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Billet de blog 6 avril 2025

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« Contention on ne peut pas faire autrement » ?

La santé mentale, grande cause nationale ? – Episode 2 La contention a été condamnée par la Convention de l’ONU contre la torture dès1984, puis placée par l’Europe au nombre des traitements inhumains et dégradants, d’autant plus à bannir qu’ils sont « anti thérapeutiques ».

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L’article 3 de la Convention européenne du même nom signée en 1987 stipule que nul ne peut être soumis à une peine ou traitement cruel, traité qui a donné lieu à la création du « Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements dégradants (C.P.T). En 2012, le C.P.T a produit un rapport qui a inspiré la loi « Touraine » de 2016. Ladite loi n’admettait la pratique de la contention qu’en « dernier recours ».

Et pourtant, les données chiffrées de 2022 du Rim-P ((recueil d’informations médicales en psychiatrie) – quand elles sont renseignées – montrent que 8000 contentions et 28000 isolements ont été exercés sur les patients hospitalisés sans consentement sur une année, selon l’étude Plaid-Care (Psychiatrie et Libertés individuelle, recherche menée par une équipe pluridisciplinaire sur le moindre recours à la coercition en France).

Les témoignages de soignants, les visites et les multiples alertes et rapports émis par le « Contrôleur général des lieux de privation de liberté » ((C.G.L.P.L) Adeline Hazan (2014-2020) puis Dominique Simonnot, ont jeté un éclairage cru et alarmant sur ces zones d’ombres concernant les pratiques de contention et d’isolement et les données chiffrées. Ces zones d’ombres sur la remontée des données chiffrées (obligatoire depuis 2018) subsistent dans le récent rapport sur les urgences psychiatriques présenté en décembre 2024 à l’Assemblée Nationale par Mmes Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau.

 Malgré la loi, la banalisation de la contention n’a fait que se généraliser, entre autres du fait du passage obligé des personnes par les urgences. S’adossant à la loi, la Haute Autorité de Santé (HAS), en édictant un manuel de « bonnes pratiques de la contention », n’a fait que conforter les équipes qui la pratiquaient.

 L’isolement et la contention ne sont pas des soins ont martelé Adeline Hazan puis Dominique Simonnot. Les droits fondamentaux sont bafoués. Parmi les plus importants, sont remis en cause le droit à la prise en charge médicale et à des soins dignes de ce nom, le droit à la sécurité, le droit à la dignité, le droit à l’intimité...

Régulièrement, leurs rapports mettent en évidence le contexte de crise profonde de la psychiatrie : manque criant de personnel et de moyens, épuisement des professionnels, défaut d’accompagnement, pression croissante des exigences sécuritaires et médico-légales, injonctions contradictoires, manque de traçabilité des pratiques d’isolement et de contention.

Les conséquences de ces mesures liberticides sont traumatisantes et dégradantes pour la personne qui les subit avec des séquelles psychologiques durables qui correspondent à celles du syndrome post-traumatique.

Le patient ressent de l’incompréhension car sa souffrance psychique n’est pas prise en compte. Seule son agitation physique est à juguler, sa parole tombe dans le vide, ses cris et ses pleurs également. Il est sanglé aux pieds, aux bras, au ventre, sans la moindre parole qui accueille sa détresse et le rassure. Il se sent trahi.

Nulle part ailleurs dans le système de soins, on nie à ce point le patient. La mise sous contention induit un côté animal ou végétatif comme le ressentent et l’expriment les patients.

Isolement et contention génèrent des situations humiliantes du fait du manque d’accès aux WC, du non-respect de l’intimité du patient : présence d’un soignant ou vidéosurveillance à l’occasion de la toilette ou au moment de faire ses besoins.

Les fonctions physiologiques sont elles aussi perturbées. Il est bien difficile de respirer du fait de pleurs, de glaires dans la gorge. Le non accès aux toilettes altèrent les fonctions d’élimination. L’immobilisation provoque des douleurs musculaires insupportables, est source d’escarres et par la suite, lorsqu’on détache la personne, de difficultés à se mouvoir, à marcher. Des risques d’embolie pulmonaire existent.

 Ces pratiques sont aussi lourdes de sens. Elles renvoient aux significations qui collent aux imaginaires largement entretenus de la maladie psychique.

L’assimilation du fou à un être dangereux, incapable de se contrôler au point qu’il faille l’attacher. Sur le plan personnel, les traumatismes affectent la considération de soi, sa propre dignité, la confiance en soi et dans les autres… jusqu’à l’anéantissement de toute envie de se soigner, de toute envie de vivre. Un effondrement du maigre espoir de confiance dans le système de soins.

