J’ai deux livres principaux qui me servent depuis longtemps à penser le présent. En termes de capacité à frapper l’esprit en profondeur, la fiction est souvent bien plus efficace qu’un livre de sociologue ou de philosophe.
Pour penser la surveillance d'État, il y a bien sûr 1984, de George Orwell. Pour penser l’éthique et les dérives technicistes, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley est depuis mon adolescence une référence sûre.
Ces deux maitres-livres traitent de la gouvernance des individus par un État dont la société a perdu le contrôle.
Aldous Huxley trouvait son ouvrage, Brave New World, paru en 1932, plus réaliste que 1984 et plus proche de ce qu’annonçaient les progrès scientifiques de son temps. En 1958, il reprit dans un petit essai, Brave New World Revisited (Retour au meilleur des mondes) quelques-unes de ses idées.
J’en livre ici quelques extraits de ce Retour au meilleur des mondes qui ne manquent malheureusement pas d’actualité, et qui prophétisaient peut-être ce "monde d'après". Je conseille de se procurer les livres d’Aldous Huxley chez Pocket, ou chez Omnibus, qui a sorti une compilation (ici). Personnellement, j'ai imprimé les divers extraits ci-dessous pour faciliter la lecture.
Les citations ne sont pas paginées car j’ai utilisé une version électronique. Les sous-titres sont de moi, le reste est d'Aldous Huxley sauf formulé explicitement.
Le désir de liberté a disparu & le cauchemar de l’organisation intégrale
Vingt-sept ans plus tard, dans ce troisième quart du vingtième siècle après J-C. et bien longtemps avant la fin du premier siècle après F., je suis beaucoup moins optimiste que je l'étais en écrivant Le Meilleur des Mondes. Les prophéties faites en 1931 se réalisent bien plus tôt que je le pensais. L'intervalle béni entre trop de désordre et trop d'ordre n'a pas commencé et rien n'indique qu'il le fera jamais. En Occident, il est vrai, hommes et femmes jouissent encore dans une appréciable mesure de la liberté individuelle, mais même dans les pays qui ont une longue tradition de gouvernement démocratique cette liberté, voire le désir de la posséder, paraissent en déclin. Dans le reste du monde, elle a déjà disparu, ou elle est sur le point de le faire. Le cauchemar de l'organisation intégrale que j'avais situé dans le septième siècle après F. a surgi de lointains dont l'éloignement rassurait et nous guette maintenant au premier tournant. [...]
Les tentations du pouvoir
Chaque fois que la vie économique d'une nation devient précaire, le gouvernement central est contraint d'assumer des responsabilités supplémentaires dans l'intérêt général ; il doit mettre au point des plans minutieux pour faire face à une situation critique, imposer des restrictions plus sévères encore aux activités de ses sujets et, dans le cas probable où l'aggravation des conditions économiques provoque une agitation politique, voire une rébellion ouverte, intervenir pour sauvegarder l'ordre public et sa propre autorité. Ainsi, des pouvoirs de plus en plus grands sont concentrés entre les mains de l'exécutif et de ses bureaucrates. Or, la nature du pouvoir est telle que même ceux qui ne l'ont pas recherché mais à qui il a été imposé, ont tendance à y prendre goût. Nous demandons dans nos prières de ne pas être induits en tentation et nous avons bien raison, car si les humains sont tentés de manière trop alléchante, ou trop longtemps, ils succombent généralement. Une constitution démocratique est un dispositif conçu pour empêcher les chefs locaux de céder à ces tentations particulièrement dangereuses qui surgissent quand trop de pouvoirs sont réunis dans trop peu de mains. Un tel système fonctionne assez bien là où, comme en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, il existe un respect traditionnel pour la procédure parlementaire. Là, où la tradition républicaine ou monarchique mitigée est faible, la meilleure des constitutions n'empêchera pas les politiciens ambitieux de succomber avec allégresse et délectation, aux tentations du pouvoir.
La dictature « efficace » de demain
Dans les dictatures plus efficaces de demain, il y aura sans doute beaucoup moins de force déployée. Les sujets des tyrans à venir seront enrégimentés sans douleur par un corps d’ingénieurs sociaux hautement qualifiés. Un défenseur enthousiaste de cette nouvelle science écrit “Le défi que relève de nos jours le sociologue est le même que celui des techniciens il y a un demi-siècle. Si la première moitié du vingtième siècle a été l’ère des ingénieurs techniques, la seconde pourrait bien être celle des ingénieurs sociaux”. Et je suppose que le vingt et unième sera celle des Administrateurs Mondiaux, du système scientifique des castes et du Meilleur des Mondes. A la question quis custodiet custodes ? - qui gardera nos gardiens, qui organisera les organisateurs techniques ? on répond sereinement qu’ils n’ont pas besoin de surveillance. Il semble régner parmi certains docteurs en sociologie la touchante conviction que leurs pairs ne seront jamais corrompus par l’exercice du pouvoir. Tel sire Galahad, ils sont forts comme dix parce que leur cœur est pur - et leur cœur est pur parce que ce sont des savants qui ont suivi six mille heures de cours sur les sciences sociales. [...]
