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Tribune 3 juin 2023

Contre les mesures sécuritaires et les ruptures de soin, défendre une psychiatrie humaine

« Plus nombreuses sont les caméras de surveillance, plus vides sont les chambres, les espaces et les couloirs, plus la rencontre avec le patient est empêchée, plus il est relégué ». A la suite de l'assassinat d'une infirmière et de la tentative d'une secrétaire médicale au CHU de Reims, l'association de familles, patients et soignants « Le Fil Conducteur Psy », membre du Printemps de la Psychiatrie, rappellent qu'en psychiatrie, les mesures sécuritaires ne sont ni sécurisantes, ni pertinentes.

L’ assassinat d’une infirmière et la tentative d’assassinat d’une secrétaire médicale au CHU de Reims, le lundi 22 mai 2023, ont suscité une très vive et très légitime émotion. D’autant que l’auteur du crime, suivi depuis près de quarante ans en psychiatrie, était en attente d’une décision de justice sur son irresponsabilité pénale pour l’agression au couteau, en 2017, de quatre membres du personnel de l’ESAT où il était pris en charge.

Nous, Fil conducteur psy, association qui réunit des familles, des patients et des soignants, et qui participe au Printemps de la Psychiatrie, partageons cette émotion, et sommes particulièrement sensibles à la demande de sécurité qui a suivi ainsi qu’aux commentaires sur les insuffisances du soin en psychiatrie.

Cependant, face aux demandes de plus de mesures de contraintes et d’enfermement, nous rappelons, en accord avec les psychiatres du Printemps de la Psychiatrie qui se sont exprimés dans la presse :

- que le passage à l’acte est très rare et qu’il y a moins de crimes commis par des personnes psychotiques qu’en population générale, qu’il n’y a pas de raison de criminaliser la folie.

- que le risque zéro n’existe pas, quelles que soient les modalités de la prise en charge, et que le passage à l’acte, même s’il est plus risqué en cas de rupture de soin, reste imprévisible.

- que, si la demande de sécurité est légitime, ce n’est pas l’augmentation des mesures sécuritaires d’enfermement sous contrainte et, à l’intérieur des établissements fermés, la banalisation de l’isolement et notamment de la contention, qui suffiront à lever la peur des soignants.

 Les mesures d’enfermement sous contrainte ont déjà beaucoup augmenté depuis la loi de 2011, en particulier en cas de péril imminent, sur décision du préfet. Et les mesures d’isolement et de contention ont proliféré à partir du discours d’Antony, en 2008, qui donnait à la psychiatrie  des consignes de type carcéral.

 Or ces mesures sécuritaires ne sont pas sécurisantes ; elles contribuent plutôt au sentiment d’insécurité des soignants et par ricochet des patients, au moment où les patients ont besoin de se sentir en sécurité : ils sont censés être accueillis, au plus fort de la crise et de la violence de l’épisode délirant. Et on les met sous contention.

Au cours de l’hospitalisation, ce sentiment de sécurité ne peut venir que du soin, de la présence et de l’écoute de soignants : plus nombreuses sont les caméras de surveillance, plus vides sont les chambres, les espaces et les couloirs, plus la rencontre avec le patient est empêchée, plus il est relégué, moins il y a de soin. Et plus on réduit le rôle des infirmiers à celui de surveillants, moins ils croient au sens de leur métier. Et plus ils ont peur.

Quant à enfermer ceux qui sont dehors et devraient être dedans ? L’enfermement des individus « perturbants » est, de fait, de plus en plus fréquent ; et l’enfermement s’accroît paradoxalement à mesure que s’accentue le virage ambulatoire.

Et patient qui ne dérange pas trop, lui, est quasiment renvoyé à lui-même, déclaré co- responsable de son « parcours de soin », trop souvent réduit à la prise de médicaments.  D’où « les ruptures de soin », les crises et les ré-hospitalisations, en urgence, le plus souvent avec contention, des mesures sécuritaires et maltraitantes en place de structures permanentes d’accueil et de soin.

Il y a de plus en plus d’enfermement, à la suite d’enfermements répétés pour la même personne. C’est « le tourniquet ». De moins en moins de lits : le souci premier est de faire sortir les patients au plus tôt avec leur prescription. Et ils vont revenir, comme à la maison, certains.

Car hors les murs, la continuité des soins, indispensable pour les troubles sévères, n’est plus assurée. Les structures de soin ferment les unes après les autres au profit de plateformes d’experts délivrant un diagnostic, une prescription de médicaments et un programme d’e-éducation à la « compliance » sur le modèle des prises en charge des maladies organiques. Les mots « d’alliance thérapeutique », qui supposaient la rencontre entre le médecin et son patient, et le soin psychothérapeutique, ont disparu.

 Le secteur de proximité, inventé dans les années 1960-70 -prenant en charge le même patient dans et hors l’hôpital, dans la continuité, avec les mêmes équipes, n’existe plus, sauf dans quelques îlots préservés.  De même pour la psychothérapie institutionnelle qui crée un milieu de vie habitable pour ceux que l’inquiétante étrangeté de la folie désaccorde d’avec eux-mêmes et d’avec les autres.

L’enfermement augmente à mesure que ces lieux de soin de proximité disparaissent, qui pourraient dissiper les peurs.

C’est pourquoi nous déclarons nécessaire :

- que soit restauré le secteur psychiatrique de proximité et la continuité des soins assurée, et restitués les moyens budgétaires et humains à la hauteur des besoins de la population.

- que soit restaurée la formation spécifique des infirmiers en psychiatrie - supprimée en 1992 - et restaurée leur formation clinique, au chevet et à l’écoute du patient.

-  que la priorité soit donnée à la fonction soignante des professionnels, par rapport aux tâches numériques et administratives induites par les protocoles, qu’ils aient le temps de travailler en équipes et en binômes ainsi que de penser le sens et l’organisation de leur métier.

- que soit restaurée l’équipe unique de secteur, dans et hors l’hôpital. Que soient maintenues les équipes qui ont bâti leur savoir-faire dans la constance de ce travail, qu’on cesse de fermer les structures qu’ils ont animées.

Nous réaffirmons que les mesures sécuritaires, dans leur outrance, et sans discernement, lorsqu’elles qu’elles sont prises en place de politique de santé publique, sont dangereuses.

Nous réaffirmons la nécessité de restaurer un service de psychiatrie publique digne de ce nom et la dimension d’un humanisme éclairé dans le soin psychique.