurs jours certains gestes en apparence bénins pour des problèmes d’accès aux salles opératoires. La semaine passée, j’ai dû reporter, pour réduction supplémentaire des vacations opératoires, une patiente souffrant d’une névralgie cervico-brachiale sur hernie cervicale et qui ne pouvait faire autrement que mettre son bras au-dessus de sa tête pour se soulager de la douleur. Cela s’est fait à la dernière minute en raison d’une décision unilatérale de la Direction qui n’avait pas été transmise aux équipes de chirurgie. J’ai dû m’excuser auprès de la patiente et ravaler ma colère de subir une situation que je n’avais pas encore une fois créée.

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Il n’est pas non plus normal que dans un EHPAD de la Région, les soignants qualifiés soient remplacés par des contractuels non formés qui ont des pratiques totalement déviantes sur nos aînés : refus de mise au fauteuil, erreur d’administration de médicaments, utilisation de détergent pour le sol pour la réalisation des toilettes intimes… situation similaire rencontrée dans certaines crèches françaises il y a peu, où une employée a administré un détergent à un bébé qui pleurait trop souvent…
Et la liste de l’ensemble de ces cas que nous gérons ou que nous voyons dans nos institutions ou celles de la Région, est longue mais il ne nous est pas possible de la dresser de façon exhaustive sans compromettre aussi nos collègues qui subissent autant que leurs patients ces dysfonctionnements qu’on leur impose et dont ils sont les toujours les seuls à devoir se justifier. Ce sentiment d’injustice est pour bonne part à l’origine de nombreuses démissions d’infirmières et surtout de médecins ou de chefs de services qui en dernier recours assument la responsabilité médico-légale de ces complications.
Tout cela est bien A-N-O-R-M-A-L. Et la fréquence avec laquelle surviennent ce que l’on pourrait appeler « dysfonctionnements » est réellement inhabituelle et inquiétante. Tout cela se traduit maintenant pour vous et vos proches de façon brutale en perte de chance, perte de qualité de vie, handicaps, séquelles voire décès. Nous soignants qui faisons tout sur le terrain pour maintenir à bout de bras le système hospitalier sommes épuisés de nous battre seuls, tels des Don Quichottes, contre un système qui nous broie.
Retour du terrain en Bourgogne-Franche-Comté
La Direction nous a récemment intimé l’ordre de limiter les hospitalisations programmées parce qu’il n’y a plus assez de lits pour accueillir les patients admis aux urgences, après avoir fermé un service de post-urgence, après avoir validé les plans gouvernementaux successifs qui ont conduit depuis 2006 à une coupe rase des lits de 50.000 places au niveau national car "supprimer des lits", dans leur langage néomanagérial financier a un vrai sens : c’est celui de supprimer les personnels qui s’en occupent, et réduire la « masse salariale » et c’est leur moyen de suivre à la lettre les plans d’économie budgétaire imposés à l’Hôpital. Leur Graal. Dans le même temps, on apprend aussi des histoires révoltantes: telle épouse infirmière d'un interne de Marseille en stage vasculaire à Besançon s’est vue refuser de travailler pendant le semestre aux urgences du CHRU qui manquent cruellement de personnels ; telle aide-soignante s’est vue refuser une formation professionnelle pour devenir infirmière… elle démissionne pour se payer elle-même sa formation… en punition, elle est refusée à l’IFSI du CHU et doit intégrer l’IFSI de Dole… elle propose de travailler en remplacement cet été au CHRU: elle est également refusée ; telle secrétaire de service de consultation est préemptée par la Direction au détriment du service clinique sans remplacement pendant 3 mois… Ce système tourne vraiment fou. Pour nous sur le terrain, rien ne change, tout s’aggrave. Au quotidien, les arrêts grossesse, maladie, burnout (ce qu’ils appellent « absentéisme ») sont de moins en moins remplacés… les équipes sont à bout…cette semaine, une excellente infirmière pleurait lors de son poste de ne pouvoir faire son travail dans les bonnes conditions… Et je ne parle pas des rappels en semaine de repos, en WE, je ne parle pas des heures sup non payées (« écrétage » au-delà de 40h)… Tout cela n’a plus rien de commun avec l’humain, ni le soin.
Dans notre service, comme dans tous les services de notre CHU (et comme dans tous les CHU français), il nous manque selon les semaines jusqu’à 30 à 50% des infirmières, 25% des aides-soignantes, 20-40% des vacations opératoires. Nous faisons notre maximum mais pour maintenir la qualité des soins et la sécurité des patients et des personnels, nous en sommes conduits à nous tirer nous-mêmes « une balle dans le pied » en fermant des lits. C’est ce que nous avons, dans un cri de détresse, annoncé à la direction de notre CHU il y a 1 mois. Qu’avons-nous reçu depuis comme réponse ? Rien, ce qui équivaut à un mépris total. Pourtant, nous sommes un service d’accueil régional, entendez par là que les patients de Franche-Comté (1 million 250 habitants) n’ont que Besançon comme centre de recours en neurochirurgie. Pourtant nous sommes de bons élèves : notre activité génère +500.000 euros de « bénéfice » (désolé d’employer ainsi le langage de nos bourreaux) pour le CHU. Pourtant, depuis 7 ans nous avons donné un nouvel élan à notre équipe avec un recrutement de praticiens formés à la pointe de la neurochirurgie (recrutement vasculaire national pour les pontages cérébraux et les anévrismes géants, endoscopie hypophysaire, chirurgie tumorale éveillé, chirurgie de la colonne vertébrale sous-scanner peropératoire…). Pourtant, grâce à la rigueur et à de nouveaux protocoles, nous avons réduit par 2 la mortalité hospitalière et par 3 les infections nosocomiales… Sommes-nous récompensés pour autant ?
Il n’est pas normal qu’une direction laisse ses équipes seules au milieu du désert. Ces directions d’hôpitaux, et leurs directeurs qui ne viennent jamais sur le terrain pour voir les conditions de travail, sont endoctrinées par leurs logiciels de pensée et de gestion managériale, déconnectées de la réalité du terrain et inféodées à une idéologie libérale austéritaire et mortifère qui consiste à transformer l’hôpital public en entreprise rentable : transformer un « hôpital de stocks » (les patients) en un « hôpital de flux » (la durée d’hospitalisation), comme une ligne de fabrication automobile. C'est le Fordisme le plus basique mais appliqué à la Santé. Ces mêmes directions, qui pleurent maintenant des larmes de crocodile, en nous disant qu’elles ne trouvent plus de soignants volontaires pour travailler…pas étonnant quand on voit comment les Directions les considèrent, comment elles les ont sous-rémunérés (salaires au rabais, miettes du Ségur, heures sup non payées), comment elles les ont maltraités (lean-management, rappel sur WE et congés, ballottement d’un service à un autre, refus de formation professionnelle…). Maintenant, elles sont totalement dépassées par la bête qu’elles ont créée en appliquant le doigt sur la couture les directives de leur Ministère et de leur Gouvernement. Il est grand temps de redonner du pouvoir décisionnel aux soignants et agents des hôpitaux dans leur ensemble.