Information des masses & concentration de l’information
En un mot, l’information des masses n’est ni bonne, ni mauvaise ; c’est simplement une force et comme n’importe quelle autre, elle peut être bien ou mal employée. Dans le premier cas, la presse, la radio, le cinéma sont indispensables à la survie de la démocratie ; dans le second, elles sont parmi les armes les plus puissantes de l’arsenal des dictateurs. Dans ce domaine comme dans presque tous ceux de l’entreprise humaine, les progrès techniques ont lésé les Petits et favorisé les Gros. Il y a cinquante ans encore, tous les pays démocratiques pouvaient s’enorgueillir du grand nombre de leurs petits quotidiens locaux, où des milliers d’éditoriaux exprimaient des milliers d’opinions indépendantes. Ici ou là, presque tout un chacun parvenait à faire imprimer pratiquement n’importe quoi. Aujourd’hui, légalement, la presse est encore libre, mais la plupart des petits journaux ont disparu ; le coût de la pâte à papier, des machines à imprimer modernes et des agences de presse est trop élevé pour les Petits. Dans l’Est totalitaire, il existe une censure politique et les organes de diffusion des nouvelles sont contrôlés par l’Élite de la Puissance. La censure avec l’accroissement des dépenses et, par voie de conséquence, la concentration des possibilités d’information entre les mains de quelques grands organismes, est moins odieuse que le monopole d’Etat et la propagande gouvernementale, mais ce n’est assurément pas une chose qu’un démocrate jeffersonien pourrait approuver.
Information & distraction
En ce qui concerne la propagande, les premiers partisans de l’instruction obligatoire et d’une presse libre ne l’envisageaient que sous deux aspects : vraie ou fausse. Ils ne prévoyaient pas ce qui, en fait, s’est produit - le développement d’une immense industrie de l’information, ne s’occupant dans l’ensemble ni du vrai, ni du faux, mais de l’irréel et de l’inconséquent à tous les degrés. En un mot, ils n’avaient pas tenu compte de la fringale de distraction éprouvée par les hommes.
Dans le passé, la plupart n’avaient jamais la possibilité de l’assouvir complètement ; ils le désiraient avec ardeur, mais on ne leur en fournissait pas l’occasion. Noël venait, mais une fois l’an seulement, les fêtes étaient “ solennelles et rares ”, il y avait peu de lecteurs, très peu à lire et ce qui approchait le plus d’un cinéma de quartier, c’était l’église paroissiale où les représentations, bien que fréquentes, étaient quelque peu monotones. Pour trouver une situation comparable, fût-ce de loin, à celle qui existe actuellement, il nous faut remonter jusqu’à la Rome impériale, où la populace était maintenue dans la bonne humeur grâce à des doses fréquentes et gratuites des distractions les plus variées, allant des drames en vers aux combats de gladiateurs, des récitations de Virgile aux séances de pugilat, des concerts aux revues militaires et aux exécutions publiques. Mais même à Rome, il n’existait rien de semblable aux distractions ininterrompues fournies par les journaux, les revues, la radio, la télévision et le cinéma. Dans Le Meilleur des Mondes, les distractions les plus alléchantes sont délibérément utilisées et à jet continu, comme instruments de gouvernement pour empêcher les populations d’examiner de trop près les réalités de la situation sociale et politique.
La propagande en démocratie
Seuls les vigilants peuvent sauvegarder leurs libertés et seuls ceux qui ont sans cesse l'esprit présent et l'intelligence en éveil, peuvent espérer se gouverner effectivement eux-mêmes par les procédures démocratiques. Une société dont la plupart des membres passent une grande partie de leur temps, non pas dans l'immédiat et l'avenir prévisible, mais quelque part dans les autres mondes inconséquents du sport, des feuilletons, de la mythologie et de la fantaisie métaphysique, aura bien du mal à résister aux empiétements de ceux qui voudraient la manipuler et la dominer.
Dans leur propagande, les dictateurs contemporains s’en remettent le plus souvent à la répétition, à la suppression et à la rationalisation répétition de slogans qu’ils veulent faire accepter pour vrais, suppression de faits qu’ils veulent laisser ignorer, déchaînement et rationalisation de passions qui peuvent être utilisées dans l’intérêt du Parti ou de l’État. L’art et la science de la manipulation en venant à être mieux connus, les dictateurs de l’avenir apprendront sans aucun doute à combiner ces procédés avec la distraction ininterrompue qui, en Occident, menace actuellement de submerger sous un océan d’inconséquence la propagande rationnelle indispensable au maintien de la liberté individuelle et à la survivance des institutions démocratiques.
La propagande en dictature
« Toute propagande efficace », a écrit Hitler, « doit se borner au strict indispensable, puis s’exprimer en quelques formules stéréotypées. » Celles-ci doivent être constamment reprises, car « seule la répétition constante réussira finalement à graver une idée dans la mémoire d’une foule ». La philosophie nous enseigne à douter de ce qui nous paraît évident. La propagande, au contraire, nous enseigne à accepter pour évident ce dont il serait raisonnable de douter. Le but du démagogue est de créer la cohésion sociale sous sa propre autorité. [...]