Durant la poursuite de l’hospitalisation, les patients se montrent effrayés et vulnérables, ayant peur que cela recommence. Les conduites de résignation inscrivent dans leur chair et leur psyché la marque du traumatisme qu’ils ont vécu. Il n’est pas rare qu’ils adoptent un comportement biaisé pour se conformer à ce qu’ils pensent que les soignants attendent d’eux.

Une fois sorti.es de l’hôpital, le refus de se soigner domine, une marginalisation accrue pouvant conduire à la rue, à la prison, au suicide.

Malgré leur détresse extrême, les patients se souviennent tous que l’on a ajouté de la souffrance à leur souffrance.

 « Il y a des situations où on ne peut pas faire autrement ».

Cette petite phrase anodine est terrible pour les familles lorsqu’elles questionnent les professionnels de santé sur le recours à l’isolement ou à la contention. Phrase pleine de sous-entendus sur l’état gravissime, incontrôlable, dangereux … du patient au point qu’il faille l’enfermer, le sangler.

Les familles ne sont pas épargnées.  Elles sont prises dans un chaos mêlé de colère, de rage et de révolte. Comment croire que l’isolement et la contention s’apparentent à des soins ? C’est tabler sur la naïveté des familles et leur méconnaissance des signes de la maladie psychique.  Elles comprennent vite que la violence institutionnelle que subit leur proche n’a rien de thérapeutique.

S’ouvre alors le parcours du combattant pour rechercher une place dans un établissement aux pratiques de soins plus humaines.

Isolement et contention sont qualifiées de « variables d’ajustement d’organisations sous tension » précise le rapport parlementaire sur les urgences psychiatriques remis en décembre 2024.

Depuis des années, les soignants, agents de première ligne, se retrouvent piégés dans une organisation des soins dictée par des politiques de santé drastiquement réduites à des impératifs de rentabilité économique et des objectifs sécuritaires.

L’arsenal de mesures sécuritaires vient ici pallier le manque d’effectif de personnel aggravé par l’arrêt des formations spécifiques en psychiatrie. « ...ce retour des contentions coïncide avec la suppression des études d’infirmiers de secteur psychiatrique en 1992... » écrit Dominique Friard, dès mars 2004, dans son article « Attacher n’est pas contenir » paru dans la revue Santé Mentale n°86.

Une organisation des soins de plus en plus contrainte par des directives managériales qui impose des protocoles et limite la disponibilité des soignants envers les patients. Le diktat du protocole – réel et fantasmé – enferme le soignant, bien souvent au mépris de son expérience professionnelle niée, et le menace dans sa responsabilité professionnelle. La culture du soin est ainsi détournée sous couvert d’une rationalisation des actes et son corollaire la portion congrue du temps laissé aux patients.

A cela, s’ajoute une fragmentation des soins, des ruptures de prises en charge car des structures telles des centres médico-psychologiques, des hôpitaux de jour ou des unités hospitalières… sont fermées par les Agences Régionales de Santé. (A.R.S.)

Si bien que la dangerosité supposée des patients s’inscrit comme une justification de la violence systémique des politiques publiques de santé.

La fonction soignante pourrait-elle se résumer à distribuer des médicaments, tourner des clefs dans les serrures ou sangler les patients les plus agités, présage d’un glissement des tâches vers un mode carcéral que l’on croyait révolu ? Non, elle doit s’appuyer sur des soins relationnels contenants, faite de rencontres singulières et intersubjectives avec chaque patient, à maintenir et à réinventer chaque jour.

Certains établissements tels des îlots de résistance, par leur histoire, par la forte cohésion des équipes et leur ténacité, développent des soins contenants. On peut citer ici les lieux de psychothérapie institutionnelle où l’accueil, la disponibilité, la constellation transférentielle, la liberté de circulation, le travail sur l’ambiance, la sollicitation dans les activités quotidiennes et divers ateliers... sont des atouts essentiels. Ailleurs, d’autres équipes s’inspirent de l’expérience des premiers, réfléchissent et modulent l’organisation des soins pour laisser les portes ouvertes, pour soigner particulièrement l’accueil des nouveaux arrivants, apaiser sans contraindre, instaurer un ancrage dans la cité.

Une prise de conscience s’opère. La parole se libère, les témoignages affluent, des collectifs se constituent. Ainsi le Collectif des 39, Le Fil Conducteur Psy, Le Printemps de la Psychiatrie… se mobilisent pour revendiquer l’abolition de la contention.

 « La sangle qui attache tue le lien humain qui soigne » Collectif des 39

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