Fin 2024, un rapport remis par les députées N. Dubré-Chirat et S. Rousseau, après un travail d’enquêtes et d’analyse sur la prise en charge des urgences psychiatriques, dressait un constat dramatique et très dégradé de l’état de la psychiatrie en France : inégalités territoriales d’accès aux soins, engorgement des urgences générales, absence de permanence des soins, fermeture de lits d’hospitalisation, recours abusif aux hospitalisations sous contrainte...
Ainsi, le rapport soulignait :
« Alors que le législateur fait du consentement aux soins une condition indispensable à toute prise en charge thérapeutique et a récemment précisé le cadre applicable à l’isolement et à la contention, ces pratiques sont en hausse tendancielle depuis 2012 et deviennent une variable d’ajustement d’organisations sous tension au détriment des droits fondamentaux des patients, comme des conditions de travail des professionnels. La crise actuelle invite à reconsidérer l’évolution des moyens financiers et humains dévolus à la psychiatrie »[1]
Toujours selon le rapport, si la psychiatrie est sinistrée dans l’hôpital public, elle se révèle être la discipline la plus rentable dans le secteur privé lucratif.
Les mesures préconisées pour améliorer la prise en charge proposaient que les professionnels de 1er niveau, donc les médecins généralistes interviennent précocement – remarquons au passage que c’est nier la progression des déserts médicaux-, la fermeture et le manque de personnel des CMP[2] – mais sans moyens supplémentaires - le développement des premiers soins en santé mentale sans garantie d’accès aux soins par la suite…
Cerise sur le gâteau, les auteures prévoyaient de recourir au secteur privé lucratif en lui octroyant la possibilité d’assurer les urgences psychiatriques. Au lieu de réquisition du personnel exerçant dans le secteur privé pour renforcer les établissements publics, le privé lucratif se voyait offrir des parts de marché élargies.
C’est dans ce contexte de pénurie organisée du secteur public qu’il faut situer le démantèlement des établissements publics de psychiatrie, l’acharnement administratif contre les structures ambulatoires de longue expérience, qui assurent l’accueil de proximité des patients et la continuité des soins.
Quant aux annonces autoritaires de fermeture de structures d’ici la fin de l’année 2025, elles affluent. En voici quelques exemples.
L’Hôpital de jour de Saint-Denis, « La villa Suresnes », est menacé alors qu’il accueille et soigne des adultes en s’appuyant sur la psychothérapie institutionnelle depuis 25 ans.
« Ce lieu unique permet des soins respectueux, personnalisés, et profondément humains, loin de la logique purement gestionnaire. Aujourd’hui, ce lieu de vie et de soin est menacé : patients et soignants doivent être mis à la porte avant la fin de l’année pour laisser place à un projet d’une unité GAJA (Hôpital de Jour pour Grands Adolescents et Jeunes Adultes de 16 à 25ans).
Si ce dispositif peut avoir son importance, il ne peut se faire au détriment d’un lieu de soin qui a prouvé son efficacité et son ancrage dans le tissu local depuis plus de deux décennies. Un lieu de soins qui reçoit des patients de tous âges et aux parcours divers.
Nous refusons cette décision brutale, prise sans concertation, qui nie l’histoire, les besoins des patients, et le travail précieux des équipes soignantes. »
Vous pouvez signer la pétition à partir du lien ci-joint : https://c.org/7fJBmRYmW6
Depuis 40 ans, le Centre d’Accueil et de Crise fondée par Ginette Amado accueillant jour et nuit et 7 jours sur 7 des patients des 5eme, 6eme et 7eme arrondissements de Paris est lui aussi fortement attaqué. Sous prétexte de travaux dans ses locaux, il a été déménagé à l’hôpital Sainte-Anne mais depuis son démantèlement est annoncé.
« Le Centre d’Accueil et de Crise Ginette AMADO, pivot du service de psychiatrie générale, doit demeurer dans ses locaux d’origine 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au 17 rue Garancière dans le 6ème arrondissement. Cette structure y est installée au cœur de la ville, dans des locaux appartenant en copropriété au Sénat et à la ville de Paris et dont cette dernière à l'usage privatif.