Telle était donc sur l’humanité dans sa masse l’opinion de Hitler : elle était féroce, était-elle fausse ? On connaît l’arbre à ses fruits et une conception de la nature humaine qui a inspiré un genre de méthode aussi horriblement efficace doit contenir au moins une part de vérité. La vertu et l’intelligence appartiennent aux humains en tant qu’individus librement associés à leurs semblables dans de petits groupes. Le péché et la bêtise aussi. Cependant, la vanité préhumaine à laquelle le démagogue fait appel, le crétinisme moral sur lequel il s’appuie quand il fouaille ses victimes pour les jeter dans l’action, sont des traits qui caractérisent l’homme et la femme non pas en tant qu’individus, mais dans la masse. L’absence de pensée et l’idiotie morale ne sont pas des attributs caractéristiques de l’espèce humaine, ce sont des symptômes d’empoisonnement grégaire. [...] Sous les Nazis, des multitudes énormes étaient obligées de passer un temps non moins énorme à marcher en rangs serrés du point A au point B, pour revenir au point A. « Ce soin de garder ainsi toute la population en mouvement semblait être une perte insensée de temps et d’énergie. Ce n’est que bien plus tard », ajoute Hermann Rauschning, « qu’on y a découvert une intention subtile, fondée sur une coordination judicieuse des fins et des moyens. La marche au pas cadencé détourne les pensées des hommes, elle tue l’intelligence, elle supprime la personnalité, elle est le coup de baguette magique indispensable pour accoutumer les gens à une activité mécanique, quasi rituelle, jusqu’à ce qu’elle devienne une seconde nature. » [...]
Masse & démocratie
Plus on est nombreux, moins on peut se gouverner soi-même. Plus le corps électoral est vaste, moins chaque vote individuel a de valeur. Quand il est noyé au milieu de millions d’autres, l’électeur a l’impression d’être impuissant, ou quantité négligeable. Les candidats auxquels il a donné sa voix sont loin, au sommet de la pyramide du pouvoir. En théorie, ils sont les serviteurs du peuple, mais en pratique, ce sont eux qui donnent les ordres et c’est le peuple souverain, tout en bas du grand édifice, qui doit obéir. L’augmentation de la population et les progrès de la technique ont eu pour résultat d’accroitre le nombre et la complexité des organisations, ainsi que la quantité des pouvoirs réunis entre les mains des dirigeants et de diminuer d’autant le contrôle exercé par les directeurs de même que le respect du public pour les procédures démocratiques. Celles-ci, déjà affaiblies par les immenses forces impersonnelles à l’œuvre dans le monde moderne, sont maintenant minées du dedans par les politiciens et leurs propagandistes.
« Convaincre le client »
Pour que la démocratie puisse survivre, il faut que les majorités sachent faire des choix réalistes, à la lumière d’informations adéquates. Une dictature, par contre, se maintient en censurant ou en déformant les faits, en faisant appel non pas à la raison ou à l’intérêt bien compris, mais aux passions et aux préjugés, aux puissantes « forces cachées » comme Hitler les appelait, présentes dans les profondeurs inconscientes de tout esprit humain. [...]
Nous souhaitons presque tous la paix et la liberté, mais bien peu d’entre nous éprouvent un grand enthousiasme pour les idées, les sentiments et les actes qui contribuent à les faire régner. Réciproquement, presque personne ne veut la guerre ou la tyrannie, mais les idées, les sentiments et les actes qui y conduisent procurent un plaisir intense à beaucoup de gens. [...]
En 1956, le directeur d’une puissante publication commerciale m’a déclaré : « Les deux partis mettent leurs candidats et leurs programmes sur le marché en utilisant les mêmes méthodes que le monde des affaires pour vendre ses produits. Elles comprennent le choix scientifique des thèmes de publicité et la répétition organisée... Les annonces et les réclames faites à la radio répéteront des slogans avec une intensité strictement graduée. Des placards feront hurler des phrases dont l’efficacité a été prouvée... En plus d’une voix sonore et d’une bonne diction, les candidats devront être capables de regarder « sincèrement » la caméra de télévision. »
Les services de ventes politiques ne font appel qu’aux faiblesses de leurs électeurs, jamais à leur force latente.
Ils se gardent bien d’éduquer les masses et de les mettre en mesure de se gouverner elles-mêmes, jugeant très suffisant de les manipuler et de les exploiter. C’est dans ce but que toutes les ressources de la psychologie et des sciences sociales sont mobilisées. Des échantillons soigneusement choisis du corps électoral sont soumis à des “ interviews en profondeur ”qui révèlent les craintes et les désirs inconscients les plus répandus dans un milieu donné au moment d’une élection. Des phrases et des images destinées à apaiser ou, en cas de nécessité, à intensifier ces craintes, à satisfaire ces désirs, au moins symboliquement, sont alors choisies par les experts, essayées sur des lecteurs et des auditeurs, changées ou améliorées selon les renseignements ainsi obtenus. Après cela, la campagne électorale est prête pour la transmission en chaîne ; il n’y manque plus que de l’argent et un candidat qu’on puisse entraîner à prendre un air « sincère ». [...]
Le lavage de cerveau
[...] Les tensions psychologiques peuvent être produites de maintes façons. Les chiens sont troublés, agités quand les stimuli sont d’une force inusitée, quand l’intervalle entre l’excitation et la réaction habituelle est anormalement prolongé et l’animal laissé dans l’incertitude anxieuse, quand le cerveau est dérouté par des stimuli contraires à ceux qu’il a été entraîné à attendre, ou quand ceux-ci n’ont pas de sens dans le système de référence de la victime. De plus, on a constaté qu’en provoquant délibérément la peur, la colère ou l’anxiété, on augmentait notablement la vulnérabilité de l’animal aux suggestions. Si ces émotions sont maintenues au paroxysme pendant assez longtemps, le cerveau “ se met en grève ” et ensuite rien n’est plus aisé que d’implanter de nouveaux comportements.
Parmi les causes physiques qui rendent un chien plus facile à suggestionner, il y a la fatigue, les blessures et toutes les formes de la maladie.
