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Billet de blog 11 juin 2012

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Au Chili, Pinochet ressuscite le temps d’une cérémonie

Plus de vingt ans après la fin de la dictature, les partisans de Pinochet semblent toujours aussi nombreux. Dimanche matin, ils ont rendu hommage à l’ex-dictateur, avant que de violents incidents n’éclatent.

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Plus de vingt ans après la fin de la dictature, les partisans de Pinochet semblent toujours aussi nombreux. Dimanche matin, ils ont rendu hommage à l’ex-dictateur, avant que de violents incidents n’éclatent.

« Tant que le Chili existera, les pinochetistes existeront. » Nous sommes bien en 2012, à Santiago. Le temps d’une matinée, le théâtre Caupolicán s’est transformé en antre du pinochetisme. Près de 2 000 personnes se sont donné rendez-vous dans ce quartier populaire du Sud de la capitale, pour rendre hommage à Augusto Pinochet, l’ex-dictateur qui gouverna le Chili de 1973 à 1990.

Le public, électrisé, hurle « Vive Pinochet » et brandit des drapeaux « Merci libérateur ». Du haut du premier balcon, flottent les drapeaux des partis de la droite chilienne, dont Rénovation Nationale, RN étant le parti du président Sebastián Piñera.

La « Corporation du 11 septembre » est à l’initiative de cette cérémonie. Cette association, qui défend le coup d’État militaire du 11 septembre 1973, a souhaité diffuser en avant-première le documentaire « Pinochet ! » réalisé par Ignacio Zegers.

Primé par un obscur festival de cinéma aux États-Unis, ce film prétend « rétablir la vérité historique ». Prétend. Car il ne pipe mot ni sur le plan Cóndor, ni sur les 30 à 40 000 disparus, ni sur les viols commis par les militaires en prison, ni sur les enfants volés. La DINA, la police secrète chilienne, n’est pas non plus mentionnée.

En revanche, le film fustige âprement le gouvernement « terroriste » et « marxiste-léniniste » de Salvador Allende, et souligne le rôle des groupes « paramilitaires clandestins » dans la déstabilisation du Chili des années 70. Des groupes, en réalité, fantasmés par l’ultra-droite chilienne.

À la vue de l’ex-président socialiste Allende, la salle galvanisée  hurle à pleins poumons « maricón » (« pédé », insulte homophobe relativement courante au Chili). « Maricón » aussi quand Sebastián Piñera, l’actuel président de droite, apparaît à l’écran.

Pendant ce temps-là, les associations de Droits de l’Homme manifestent à quelques blocs du théâtre, face aux barricades érigées par la police.

Le film se termine. La cérémonie aussi, avec l’hymne national chanté par les sympathisants de Pinochet, les larmes aux yeux. Un court instant, leur général revit. On se croirait en 1973, quelques jours après le coup d’État. Gonflés à bloc, les militants pinochetistes sortent dans la rue, et brandissent çà et là un buste ou une photo de l’ex-dictateur, comme des trophées.

Le quartier se transforme alors en un champ de bataille. Les canons à eau tirent sur la foule des jets d’eau et de gaz irritants. La police arrête 53 personnes.

Cérémonie autorisée par le gouvernement

Le gouvernement devait-il autoriser cet hommage ? La question a divisé le pays la semaine dernière. Certains ont rappelé que l’Allemagne interdisait toute cérémonie à Hitler. Mais au Chili, l’État doit respecter « les droits de réunion, les manifestations, et la liberté d’expression de tous », a indiqué le porte-parole du gouvernement.

Dans les faits, le gouvernement a soutenu cette cérémonie : il a permis son bon déroulement. Il a assuré la sécurité des nostalgiques de l’ère Pinochet en mettant à leur disposition policiers et forces spéciales. Lesquels ont tenté d’interdire les journalistes de prendre des photos. Lesquels ont aussi réprimé de manière violente, parfois injustifiée. À 11 heures, alors que les manifestants protestaient de manière pacifique, les camions blindés les ont dispersés à l’aide de canons à eau.

Cette cérémonie est une « aberration » pour Adolfo Pérez Esquivel. Le prix Nobel de la paix argentin estime que rendre hommage « à un criminel, cela revient à cautionner la torture et les violations des Droits de l’Homme ».

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