Colère et incompréhension face à la violence de l’annonce du démantèlement de ce centre historique ouvert depuis 1981 (...)
La proximité, la coordination et la continuité des soins au plus près du domicile des patients restent la pierre angulaire de la psychiatrie de secteur. L’accueil, l’écoute et les soins des personnes en situation de crise sont au cœur des activités de ce centre à taille humaine. Au plus près de la population, l’engagement de l’équipe soignante contribue à la prévention de plus longues et de plus nombreuses hospitalisations avec les risques d’isolement et de contention. »
Accédez à la pétition https://petitions.senat.fr/initiatives/i-1977
La liste des fermetures de lits d’hospitalisation, d’unité de soins, de structures initiées bien avant 2025 se poursuit et s’accélère … Un démantèlement sans précédent …
Sont prioritairement dans le viseur, les structures assurant des soins relationnels et respectueux de la singularité de chaque patient. Aux poubelles de l’histoire les élans humanistes tels Pinel qui a ôté les chaînes des patients, aux poubelles de l’histoire les pionniers de la psychothérapie institutionnelle expérimentée à l’hôpital de St-Alban, qui apportait un nouvel élan d’humanité et d’espoir pendant la 2eme guerre mondiale, puis qui a essaimé vers de nouveaux lieux dans toute la France. Le mouvement de la psychiatrie humaniste a perduré et a montré son efficacité par des soins contenant les débordements de la folie pour des personnes quotidiennement aux prises avec la souffrance psychique.
Aujourd’hui il reste encore des îlots, des archipels de qualité, évitant ainsi bien des hospitalisations tout en apportant une certaine résistance là où les équipes sur le terrain, sont déterminées et soudées dans une conception éthique du soin psychique et soutenues par une direction convaincue des bienfaits des soins dans lesquels prime la dimension relationnelle.
Au fil du temps, les restrictions budgétaires, la diminution régulière des moyens alloués à la psychiatrie, la fermeture massive de lits et donc la suppression du personnel sans compensation adéquate d’ouverture de structures extra hospitalières ancrées dans la cité, ont affaibli tout le secteur de la psychiatrie.
Les gestionnaires de la santé et nos gouvernants font mine de s’agacer de ne pouvoir contrôler ce qui se fait, ce qui s’échange dans les relations soignants-soignés. Pourtant depuis 1982, l’instauration du P.M.S.I (Programme de médicalisation des systèmes d’information) et sa généralisation à tous les établissements hospitaliers ont permis de recenser des données sur chaque patient (diagnostics, actes prodigués au malade, durée d’hospitalisation…). A partir de ces informations et des statistiques produites tant au niveau local que national, il est devenu plus aisé d’imposer une rationalisation des soins et de définir un système de rémunération des hôpitaux comme la tarification à l’activité surtout pour les activités de médecine somatique M.C.O (médecine, chirurgie, obstétrique).
Il s’agit là de la poursuite de la longue histoire de la dépossession des gestes professionnels du monde du travail, appliquée de manière volontaire et brutale aux mondes du soin par des directives gouvernementales et des lignes managériales de connivence.
Cette politique de destruction du soin n’en est pas à un paradoxe près. Ainsi de la mise en place du R.I.M-P (Recueil d’information médicale – psychiatrie) visant à rendre obligatoire le recensement des pratiques d’isolement et de contention depuis 2018. Ces pratiques liberticides et traumatisantes ont-elles pour autant diminué ? Non point. Bien au contraire.
Cette rationalisation comptable ne peut pas intégrer la dimension relationnelle du soin psychique dès que celui-ci dépasse le cadre institutionnel du bureau de consultation du médecin. Comment comptabiliser les échanges entre soignant-patient au détour d’une porte, au cours d’une activité de jardinage, de cuisine… ? Bien sûr, la participation à des activités thérapeutiques est quantifiable en termes de durées, de fréquences. Mais elles ne peuvent pas être calibrées comme pour une autre discipline médicale.