Pour l’aspirant-dictateur, il y a là des indications pratiques de grande valeur. Ces observations prouvent, par exemple, que Hitler avait tout à fait raison de soutenir que les réunions de masse étaient plus efficaces la nuit que le jour. Il a écrit que pendant la journée « la volonté de l’homme se révolte avec la dernière énergie contre toute tentative pour la soumettre à celle d’un autre. Mais dans la soirée [à 20h le soir devant la télé par exemple...], ils succombent bien moins difficilement à la force dominante d’une volonté plus puissante »
Pavlov eût été du même avis : la fatigue accroît la suggestibilité ! C’est la raison pour laquelle les firmes commerciales faisant de la publicité à la télévision, préfèrent les heures tardives et sont prêtes à payer fort cher pour les obtenir.
Propagande et fortes émotions
Le fait que de fortes émotions négatives tendent à augmenter la suggestibilité et partant à faciliter un revirement dans les opinions, a été observé et utilisé longtemps avant l’époque de Pavlov. Ainsi que l’a indiqué le Dr William Sargant dans son ouvrage si révélateur, Battle for the Mind (9), l’énorme succès de Wesley en tant que prédicateur était fondé sur une connaissance intuitive du système nerveux centraI. Il commençait ses sermons par une description longue et détaillée des tourments auxquels, à moins qu’ils se convertissent, ses auditeurs seraient assurément condamnés pour l’éternité. Puis, lorsque la terreur et un sentiment de culpabilité torturant avaient amené son auditoire au bord du vertige, voire, dans certains cas, d’un effondrement cérébral complet, il changeait de ton et promettait le salut à ceux qui croiraient et se repentiraient. Par ce procédé, il a converti des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Une crainte intense et prolongée les brisait et les mettait dans un état de suggestibilité grandement accrue qui leur permettait d’accepter sans discussion les assertions du prédicateur.
Après quoi, ils étaient rétablis dans leur intégrité par des paroles de réconfort et sortaient de l’épreuve avec des types de comportement nouveaux et généralement meilleurs implantés de manière ineffaçable dans leur esprit et leur système nerveux. [...]
Instruction & Liberté
Dans le monde où nous vivons, ainsi qu’il a été indiqué dans des chapitres précédents, d’immenses forces impersonnelles tendent vers l’établissement d’un pouvoir centralisé et d’une société enrégimentée. La standardisation génétique est encore impossible, mais les Gros Gouvernements et les Grosses Affaires possèdent déjà, ou posséderont bientôt, tous les procédés pour la manipulation des esprits décrits dans Le Meilleur des Mondes, avec bien d’autres que mon manque d’imagination m’a empêché d’inventer. N’ayant pas la possibilité d’imposer l’uniformité génétique aux embryons, les dirigeants du monde trop peuplé et trop organisé de demain essaieront d’imposer une uniformité sociale et intellectuelle aux adultes et à leurs enfants. Pour y parvenir, ils feront usage (à moins qu’on les en empêche) de tous les procédés de manipulation mentale à leur disposition, et n’hésiteront pas à renforcer ces méthodes de persuasion non rationnelle par la contrainte économique et des menaces de violence physique. Si nous voulons éviter ce genre de tyrannie, il faut que nous commencions sans délai notre éducation et celle de nos enfants pour nous rendre aptes à être libres et à nous gouverner nous-mêmes.
Liberté & Langage
Cette formation devrait être, ainsi que je l’ai déjà indiqué, avant tout centrée sur les faits et les valeurs - les faits qui sont la diversité individuelle et l’unicité biologique, les valeurs de liberté, de tolérance et de charité mutuelle qui sont les corollaires moraux de ces faits. Mais malheureusement des connaissances exactes et des principes justes ne suffisent pas. Une vérité sans éclat peut être éclipsée par un mensonge passionnant. Un appel habile à la passion est souvent plus fort que la meilleure des résolutions. Les effets d’une propagande mensongère et pernicieuse ne peuvent être neutralisés que par une solide préparation à l’art d’analyser ses méthodes et de percer à jour ses sophismes. Le langage a permis à l’homme de progresser de l’animalité à la civilisation, mais il lui a aussi inspiré cette folie persévérante et cette méchanceté systématique, véritablement diabolique, qui ne caractérisent pas moins le comportement humain que les vertus de prévoyance systématique et de bienveillance persévérante, elles aussi filles de la parole. Elle permet à ceux qui en font usage de prêter attention aux choses, aux personnes et aux événements, même quand les premières sont absentes et que les derniers ne sont pas en train de se passer. Elle donne de la netteté, de la précision à nos souvenirs et, traduisant les expériences en symboles, elle convertit la fugacité immédiate du désir ou de l’horreur, de l’amour ou de la haine, en principes durables réglant les sentiments et la conduite. Par quelque procédé dont nous n’avons nulle conscience, le système réticulaire du cerveau choisit, parmi une foule innombrable de stimuli, les quelques rares expériences qui ont une importance pratique pour nous. De ces éléments inconsciemment triés, nous prélevons et abstrayons plus ou moins consciemment un nombre plus petit encore que nous étiquetons avec des mots de notre vocabulaire, puis classons dans un système à la fois métaphysique, scientifique et moral composé d’autres mots à un plus haut degré d’abstraction. Dans le cas où toute cette sélection a été guidée par un code qui ne représente pas une conception trop fausse de la nature des choses, où les étiquettes verbales ont été choisies avec intelligence et leur caractère symbolique clairement compris, notre comportement tend à être réaliste et convenable. Mais sous l’influence de mots mal choisis, appliqués - en méconnaissant complètement le fait qu’il s’agit de simples figures - à des expériences qui ont été sélectionnées et abstraites suivant un ensemble d’idées fausses, nous sommes enclins à nous conduire avec une férocité infernale et une stupidité organisée dont les animaux, précisément parce qu’ils ne parlent pas, sont heureusement incapables.
