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Billet de blog 7 octobre 2025

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Comment le terme « terroriste » justifie la destruction de Gaza

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Contrairement à mon habitude, je publie ici un texte écrit à chaud en réaction à l'article de Fabien Escalona, « Deux ans après le 7-Octobre, une tragédie au carré », publié ce 7 octobre. Une analyse plus documentée (en préparation depuis trop longtemps déjà !) suivra bientôt.

En attendant, voici ci-dessous ma réaction, publiée en commentaire ici :

Qualifier l'attaque du 7 octobre ne correspond pas aux faits, légitime la destruction de Gaza et le massacre de sa population. De fait, F. Escalona a participé et participe encore, à sa petite mesure, à la légitimation du génocide en cours.

Le terrorisme est une « violence de guerre en temps de paix » prétend Henry Rousso, devenu historien en mission par le pouvoir, et dès lors historien servile car, comme le rappelait Lucien Febvre, « l’histoire qui sert, c’est une histoire serve ». L’attaque du 7 octobre ne remplit pas cette définition (pas plus que les attaques du 13 novembre 2015, d’ailleurs). En effet, en 2023, Gaza subit un blocus illégal et est considéré comme un territoire sous occupation israélienne par l’ONU. Israël menait une guerre de fait contre le Hamas et le territoire de Gaza, à coup de survol de drones et de bombardements réguliers. De son côté, le Hamas lançait des attaques de roquettes sporadiques. De paix, il n’y en avait pas.

Les attaques classées comme « terroristes » dans le monde par les organismes de sécurité, comme ceux qui collectent les données pour la Global Terrorism Database (GTD) sont majoritairement le fait d’un ou deux assaillants. À de rares exception près, les attentats sont menés par un petit groupe ne dépassant quasiment jamais la dizaine de personnes, comme pour le Bataclan ou le 11 septembre 2001. L’attaque du 7 octobre ne correspond en rien à ce qui est qualifié généralement de « terroriste », avec ses quelque 3 000 assaillants, ses roquettes, ses drones, ses deltaplanes, etc. Il s’agit d’une offensive armée menée dans un contexte de résistance à une occupation illégale. Qui s’est accompagnée de massacres et de crimes de guerre, ce que personne ne conteste, même pas le Hamas. Même s’il en rejette la responsabilité sur les forces israéliennes, ce qui est en grande partie faux, mais pas totalement. On peut en effet se demander si la concentration des forces armées israéliennes au nord d’Israël, malgré les alertes venant du Sud, et le déplacement au dernier moment du festival de musique Nova à la frontière avec Gaza, ne sont pas délibérées.

Enfin, le ciblage des civils ne constitue pas une caractéristique du terrorisme, bien au contraire. Depuis la 2nde Guerre mondiale, les conflits font une majorité de victimes civiles, tuées par les forces armées au service de l’État. Fabien Escalona (comme toute l’équipe de Mediapart) ferait bien de lire le petit « Que-sais-je » sur La Guerre, de Bruno Tertrais. L’auteur y explique que les guerres contemporaines sont « moins meurtrières pour les militaires, mais plus meurtrières pour les civils » :

« La mortalité relative de la guerre pour les civils, en revanche, a augmenté. Les civils représentaient, selon les estimations, de l’ordre de 5 à 20 % des morts de la Première Guerre mondiale, de 50 % de ceux de la guerre civile d’Espagne et de 48 à 67 % de ceux de la Seconde. La proportion pour les conflits récents est incertaine. Les chiffres de 80 à 90 % de victimes civiles depuis les années 1960 sont souvent avancés, mais ces chiffres sont très contestés (sources discutables, évaluations maximalistes). Dans la réalité, la proportion est très variable, elle se situe sans doute en moyenne autour de 50 % . »

Au contraire, selon la GTD, les attentats dits « terroristes » font une proportion de cibles militaires et policières souvent plus élevée que les civils. Il suffit de consulter les rapports comme ceux du Global Terrorism Index pour s’en convaincre. Je l’ai rappelé dans mon texte « Les maux de la Terreur ». Cela va à l’encontre des idées reçues véhiculées par les médias et les politiques, dont l’agenda est souvent partagé. Jeffrey Sluka, anthropologue qui a étudié les mouvements de résistance irlandais, explique :

« La réalité empirique des mouvements populaires armés contemporains que nous avons étudiés ne correspond tout simplement pas à l'image du « terrorisme » présentée par les gouvernements et les grands médias. En général, les anthropologues qui ont étudié et écrit sur le terrorisme ont trouvé que les perspectives produites par les gouvernements et leurs partisans universitaires et médiatiques dans ce que Herman et O'Sullivan (1989) décrivent comme « l'industrie du terrorisme », et une grande partie de ce qui passe pour des « études sur le terrorisme » orthodoxes, est souvent peu fiable, invalide, biaisée et propagandiste, et ne correspond tout simplement pas à la réalité de terrain de la violence politique que nous avons étudiée. »

Jeffrey Sluka a réalisé sa thèse sur le soutien de la société irlandaise aux mouvements de résistance irlandais, l’Armée Républicaine Irlandaise (IRA) et l’Armée de Libération Nationale Irlandaise (INLA). Il a mis à jour que la violence des groupes de résistance irlandais, qualifiés de « terroristes » par les autorités britanniques, était la plus discriminée des trois forces en présence : très concrètement, les forces paramilitaires et les forces de sécurité britanniques avaient un pourcentage de morts parmi les civils plus élevé (respectivement 90,5% et 54,6%) que ce qu’il nomme les « guérillas nationalistes » (37,3%).

