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Billet de blog 29 octobre 2021

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Scénarios Énergie 2050: RTE pour une décroissance radicale ?

En se focalisant sur la part du nucléaire que contiennent les différents scénarios énergétiques élaborés par RTE pour l'horizon 2050, les commentateurs passent à côté de l’essentiel : le projet de baisse de 40 % de la consommation totale d’énergie en trente ans. Un projet qui pose forcément question, tant rien n’est prêt...

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Extrait du "Petit Guide de l'Effondrement" © Emile Bertier, Yann Girard

RTE vient de publier son étude prospective « Futurs Energétiques 2050 », « fruit de deux ans de travail et de concertation » qui élabore six scénarios de sortie des énergies fossiles (pétrole, gaz) dans les trente ans à venir. La plupart des commentaires glosent sur la part de nucléaire qu’ils contiennent (de 0 % dans un mix 100% renouvelable à 50%). Ce faisant, ils passent à côté de l’essentiel.

Passer d’un monde de pétrole-gaz à un monde électrique demande des efforts incommensurables. C’est pourquoi les experts de RTE ont préféré se faciliter la tâche en choisissant un prémisse facilitateur : ils tablent sur une diminution de 40 % la consommation d’énergie totale en France, à 930 TéraWatt heures.

Il s’agit donc grosso modo de retrouver la consommation énergétique de la France en 1968. Depuis cette date, le PIB par habitant a été multiplié par 2,4 tandis que la facture énergétique est passée à 1 600 TWh, fossiles aux deux tiers.

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Graphique contenu dans le rapport RTE © RTE

Depuis plus de 150 ans, la création de richesses s’est réalisée grâce à une hausse continue de la consommation d’énergie. Rien n’est si bien corrélé que le lien entre PIB et Tep (Tonne équivalent pétrole) consommées, même si les avancées technologiques ont permis des gains d’efficacité énergétiques.

Le corollaire, c’est que nous n’avons jamais su et ne savons toujours pas créer plus ou autant de richesses avec moins d’énergie.

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Infographie Le Monde © Le Monde

Les effets rebonds contrebalancent en partie les gains de productivité énergétiques : l’amélioration de la performance des moteurs thermiques augmente la production de gros véhicules (4x4, SUV), celle de la performance énergétique des logements augmente le confort des habitations : quand on améliore l’isolation d’un logement, on chauffe autant pour avoir plus chaud.

Mais quand même, une baisse de la quantité d’énergie disponible de l’ordre de celle envisagée par RTE revient de fait à supprimer un paquet de métiers et d’outils qui seront considérés comme superflus dans un contexte de contraction, ce qui aura pour conséquence de réduire d’autant la richesse produite.

De ce fait prévoir une baisse de consommation énergétique globale de 40 % revient grosso modo à prévoir une baisse du PIB du même ordre, mettons un tiers (33%) en tenant compte de potentiels gains d’efficacité énergétique.

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Graphique du Shift Project utilisé par JM Jancovici dans ses conférences © Jancovici Shift Projet

À cela il faut ajouter un autre facteur : une augmentation générale du prix des choses pour plusieurs raisons :

- une énergie plus chère, donc des coûts de production et de transport plus élevés.

- l’abandon des composants issus du pétrole dans les milliers d’objets du quotidien. Le pétrole est partout, dans nos vêtements, nos appareils, nos outils, nos emballages. Pour une raison simple : peu onéreux et facile à mettre en œuvre. Le remplacer partout où il est présent sera coûteux.

A l’horizon 2050 il faudra donc faire non seulement avec un tiers de richesse en moins mais avec une baisse plus importante encore de pouvoir d’achat. Les scénarios de RTE nous disent en substance : « préparez-vous à diminuer votre niveau de vie de moitié ».

Ce programme est probablement fatal. Mais imaginer qu’il se fera dans la paix et la douceur est largement illusoire.

Les oligarchies néo-libérales construisent patiemment depuis des décennies un système ségrégationniste dans lequel elles se taillent la part du lion. Elles nous montrent quotidiennement que dans le partage du gâteau de la richesse, ceux qui tiennent le manche du couteau ne sont pas prêts de le lâcher. En témoigne en ce moment par exemple l’envolée des ventes des voitures de luxe1.

Pour avoir la moindre chance d’être vivable, une réduction drastique de la richesse commune devrait forcément commencer par frapper le plus fort ceux qui possèdent le plus. Assistés d’escouades de journalistes, d’experts et de laquais qui défendront bec et ongle l’indéfendable, ils ne se laisseront pas faire. Tous les moyens seront bons, y compris la force.

C’est pourquoi avant même de se demander quelle est la bonne part du nucléaire dans le mix énergétique de 2050 il serait peut-être plus judicieux de se demander comment une société comme la nôtre peut choisir de baisser volontairement sa consommation énergétique de 40% et se passer de pétrole alors que rien dans sa structure économique, technique, sociale ou mentale n’est prêt pour cela.

1https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/28/je-n-ai-jamais-vu-un-tel-niveau-d-activite-la-bonne-fortune-des-voitures-de-luxe_6100208_3234.html

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