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Billet de blog 8 janv. 2020

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J’étouffe ! (ou chronique désespérée d’une petite mort banale sur le bitume)

J’étouffe: un mort lors d’une interpellation… quoi de plus banal pour commencer l’année 2020 ? En bonus: la fakenews de la Préfecture de Police de Paris + collaboration des médias mainstream. Une clé d’étranglement sur un citoyen lambda qui nous pousse dans la sidération et l’horreur du quotidien de notre France. Pour ne pas sombrer, à la fin, un poème hommage à Cédric.

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Illustration 1
Un ministre de l’Intérieur satisfait. © Mediapart

J'étouffe !

(ou chronique désespérée d’une petite mort banale sur le bitume) 

- La nouvelle est tombée ce 3 janvier…comme un couperet aiguisé sur une nuque bien rasée et néanmoins frémissante: SCHLACK !

- Où?

- Je sais plus, sur celle de l'oiseau-bleu, ou alors une belle informée m’en a parlé… non en fait, c’était une vague annonce sur la ligne de portée musicale des pépiements des étourneaux de la désinformation…inconsistante…confuse… la vague.

- Du genre ?

- Ah, oui, un (vague) quidam, le demi-frère (inconsistant) d’un joueur de foot… arrêté par la maréchaussée pour excès de conduite en état de sobriété dans la capitale…le truc hyper banal, tu vois ? Pas de quoi casser trois pattes à un poulet...

- Et puis quoi ?

- Euh, oui: (confus) le gars. Tu sais genre « racaille » ou « cassos » ou même peut être bien « gilet jaune », c’est bientôt le printemps, ils reviennent, ils l’annoncent longtemps à l'avance… En tout cas, il était « louche », enfin c’est ce que j’ai ressenti quand je l’ai vu pour la première fois à la Radio décrit par un journaliste con-plaisant et con-vaincant...

- C’est à dire ?

- Il paraît que le livreur, dont on parle, oui parce qu’en fait finalement, c’est pas un joueur du PSG, c’est un livreur, tu suis ? Enfin, c'était… Bon, le garçon s’énerve…

- Sans plaisanter ?

- Je t’assure y-a-des gens, vraiment ! Le type se fait pincer en flagrant délit de rouler en scooter sur la route avec un casque équipé d'un kit main libre, enfin par pour longtemps...les mains, et en plus il n’est pas content de se faire verbaliser pour rien ! Si, je te jure…les gens sont dingues de nos jours, il n’acceptent plus rien: ni les contrôles au faciès, ni les verbalisations abusives, ni les grenades lacrymo ou les LBD…Fous, te dis-je ! Alors que nous, on sait très bien depuis le Toqué-Tiqué, qu’il faut pas broncher avec les gens d’armes vu qu’ils sont armés et légitimes, et pas nous. Et oui. Mais lui, le gars, je sais pas, il s’agace.

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Je sais plus au juste, j’imagine: il est « livreur », il bosse lui, il doit gagner sa croûte de pain quoi ! Donc là, il perd du temps. Il voit le soleil qui monte dans le ciel. L’ombre du style qui se déplace sur le cadran. Il perd du blé sur le champ de bétail, alors il veut régler le truc promptement… c’est ça le « beurrisation » de la société: le coursier à deux-balles, maintenant, il veut « le beurre et en plus, l’argent du beurre », tu comprends ? Alors du coup, il est furynx ! Et il s’énerve…méchant. C’est ce qu'ils ont gravé dans les rétines de nos cerveaux aux écrans des ordinateurs.

- Bon...

- Ah non mais attends ! Il paraît qu’il avait de gros problèmes de coeur en plus… On n'a pas idée de s’énerver comme ça alors qu’on roule avec son coeur d’artichaut dans les embouteillages de la grève générale avec son casque sur sa tête de bien propre sur soi et qu’on a le palpitant fragile…bein oui…c’est le Hic: Hypertension intra-cardiaque. Et là, les pipelines coronaires se sont bouchés ! Il paraît.

- T’es sûr ?

- Mais j’en sais rien moi, je suis pas cardio-psychiatre pour coursier en fleurs !

- Mouais...

- Mais si, parce que là, BIM ! Clou de la tragédie: Arrêt de la pompe - direct - tout bleu comme la veste du Policier qui l’a même pas touché faut pas croire… le policier, enfin « les » parce qu’en réalité, ils étaient trois les pauvres.

- Pourquoi ? On devient « bleu » après un arrêt cardiaque ?

- Bah, j’en sais fichtre rien moi ! Ils nous l’ont inculqué dans nos têtes à la Télé, sur les réseaux sociaux, tout ça…Tu sais bien, comment ça s’imprime sur ton cortex l’encre noire déposée par le rouleau compresseur de la machine à écrire la vérité médiatique qui arrange ceux qui ne veulent pas qu’on sache ce qu’on va découvrir quelques temps après… 

- Abrège !