Toute ressemblance avec le massacre à Gaza, perpétré par l’armée génocidaire de la colonie juive israélienne en Palestine (aka Israël), n’est pas fortuite.

Dans un article publié dans Les Temps Modernes, la juriste Rafaëlle Maison s’inquiétait d’un droit commun évoluant vers une juridiction d’exception s’appuyant sur la désignation de l’ennemi comme « terroriste » : cette terminologie nie au combattant ennemi sa qualité de sujet politique, et légitime les appels à l’« éradication » de leur « sanctuaire ». Le sanctuaire actuel des « terroristes », tel que les définissent Netanyahou et sa clique, étant Gaza, la destruction de l’enclave palestinienne s’en trouve dès lors justifiée. Il en va également des ennemis déshumanisés en « monstres » ou « barbares », qu’il s’agit d’éradiquer. Dans un article plus récent, Rafaëlle Maison rappelle :

« Par-delà les combattants, la diabolisation par la désignation terroriste s’étend aussi à l’ensemble du pouvoir civil de Gaza. C’est ainsi qu’Israël trouve parfaitement légitime de décrire, par exemple, les acteurs du système hospitalier comme terroristes, et qu’il cible des agents civils ne relevant pas de l’organisation militaire du Hamas. Et, finalement, c’est l’ensemble de la population de Gaza qui relève du terrorisme, car, toujours selon Guilad Erdan [représentant d’Israël au Conseil de sécurité des Nations unies], ce sont bien les civils « qui ont élu les meurtriers du Hamas, qui ressemble tant à Daech ». De proche en proche, Israël inscrit les familles palestiniennes dans des lignées criminelles. Dans son rapport du 13 mars 2025, la Commission internationale indépendante de l’ONU relève ces propos significatifs du général Giora Eiland :

Après tout, qui sont les femmes âgées de Gaza — les mères et les grand-mères des combattants du Hamas qui ont commis les crimes horribles du 7 octobre. Dans cette situation, comment peut-on même parler de considérations humanitaires (…) »

Le qualificatif « terroriste » a donc pour objectif principal de délégitimer l’adversaire, l’exclure du champ du droit international et national, et justifier des exactions moralement et juridiquement indéfendables en temps normal comme « l’élimination » ou « l’éradication » du mouvement et la destruction totale de son terrain d’action.

Cela signifie très concrètement l’élimination physique de plusieurs dizaines de milliers de personnes dans le cas du Hamas, voire de la population entière assimilée depuis des dizaines d’années au mouvement.

Cela, Escalona ne peut l’ignorer, particulièrement deux ans après le début du génocide. Il n’est pas seul : à droite, mais aussi à gauche, les plus hostiles à la Palestine comme ceux qui sont censés y être favorables reprennent ce vocable, encore entendu dans la bouche de Thomas Cluzel aujourd'hui, déclarant dans le journal de France Culture le « 7 octobre, date à jamais souillée par le massacre barbare perpétré en Israël par les terroristes du Hamas ». Ou comment reprendre l’opposition civilisation/barbarie, barbarie dont n’est jamais qualifiée Israël. Dans le même journal, Marie-Pierre Verot donne la parole à Alma, membre des Einsatzgruppen israéliens, « en treillis, fusil automatique en bandoulière ». Après deux ans de génocide perpétré par l’armée israélienne et ses milliers de jeunes réservistes, il fallait le faire.

Vincent Lemire reproduit le même schéma, en relayant le chiffre issu des renseignements israéliens de « 83% de civils tués », comme si le fait de tuer tous les militants du Hamas était légitime. Il faut lui rappeler, comme aux membres de l’équipe de Mediapart qui l’ont interviewé, que certains membres du Hamas (personnel administratif, hospitalier, etc.) sont, au regard du Droit humanitaire international, des civils et/ou des non-combattants, dont l’assassinat est illégal.

Monsieur Escalona, par votre récit reprenant les qualificatifs israéliens, vous êtes complice. Comme d’autres, mais cela ne vous excuse pas. Honte à vous et au média qui vous héberge.

Références :

Maison Rafaëlle, « Le nom de l’ennemi. Quand les logiques de guerre transforment le droit commun », Les Temps Modernes, vol. 689, n° 3, juin 2016, pp. 20‑35, [En ligne]. <https://shs.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2016-3-page-20>.

Sluka Jeaffrey A., « The contribution of anthropology to critical terrorism studies », in Richard Jackson, Marie Smyth et Jeroen Gunning (éd.), Critical Terrorism Studies: A New Research Agenda, Routledge, 2009, p. 138‑155.

Maison Rafaëlle, « Gaza. Pour en finir avec la « guerre contre le terrorisme » », OrientXXI, 12 mai 2025.

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