La justice espagnole empêche le juge Baltasar Garzón d’enquêter sur une affaire de corruption*. Dans le même temps, elle classe provisoirement le dernier dossier en cours contre la veuve du dictateur chilien Augusto Pinochet.
77,348 millions de dollars (59 millions d’euros) : c’est la somme (estimée par le juge Garzón) qu’Augusto Pinochet et son épouse auraient blanchie. Dans ce dossier, deux chefs d’accusation -détournement de biens et blanchiment d’argent- et 5 accusés : Augusto Pinochet (mort en 2006), son épouse Lucía Hiriart, son ex-avocat Oscar Custodio Aitken, et deux anciens hauts responsables de la Banque nationale chilienne Banco de Chile, Pablo Granifo et Hernán Donoso.
Ces accusations, provisoirement classées sans suite ce lundi, entrent dans la plainte qui avait conduit à l’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres en 1998. Ces accusations sont aussi les dernières dans les cartons de la justice espagnole, contre Augusto Pinochet et sa famille.
Pourquoi ce non-lieu provisoire contre Madame Pinochet ? Le juge, Pablo Ruz, qui remplace Baltasar Garzón au tribunal d’instruction numéro 5 de la Audiencia Nacional (la plus haute juridiction pénale en Espagne, l’équivalent de la Cour de Cassation en France), a déclaré lundi que ces enquêtes sont actuellement connues par un tribunal chilien qui a la juridiction et la compétence pour de telles affaires.
Plus surprenant : ce même juge considère qu’il existe une enquête et une poursuite réellement effectives des crimes dénoncés en Espagne. Bref, que la justice chilienne se trouve nécessairement en meilleure position pour la poursuite et l’éventuel jugement de ces faits.
Surprenant que ce magistrat espagnol, pourtant progressiste, et ex-membre du groupe de réflexion « Un autre droit pénal est possible », ait pris cette décision. Car au regard du travail de la justice chilienne, l’on peut –objectivement- douter que l’enquête contre Pinochet et ses proches pour blanchiment d’argent soit réellement effective.
L'enquête n'avance pas au Chili
- En 2000, quand l’extradition de Pinochet en Espagne a été rejetée, le dictateur sénile a pu rentrer au Chili, et y couler des jours heureux. Assigné à résidence deux mois avant sa mort, il a été interrogé, de rares fois, par la justice de son pays.
- En 2006, la Cour d’Appel de Santiago annule les procès contre l’épouse (Lucía Hiriart) et la fille de Pinochet (María Verónica) pour évasion fiscale. Dans sa résolution, la Ve chambre du Tribunal d’Appel estime que le juge Carlos Cerda n’a pas la juridiction dans cette affaire qui viserait uniquement Augusto Pinochet, et non pas sa famille.
- En 2009, le juge Garzón demande aux autorités judiciaires chiliennes d’interroger la veuve du dictateur, accusée d’avoir blanchi et détourné des biens pour un total de 59 millions d’euros. Demande rejetée par le Haut Tribunal Chilien, Lucía Hiriart n’a jamais été interrogée. Pourquoi ?
- En avril 2010, Mónica Maldonado, alors Procureure de la Cour Suprême chilienne, recommande de ne pas donner suite à la demande du juge Garzón, car au Chili, une enquête est également en cours sur l’origine de la fortune de Pinochet. C’est sur cette recommandation que s’est basé Pablo Ruz pour classer, provisoirement, la plainte contre Lucía Hiriart, ce lundi.
Qu’invoquait Pablo Ruz ? Une enquête et une poursuite réellement effectives [au Chili] des crimes dénoncés en Espagne.
Autant dire que l’ex-avocat de Pinochet, et les deux anciens dirigeants de la Banque nationale chilienne, ont de beaux jours devant eux. Quant à la veuve du dictateur, elle doit être ravie, elle qui a déclaré en 2000 que la justice chilienne est manipulée par le juge Garzón, un juge espagnol sans la moindre importance.
* La justice espagnole a condamné Baltasar Garzón à 11 ans d’interdiction professionnelle pour abus de pouvoir, après la mise sous écoute de conversations entre les accusés de l’affaire « Gürtel » et leurs avocats. De hauts responsables du parti conservateur actuellement au pouvoir, le Parti Populaire, sont impliqués dans cette affaire.