Dans leur propagande antirationnelle, les ennemis de la liberté pervertissent systématiquement les ressources du langage pour amener, par la persuasion insidieuse ou l’abrutissement, leurs victimes à penser, à sentir et à agir comme ils le veulent eux, les manipulateurs.
Apprendre la liberté (et l’amour et l’intelligence qui en sont à la fois les conditions et les résultats) c’est, entre autres choses, apprendre à se servir du langage. [...]
Tous les matériaux intellectuels nécessaires pour s’instruire à fond dans le maniement du langage - à tous les niveaux depuis le jardin d’enfants jusqu’aux cours post-scolaires - sont actuellement à notre disposition. On pourrait commencer sans délai à inculquer l’art de distinguer entre les usages correct et abusif des symboles. Bien plus, on aurait pu le faire depuis trente ou quarante ans. Et pourtant, nulle part on n’enseigne aux enfants une méthode systématique pour faire le départ entre le vrai et le faux, une affirmation sensée et une autre qui ne l’est pas.
Propagande & Jeunesse
Comme on pouvait s’y attendre, les jeunes sont extrêmement sensibles à la propagande. Ignorants du monde et de ses usages, ils sont absolument sans méfiance, leur esprit critique n’est pas encore développé, les plus petits n’ont pas atteint l’âge de raison et les plus âgés n’ont pas acquis l’expérience sur laquelle leur faculté de raisonnement nouvellement découverte pourrait s’exercer. En Europe, les conscrits étaient désignés sous le nom badin de « chair à canon ». Leurs petits frères et leurs petites sœurs sont maintenant devenus de la chair à radio et à télévision. Dans mon enfance, on nous apprenait à chanter de petites rengaines sans grand sens ou, dans les familles pieuses, des cantiques. Aujourd’hui, les petits gazouillent de la publicité chantée. Qu’est-ce qui vaut le mieux : « Où Timor passe, l’insecte trépasse ! » ou bien “ Cadet Rousselle a trois cheveux ” ? Je suis chrétien, voilà ma gloire ! » ou bien « Le voilà le joli Byrrh au vin ! »” Qui sait ? « Je ne dis pas qu’il faut forcer les enfants à harceler leurs parents pour qu’ils achètent les produits dont la publicité passe à la télévision, mais enfin je ne peux pas me dissimuler que c’est là une chose qui se fait journellement. » C’est ce qu’écrit l’acteur vedette d’un des nombreux programmes destinés à la jeunesse et il continue en ces termes : « Les enfants sont comme des enregistrements vivants et parlants de ce que nous leur disons tous les jours. » En temps voulu, bien sûr, ces enregistrements vivants et parlants de la télévision commerciale grandiront, gagneront de l’argent et achèteront les produits de l’industrie. « Songez un peu », écrit M. Clyde Miller avec ravissement, « songez aux profits qu’il pourra en résulter pour votre firme si vous arrivez à conditionner un million, ou dix millions d’enfants qui deviendront des adultes entraînés à acheter vos produits comme les soldats sont entraînés à acheter vos produits comme les soldats sont entraînés à avancer quand ils entendent les mots-déclencheurs : « En avant, marche ! » Oui, songez-y ! Et en même temps n’oubliez pas que les dictateurs y songent depuis des années, que des millions, des dizaines de millions, des centaines de millions d’enfants sont en train de grandir pour acheter un jour les produits idéologiques du despote local, pour répondre aux mots déclencheurs implantés dans ces jeunes esprits par ses propagandistes.
« Nouveau monde » & nouvelle nature de la démocratie
Sous l’impitoyable poussée d’une surpopulation qui s’accélère, d’une organisation dont les excès vont s’aggravant et par le moyen de méthodes toujours plus efficaces de manipulation mentale, les démocraties changeront de nature. Les vieilles formes pittoresques - élections, parlements, hautes cours de justice - demeureront, mais la substance sous-jacente sera une nouvelle forme de totalitarisme non violent. Toutes les appellations traditionnelles, tous les slogans consacrés resteront exactement ce qu’ils étaient au bon vieux temps, la démocratie et la liberté seront les thèmes de toutes les émissions radiodiffusées et de tous les éditoriaux – mais une démocratie, une liberté au sens strictement pickwickien du terme. Entre-temps, l’oligarchie au pouvoir et son élite hautement qualifiée de soldats, de policiers, de fabricants de pensée, de manipulateurs mentaux mènera tout et tout le monde comme bon lui semblera.
Que faire ?
