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Billet de blog 6 octobre 2017

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EUROPACITY, DYSTOPIE CULTURELLE

Dimanche 8 octobre, grand rassemblement à Paris, place de la République, contre le projet Europacity. Ce projet de centre commercial gigantesque est né d’une utopie, aux dires de ses partisans, du fait de sa vocation culturelle affirmée. La prudence s’impose face au risque de cauchemar dystopique qui hante toujours, de façon constitutive, les rêves pour le meilleur des mondes possibles.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

... « samedi soir, la police bloqua soudain l’accès à toutes les rues menant aux Champs Elysées, à Paris, ce qui provoqua des embouteillages monstrueux et suscita plus d’un commentaire furieux.
Le lendemain matin, les Champs Elysées étaient transformés en un vaste champ de blé mûr et doré... ».

Illustration 1
Paris, 24 juin 1990

Dimanche 1er octobre, la journée sans voiture à Paris s’est tenue pour la troisième fois. Appelé aussi "Paris sans voiture", cet événement annuel, né en 2015, interdit à la circulation tout véhicule à moteur dans les rues de la capitale sur une grande partie de la journée.

Illustration 2
2017 : Journée sans voiture L’Oréal sur les Champs Elysées pour la Fashion Week

Deux dates pour un même lieu et deux images qui symbolisent le coup de force par lequel on passe d’un champ de blé au défilé ostentatoire de valeurs marchandes et socialement distinctives légitimé par La journée sans voiture...

En 37 ans, l’espace urbain a digéré les valeurs traditionnelles et culturelles produites par l’agriculture et on peut s’interroger : faut-il se réjouir de la journée sans voiture ou s’inquiéter de sa prise en charge par les pouvoirs publics.

En 1990, les jeunes agriculteurs souhaitaient que la grande moisson exceptionnelle prévue sur les Champs Elysées ne résume pas leur action ; faire connaître l’agriculture, les agricultrices et les agriculteurs constituait leur principal objectif.

Au-delà de la production matérielle, c’était bien tout un pan d’histoire sociale que cette moisson racontait aux citadins. Une évocation des traditions, un instantané du travail à fournir, une demande de reconnaissance pour ces hommes et ces femmes et, en creux, une alerte ; celle d’une société de consommation conduite à se représenter ses propres productions plutôt qu’à les faire vivre. Une société du spectacle agricole en somme.

Le blé sur le sol parisien aurait pu avoir comme équivalent la pomme de terre en Allemagne (selon l’écrivain Gunther Grass, l’introduction de la pomme de terre en Allemagne fut un événement plus important dans la vie du peuple allemand que les victoires de Frédéric Le Grand), ou encore le riz, le millet, le maïs, la vigne ...

Parce que l’agriculture est aussi une entrée majeure pour rappeler l’importance de l’alimentation, de sa diversité et des rites sociaux différenciés qui entourent l’acte social majeur qu’est l’acte de « manger ».

Aujourd’hui, les réflexions sur les questions environnementales fouillent des sujets déjà anciens (nucléaire, climat, biodiversité...) et s’actualisent : terres agricoles, grands projets inutiles, inégalités sociales, racisme environnemental...

On peut donc s’étonner qu’à Paris, les pouvoirs publics prennent si peu la mesure des inquiétudes et des préoccupations des FrancilienNEs et saisissent l’occasion d’une journée censée favoriser la vie dans la cité pour y caser un événement de promotion et de communication d’envergure. Une «adresse » à toutes et tous qui claque comme une invitation à cautionner et à adopter un mode de consommation de masse originellement réservé aux plus favoriséEs. Distinction oblige, les membres de la Jet Set ont en effet déserté les « fashion week » et leur présence dimanche sur les Champs Elysées est loin d’être gratuite.

Bref, si ces processus de détournement des initiatives citoyennes et de normalisation culturelle sont grossiers, ils ont au moins le mérite de pointer une urgence : réfléchir aux conditions d’évolution de l’agriculture dans une perspective écologique et transversale.

En 1990, les Champs fêtaient l’agriculture ; en 2017, ils célèbrent la consommation de masse.

Si l’agriculture produit des aliments et ressources essentielles, la consommation de masse produit du gaspillage et de la précarité.
Si l’agriculture s’efforce de protéger le milieu naturel, la consommation de masse le détruit.
Quand l’agriculture produit des savoir-faire et du partage, la consommation de masse vide le geste et la parole de leur sens.
Quand les terres agricoles sont utiles à l’être humain, la consommation de masse le tient sous contrôle.
Quand l’agriculture produit de la culture, la consommation de masse produit des marchandises et des produits culturels.

La vigilance s’impose donc chaque fois que la consommation de masse tente d’imposer ses normes et de faire de la culture une marchandise, comme c’est le cas à Gonesse avec le projet Europacity.

Jamais la logique du profit et la production culturelle n’ont fait bon ménage. De cela aussi, l’agriculture et les terres agricoles de Gonesse sont garantes.

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