Ce que recouvrent les soins relationnels, ce sont des activités et des lieux identifiés comme thérapeutiques : ainsi des ateliers d’art thérapie, d’ergonomie …, des groupes de paroles, des clubs thérapeutiques entre soignants- soignés ... mais aussi les relations informelles qui se tricotent dans les interstices du fonctionnement de l’organisation sans négliger l’ambiance collective. Il s’agit de mise en confiance, de rencontres, d’interactions soignants-soignés mais aussi entre patients, …. Et cela demande du temps, un temps précieux, différent pour chacun. La maladie psychique ne rentre pas dans des cases comptables. C’est une maladie singulière, une altération du lien. Elle ne se traite pas à coup de surmédication, de mise en isolement et de sangles de contention. Les bénéfices des soins relationnels ne peuvent être évalués dans le court terme, ce qui échappe aux technocrates et aux décideurs du système de santé.
Alors, ces derniers ont décidé de frapper fort, plus fort encore pour supprimer les structures dispensant accueil et soins psychiques. Pour cela, les ARS (Agences régionales de santé) qui exercent une tutelle administrative et financière sur les établissements ne renouvellent pas les autorisations de fonctionnement… mettant ainsi à la porte patients et soignants. Un déni terrible du travail de soin jusque-là mené !
La psychiatrie subit une crise systémique. Nos gouvernants ont changé de paradigme en se tournant vers une conception neurologique de la maladie mentale, en misant sur les centres experts et en définissant un parcours de soins fragmenté dont les ruptures sont prévisibles. Lire ou relire à ce sujet, l’article « Psychiatrie : crise systémique ? Crise de la culture ? » sur notre blog.
Alors quelle(s) issue(s) pour les malades psychiques priés expressément d’aller mieux, de ne plus faire de crises… la rue, la prison ou le suicide ? Soigner n’est plus une priorité de santé publique.
Soigner les patients ou se lancer dans une opération immobilière comme à Esquirol (Hôpitaux de St Maurice, Charenton) ? Cela relève d’un cynisme scandaleux.
« Après des années d'une politique de fermeture de lits, de réduction budgétaire drastique entraînant la dégradation des soins autant que celle des lieux, la direction de l'hôpital, groupe hospitalier Paris Est Val de Marne, en collaboration avec l’A.R.S, Agence Régionale de Santé, décide de céder plus de la moitié de l’hôpital au privé pour la modique somme de 0,86 € par mètre carré et par mois.
Ainsi, ce sont 26 000 m² de bâtiments datant du 19ème siècle, classés au patrimoine national, qui seraient cédés.
« Ces lieux, construits à flanc de colline historiquement pensés par le psychiatre humaniste Esquirol pour être des lieux de soins pour les personnes en souffrance psychique et/ou psychiatrique, seraient alors transformés pour des activités à usage lucratif sans aucun lien avec la santé : pépinière d’entreprise, centre de formations de haut standing… ».
Accédez à la pétition :
Le Collectif pour l’avenir des hôpitaux de Saint-Maurice s’insurge contre ce projet et démontre, chiffres à l’appui, qu’une rénovation et une modernisation de l’ensemble du site Esquirol est faisable financièrement. Au lieu de se lancer dans la construction de nouveaux bâtiments plus exigus pour accueillir moins de patients à Esquirol, amputé de locaux cédés au privé, il serait moins onéreux de se lancer dans des travaux de rénovation de l’ancien bâti.
Retrouvez le détail de l’argumentaire chiffré sur le site : https://www.sitesetmonuments.org/hopital-esquirol-un-projet-fou-entre-l-humanisme-du-xixe-siecle-et-le-pragmatisme-du-xxie
Mais où va-t-on ? Une société qui méprise, maltraite ou abandonne ses membres les plus fragiles court à la catastrophe d’une dislocation que certains ne se gênent pas de récupérer sur un plan politique. A chaque fois qu’une structure psychiatrique ferme, ce sont des soins psychiques qui disparaissent et en même temps une part de notre humanité envers la folie et de notre reconnaissance de l’humanité de la folie.
[1] Rapport p. 17
[2] Centres médico-psychologiques