Comment pouvons-nous dominer les forces qui menacent nos libertés si durement acquises ? Si l’on se contente de parler et en termes généraux, rien n’est plus facile que de répondre à cette question. Considérons le problème de la surpopulation. Le flot mouvant des masses humaines menace de submerger rapidement les ressources existantes. Que faire ? De toute évidence, diminuer le plus vite possible la natalité jusqu’à, un point où elle n’excède pas la mortalité. En même temps, il nous faut augmenter le plus vite possible la production de denrées alimentaires, instituer et mettre à exécution un plan mondial pour la conservation des sols et des forêts, créer pour nos combustibles actuels des produits de remplacement, si possible moins dangereux et moins vite épuisés que l’uranium et, tout en ménageant nos ressources en minéraux aisément accessibles, bien diminuées, mettre au point des méthodes nouvelles et pas trop coûteuses afin d’extraire ces substances de minerais de plus en plus pauvres - le plus pauvre de tous étant l’eau de mer. Mais il est à peine besoin d’indiquer que tout cela est plus facile à écrire qu’à faire. Il faut réduire l’excédent annuel des naissances. Mais comment ? Nous avons le choix entre la famine, les épidémies et la guerre d’une part, le malthusianisme d’autre part. La plupart d’entre nous choisiront cette dernière solution - et aussitôt nous nous trouvons devant un problème qui est un puzzle à la fois physiologique, médical, sociologique, psychologique et même théologique. La « Pilule (15) » n"a pas encore été inventée, mais si elle l’est, comment pourra-t-on la distribuer aux centaines de millions de femmes susceptibles d’être mères (ou si c’est une préparation qui agit sur les mâles, aux pères en puissance) qui devront l’absorber si l’on veut diminuer la natalité de l’espèce ? Et, étant donné les coutumes sociales existantes, les forces d’inertie intellectuelle et psychologique, comment faire changer d’avis ceux qui devraient la prendre mais ne le veulent pas ? Et comment surmonter les objections de l’Église catholique romaine à toute forme de limitation des naissances, sauf la méthode Ogino, qui, soit dit en passant, s’est avérée jusqu’à présent à peu près complètement inefficace dans ces sociétés à l’économie sous-développée où la réduction des naissances serait le plus nécessaire ?
Ces mêmes questions, il faut les poser, avec aussi peu de chance d’obtenir les réponses satisfaisantes, au sujet des méthodes anticonceptionnelles, chimiques ou mécaniques déjà en usage.
Si nous passons des problèmes de la limitation des naissances à ceux de l’augmentation des quantités de denrées alimentaires disponibles et de la conservation des ressources naturelles, nous nous trouvons en face de difficultés qui sans être aussi considérables, sont encore énormes. D’abord, le problème de l’éducation. Combien de temps faudra-t-il pour enseigner aux innombrables paysans et fermiers actuellement responsables de la majeure partie de la production mondiale à améliorer leurs méthodes ? Si l’on y parvient, où trouveront-ils les capitaux nécessaires à l’achat des machines, des carburants, des lubrifiants, du courant électrique, des engrais et des espèces sélectionnées de plantes vivrières et d’animaux domestiques sans lesquels la formation agricole la plus poussée est inutile ? De même, qui va inculquer à la race humaine les principes et les procédés pratiques de la conservation ? Comment empêchera-t-on les citoyens-paysans affamés d’un pays dont la population et les besoins en denrées alimentaires croissent rapidement d’user le sol ? Et si l’on y parvient, qui paiera leur entretien pendant que la terre épuisée et blessée sera progressivement rendue, si faire se peut, à la santé et à la fertilité ? Considérons aussi les sociétés sous-développées qui essaient actuellement de s’industrialiser. Si elles réussissent, qui les empêchera, dans leurs efforts désespérés pour rattraper le niveau des autres et s’y maintenir, de gaspiller les ressources irremplaçables de la planète, aussi stupidement et en pure perte que leurs devanciers dans la course l’ont fait et le font encore ? Et quand le jour du règlement arrivera, où trouvera-t-on, dans les pays pauvres, les techniciens et les capitaux gigantesques qui seront nécessaires afin d’extraire les métaux indispensables de minerais dont la concentration est trop faible, dans les circonstances actuelles, pour que ce travail soit faisable au point de vue technique, ou justifiable au point de vue économique ? Il se peut que, avec le temps, on trouve une solution pratique à tous ces problèmes, mais quand ? Dans une course, quelle qu’elle soit, entre le chiffre des masses humaines et les ressources naturelles, le temps travaille contre nous. A la fin de ce siècle, il y aura, si nous faisons de grands efforts, environ deux fois plus de produits alimentaires qu’aujourd’hui, mais il y aura aussi environ deux fois plus d’êtres humains, et plusieurs milliards d’entre eux vivront dans des pays partiellement industrialisés où ils consommeront dix fois plus de puissance, d’eau, de bois et de minéraux irremplaçables qu’ils le font aujourd’hui. En un mot, la situation alimentaire sera aussi mauvaise qu’en ce moment et celle des matières premières considérablement aggravée.
Trouver une solution au problème de l’organisation excessive est à peine moins difficile. Là encore, si l’on se contente de mots et de mots peu précis, la réponse est d’une parfaite simplicité. Ainsi, c’est un axiome en politique de dire que la puissance suit la fortune. Mais c’est un fait historique aujourd’hui que les moyens de production sont rapidement centralisés et monopolisés par les Grosses Affaires et les Gros Gouvernements. Par conséquent, si vous avez foi en la démocratie, prenez des mesures pour distribuer les biens aussi largement que possible.
Ou encore, considérons le droit de vote. En principe, c’est un grand privilège. En fait, l’histoire récente l’a maintes fois prouvé, ce n’est pas une garantie de liberté. Par conséquent, si vous souhaitez éviter la dictature par référendum, brisez les collectivités simplement fonctionnelles de la société moderne en groupes autonomes collaborant de leur plein gré, et capables de remplir leurs tâches en dehors du système bureaucratique des Grosses Affaires et des Gros Gouvernements.