L’incurie gouvernementale et le conte de « l’argent magique »
Alors, n’attendez pas que Monsieur Macron vous/nous vienne en aide, lui qui a dit qu’il n’y avait « pas d’argent magique » pour l’Hôpital (budget annuel de la Sécu 240 milliards). Pas d’argent magique ? Oui, sauf pour ses amis du CAC 40 qui touchent 20 milliards d’aide par an sans que cela ait eu d’effets notables sur les embauches, les licenciements, les délocalisations. « Pas d’argent magique » ? Sauf pour l’évasion fiscale qu’on tolère à hauteur de 120 milliards par an. « Pas d’argent magique » ? Sauf pour les sociétés privées qui ont touché 160 milliards d’aide de l’État en 2021. « Pas d’argent magique » ? Sauf pour les superprofits qui ont rapporté aux actionnaires 170 milliards l’année passée. « Pas d’argent magique »…non, que le mépris.

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N’attendez pas non plus un miracle de Monsieur Braun qui comme ses prédécesseurs (Véran, Buzyn, Bachelot, Tourraine, Bertrand) ne fera que du cosmétique. Vous pensez qu’il développe une prise de conscience de la situation quand il dit que « l’hôpital est en difficulté » ? L’hôpital n’est pas « en difficulté », il est exsangue en soins palliatifs, vidés de ses soignants par 30 ans de casse et 6 ans d’incurie de ce dernier Gouvernement. Ce ne sont pas des « missions flashs », de « nouvelles assises de la Santé », un nouveau « Ségur » qui changeront les choses si on ne change pas de paradigme, à savoir : la Santé est un des biens les plus précieux, elle ne doit pas avoir comme unique paramètre la rentabilité, elle doit répondre aux besoins de la population et elle doit permettre à ceux qui y travaillent d’être épanouis et rémunérés dignement.

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Une situation Révoltante
Tout ce qui se passe ici, entre nos murs, est révoltant. Vous n’en voyez que la partie émergée. Nous ne pouvons pas, après des années de sacrifices, de réorganisations, d’épuisement, de Covid et de mobilisations diverses (grèves, manifestations, collectifs, articles, livres…), continuer à lutter seuls. Nous sommes piégés ici, entre ces murs, par un système qui nous aliène et nous sommes liés par notre vœu d’humanité de soignant. N’attendez pas d’être broyé à votre tour par la dure réalité quand vous, ou un de vos proches, serez les victimes de ce qu’est devenu notre système de Santé.
Tout cela est révoltant ? Alors révoltez-vous ! Faites pression de toutes les manières possibles sur le Gouvernement, le Ministère et son Administration hospitalière pour mettre fin à ce massacre. Il n’est plus temps de savoir « qui est responsable », « quel est le but recherché », « à qui profite le crime »…le temps est venu d’agir et de dire STOP !
Liens vidéos:
https://www.facebook.com/laurent.thines

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