- Donc, les policiers ils n’écoutent que leur courage, le prennent à deux mains et à deux pieds, tu comprends, sinon IGPN direct. BAM ! Et là, ils risquent gros: 1 avertissement ! Puis au bout de 20 avertissements, ils peuvent avoir 1 blâme, et au bout de 20 blâmes, ils risquent d’être déplacés de commissariat, et tout ça pour une simple: « non assistance à personne en danger de coronaires bouchées »…Ils sont pas bêtes. Alors ils donnent un coup de main…à plat, ça laisse pas de trace comme ça. CLAC !

- C’est fini ?

- Non, écoute ! Alors, que le gars, apparemment, était déjà tombé d’un coup sur le bitume balayé par le destin de la malchance chaussée en 43…comme ça, malaise syncopal de la glissade cardiaque inopinée, VLAN !…, et bien du coup, les policiers se retrouvent, à l’insu de leur plein gré, forcés de lui sauter dessus, à trois, à poids joints, pour lui inculper dans le thorax et dans la gorge les premiers secours: écrasement ventral du bouche à bouche d’égout + étranglement free-fight du larynx pour libérer les voies aériennes de l’arrestation de son problème cardio-routier...

- Ah, ouais !!! On apprend ça à l’école de Police ? Ils sont balèzes !

- Oui, surtout celui avec le crâne rasé, mais ça n’a pas suffit, et cela malgré toute la bonne volonté du dévouement de la résurrection de la bavure policière…puis le SMUR l’a embarqué avec le SAMU dans une belle ambulance rouge de pompiers, direction les urgences bondées du radeau de l’hôpital à la dérive…celui qui vogue avec les péniches marrons sur la Seine grisâtre… A moins que ce ne soit l’inverse ? Les couleurs... tu vois quoi ?

- Tu me prends pour une buze ?

- Alors, j’ai dit à ma belle informée: « Attendons d’avoir un peu plus d’infos sur le contexte…pas de spéculations hasardeuses.» Voilà. On sait maintenant. Il est mort. Le cerveau était devenu trop bleu aussi. Bleu foncé, comme le coeur sous la veste du policier qui a déteint dessus lui en l’étouffant de son anoxygénation d'humanité. Pas possible de rebooter les connexions.

- Ah...

- J’ai dit à ma belle informée: « Attendons tout de même l’autopsie du malheureux, maintenant… ». Mais au fond de moi, je pensais: « C’est encore notre France, tout ça ? »

- Pfffff...

Et puis, la deuxième lame du rasoir de l’autopsie médico-légale est passée pour couper au plus près nos rêves de scooter en liberté dans les rues de Paris, de jours meilleurs pour tous les livreurs de bonheur de la terre, de fraternité avec les gardiens de nos paix intérieures, de dribbleur de destin dans les rues pavées de voitures bégayantes… En fait, le gentil livreur de rêves, papa de cinq marmots, il a été tué par un atémi de l’avant-bras étrangleur de la Police nationale qui a brisé d’un coup sec - CRAC - aux arcs de son larynx le souffle pur de sa liberté…elle s’est ensuite éparpillée partout aux alentours en mille éclats de cris translucides… on aurait dit un envol de guillotines. C’est le poète qui me l’a raconté...

Au secours, elle est terrible ton histoire ! J’étouffe à mon tour !


Compagnies républicaines d’insécurité

A Cédric Chouviat

Je suis le bouclier
qui réfléchit ta peur
puis attise ton courage                - bleu

Je suis le tonfa
qui saigne ton visage
puis empourpre ton gilet               - orange

Je suis le gaz
qui napalme tes bronches
puis hurle par ta trachée               - rose

Je suis la matraque
qui fouette dans ta chair
puis ressuscite ton corps              - mauve

Je suis la balle
qui flashe sous ton arcade
puis étendarde ton œil                 - noir

Je suis la grenade
qui décapite ton poing
puis déflagre ta colère                 - rouge

Je suis la botte
qui s’essuie dans ton ventre
puis se souille de ton suc              - vert

Je suis la gueule
qui déchire dans ta chair
puis se brise sur ton os                 - blanc

Je suis la charge
qui laboure ton espoir
puis sème ta Révolte                   - Jaune

Je suis le bras sombre
d'un pouvoir
qui étrangle et qui broie
aux arcs de ton larynx
le souffle pur de ta Liberté

s’éparpillant alentour
en mille éclats
de cris translucides

tel un envol de guillotines

Combattants de l’arc-en-ciel

Nous sommes - bleu
Nous sommes - orange
Nous sommes - rose
Nous sommes - mauve

Nous sommes - noir
Nous sommes - rouge
Nous sommes - vert
Nous sommes - blanc
Nous sommes - Jaune

Nous sommes les sensibles

Nous sommes silencieux

Nous sommes les indicibles

Nous sommes licencieux

Nous sommes les invisibles

Nous sommes courageux


Nous sommes tous des Rimbaud-warriors

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