Les excès de population et d’organisation ont produit la métropole moderne, dans laquelle une vie humaine, enrichie de rapports personnels multiples et divers est devenue pratiquement impossible. Par conséquent, si vous souhaitez éviter l’appauvrissement spirituel des individus et de sociétés entières, quittez les grands centres et faites revivre les petites agglomérations rurales, ou encore humanisez la ville en créant à l’intérieur du réseau de son organisation mécanique, les équivalents urbains des petits centres ruraux où les individus peuvent se rencontrer et coopérer en qualité de personnalités complètes, et non pas comme de simples incarnations de fonctions spécialisées.
Tout cela crève les yeux aujourd’hui et les crevait déjà il y a cinquante ans.
De Hilaire Belloc à Mr. Mortimer Adier, des premiers apôtres des associations coopératives de crédit aux réformateurs agraires de l’Italie et du Japon moderne, les hommes de bonne volonté ont, depuis des générations, prôné la décentralisation de la puissance économique et la distribution plus étendue des richesses. Combien de systèmes ingénieux ont été proposés pour la dispersion de la production, pour un retour à une « industrie villageoise » d’envergure réduite. Et puis, il y a eu les études extrêmement approfondies de Dubreuil pour donner une certaine mesure d’autonomie et d’initiative aux divers services d’une grande organisation industrielle. Il y a eu les syndicalistes avec leurs projets, plan, coupe, et élévation d’une société sans État, groupes de production fédérés sous les auspices des associations professionnelles. En Amérique, Arthur Morgan et Baker Brownwell ont exposé la théorie et décrit la mise en œuvre d’un nouveau genre de collectivité vivant au niveau du village et de la petite ville. [...]
En France, pendant et après la Deuxième Guerre mondiale, Marcel Barbu et ses disciples ont instauré un certain nombre de groupes de production autonomes et non hiérarchisés qui étaient aussi des sociétés d’aide mutuelle et des centres de vie pleinement humaine. Entre-temps, à Londres, l’expérience de Peckham démontrait qu’il est possible, en coordonnant les services de santé avec les intérêts plus vastes du groupe, de créer une véritable communauté, même dans une métropole.
Nous voyons donc que l’excès d’organisation est une maladie clairement reconnue, que divers remèdes très complets ont été prescrits, que des traitements expérimentaux de ses symptômes ont été tentés ici ou là, souvent avec grand succès.
Et pourtant, malgré tous ces discours édifiants et ces œuvres exemplaires, le mal ne cesse de s’aggraver. Nous savons qu’il est dangereux de laisser une oligarchie dirigeante concentrer trop de pouvoir entre ses mains et pourtant c’est ce qui se produit de plus en plus. Nous savons que, pour la plupart de nos semblables, la vie dans une gigantesque ville moderne est anonyme, atomique, au-dessous du niveau humain, néanmoins les villes deviennent de plus en plus démesurées et le mode de vie urbano-industriel demeure inchangé. Nous savons que dans une société très vaste et très complexe la démocratie n’a guère de sens qu’en fonction des groupes autonomes de dimensions maniables - néanmoins, une partie de plus en plus importante des affaires de la nation est gérée par les bureaucrates des Gros Gouvernements et des Grosses Affaires. Dans tous ces cas, nous savons ce qu’il faudrait faire, mais dans aucun nous n’avons encore été capables d’agir efficacement dans le sens indiqué par notre expérience vécue.
Dictature scientifique & Éducation
Arrivés à ce point, nous nous trouvons devant une question très troublante. Désirons-nous vraiment agir ? Est-ce que la majorité de la population estime qu'il vaut bien la peine de faire des efforts assez considérables pour arrêter et si possible renverser la tendance actuelle vers le contrôle totalitaire intégral ?
Aux U.S.A., [...] des sondages récents de l'opinion publique ont révélé que la majorité des adolescents au-dessous de vingt ans, les votants de demain, ne croient pas aux institutions démocratiques, ne voient pas d'inconvénient à la censure des idées impopulaires, ne jugent pas possible le gouvernement du peuple par le peuple et s'estimeraient parfaitement satisfaits d'être gouvernés d'en haut par une oligarchie d'experts assortis, s'ils pouvaient continuer à vivre dans les conditions auxquelles une période de grande prospérité les a habitués. Que tant de jeunes spectateurs bien nourris de la télévision, dans la plus puissante démocratie du monde, soient si totalement indifférents à l'idée de se gouverner eux-mêmes, s'intéressent si peu à la liberté d'esprit et au droit d'opposition est navrant, mais assez peu surprenant. [...]
Les anciens dictateurs sont tombés parce qu’ils n'ont jamais pu fournir assez de pain, de jeux, de miracles et de mystères à leurs sujets ; ils ne possédaient pas non plus un système vraiment efficace de manipulation mentale. Par le passé, libres penseurs et révolutionnaires étaient souvent les produits de l'éducation la plus pieusement orthodoxe et il n’y avait rien là de surprenant. Les méthodes employées par les éducateurs classiques étaient et sont encore extrêmement inefficaces. Sous la férule d’un dictateur scientifique, l'éducation produira vraiment les effets voulus et il en résultera que la plupart des hommes et des femmes en arriveront à aimer leur servitude sans jamais songer à la révolution. Il semble qu’il n’y ait aucune raison valable pour qu'une dictature parfaitement scientifique soit jamais renversée.
En attendant, il reste encore quelque liberté dans le monde. Il est vrai que beaucoup de jeunes n'ont pas l'air de l'apprécier, mais un certain nombre d'entre nous croient encore que sans elle les humains ne peuvent pas devenir pleinement humains et qu'elle a donc une irremplaçable valeur. Peut-être les forces qui la menacent sont-elles trop puissantes pour que l'on puisse leur résister très longtemps. C'est encore et toujours notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous opposer à elles.
Notes
(1) Les cent ans à venir.
(2) En français dans le texte.
(3) L'homme de l'organisation. (Pion. éd.)
(4) La persuasion clandestine.
(5) Psychologie de comportement américaine qui étudie les faits psychiques
dans leurs manifestations organiques. (N. de la Tr.).
(6) Propriété où le Pickwick Club a accompli certains de ses exploits
les plus célèbres. (N. de la Tr.).
(7) Taverne londonienne illustrée par Walter Raleigh, Ben Jonson, les plus
grands poètes et les beaux esprits de l'époque élisabéthaine. (N. de la Tr.).
(8) "intégrante" ? Je suppose qu'il s'agit d'une faute de frappe, en attendant, ce
n'est pas dans le dictionnaire que j'avais sous la main, je le laisse tel-quel (N. du copiste/correct.).
(9) Bataille pour l'esprit.
(I0) L'Adieu aux armes, de Hemingway (N. de la Tr.).
(11) Histoire, pratique et théorie de l'hypnotisme.
(12) En français dans le texte.
(13) La frontière de l'humain et Libres mais inégaux.
(14) Loi non écrite d'Angleterre appliquée par les cours de justice du roi et réputée dérivée de l'usage ancien. (N de la Tr.).
(15) Rappelons Que ce texte a été écrit en 1957. (N. de I'Ed.).
(16) Walden numéro deux. Le numéro un était le célèbre ouvrage de Thoreau, idéaliste contempteur (17) du confort moderne et apôtre de la désobéissance civile. (N. de la Tr.).
(17) Contempteur : Personne qui méprise, dénigre. (N. du copiste/correct.)
Pour finir, voici une interview d’Aldous Huxley en 1958: https://www.youtube.com/watch?v=t4e3dZzdr54
et quelques autres citations tirées d'autres ouvrages:
4e de couverture du livre La Science, la liberté, la paix (texte de 1946):
« Si l'organisation de la société est mauvaise (comme l'est la nôtre), et si un petit nombre de gens ont le pouvoir sur la majorité et l'oppriment, toute victoire sur la Nature ne servira inévitablement qu'à accroître ce pouvoir et cette oppression. C'est ce qui se produit présentement ».
Il s'est écoulé près d'un demi-siècle depuis que Tolstoï a écrit ces mots, et ce qui se produisait à cette époque a continué à se produire depuis lors. La science et la technique ont fait des progrès notables au cours des années écoulées - et il en est de même de la centralisation du pouvoir politique et économique, il en est de même de l'oligarchie et du despotisme.
Il est à peine besoin d'ajouter que la science n'est pas le seul facteur qui intervienne dans cette affaire. Aucun mal social ne saurait avoir une cause unique. D'où la difficulté dans n'importe quel cas donné, de trouver un remède complet. Tout ce que nous soutenons ici, c'est que la science en progrès est l'un des facteurs intervenant dans le déclin progressif de la liberté et dans la centralisation progressive du pouvoir, qui se sont produits au cours du XXe siècle.
4e de couverture du livre Le meilleur des mondes (1932)
"Aujourd'hui il semble pratiquement possible que cette horreur [l’Utopie décrite dans le roman] s'abatte sur nous dans le délai d'un siècle. Du moins, si nous nous abstenons d'ici là de nous faire sauter en miettes. En vérité, à moins que nous ne nous décidions à décentraliser et à utiliser la science appliquée, non pas comme une fin en vue de laquelle les êtres humains doivent être réduits à l'état de moyens, mais bien comme le moyen de produire une race d'individus libres, nous n'avons le choix qu'entre deux solutions : ou bien un certain nombre de totalitarismes nationaux, militarisés, ayant comme racine la terreur de la bombe atomique, et comme conséquence la destruction de la civilisation (ou, si la guerre est limitée, la perpétuation du militarisme) ; ou bien un seul totalitarisme supranational, suscité par le chaos social résultant du progrès technologique, et se développant, sous le besoin du rendement et de la stabilité, pour prendre la forme de la tyrannie-providence de l'Utopie."
Préface de 1946 à Le Meilleur des Mondes:
"Le thème du Meilleur des mondes n'est pas le progrès de la science en tant que tel ; c'est le progrès de la science en tant qu'il affecte les individus humains. Les triomphes de la physique, de la chimie et de l'art de l'ingénieur sont pris tacitement comme allant de soi. Les seuls progrès scientifiques qui y soient spécifiquement décrits sont ceux qui intéressent l'application aux êtres humains des recherches futures en biologie, en physiologie et en psychologie. C’est uniquement au moyen des sciences de la vie que la qualité de la vie pourra être modifiée radicalement. (...) La révolution véritablement révolutionnaire se réalisera, non pas dans le monde extérieur, mais dans l'âme et la chair des êtres humains. (...) Les gens qui gouvernent le Meilleur des mondes peuvent bien ne pas être sains d'esprit (au sens qu'on peut appeler absolu de ce mot) ; mais ce ne sont pas des fous, et leur but n'est pas l'anarchie, mais la stabilité sociale. C'est afin d'assurer la stabilité qu'ils effectuent, par des moyens scientifiques, la révolution ultime, personnelle, véritablement révolutionnaire."
"La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences d'une démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader, un système d'esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l'amour de leur servitude" (Aldous Huxley, 1919)