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Billet de blog 20 octobre 2025

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Les errances de l’école inclusive dans l’enseignement secondaire

Je suis professeure certifiée retraitée et j’ai enseigné en lycée général et technologique de 1986 à 2021. Alors que 80 % des handicaps sont invisibles, ce qui représente 10 millions de personnes au total en France,  la prétendue « école inclusive » n'est pas dotée des moyens suffisants. On ne doit plus compter seulement sur la bonne volonté et la bienveillance des enseignants trop souvent vantées hypocritement par l’Éducation nationale.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis professeure certifiée retraitée et j’ai enseigné en lycée général et technologique de 1986 à 2021. Ma spécialité concerne les sciences et technologies médico-sociales, enseignement intégré dans la formation validée par le bac technologique ST2S (sciences et technologies sanitaires et sociales) dont les débouchés concernent les professions paramédicales et sociales.

Les établissements tels les lycées généraux et technologiques sont souvent surdimensionnées et accueillent souvent entre 1000 et 1500 élèves sans compter qu’ils peuvent aussi être intégrés dans une cité scolaire comprenant également un lycée professionnel ou un collège. Bref une véritable usine à gaz tournant à plein régime de 8h à 18h, 50mns pour manger, 10mns de pause le matin, idem l’après-midi… sans compter les transports scolaires ! Ma fille concernée par la maladie psychique me confie : « il n’existe pas de lieu où se poser, se replier, fermer sa bulle » car les espaces et les temps sont conçus pour être toujours collectifs.

 Durant mon activité professionnelle, mon regard et mes pratiques en lien avec les situations de handicap que j’ai rencontrées ont bien sûr évolué mais le constat que je peux en retenir aujourd’hui rejoint les remarques d’autres enseignants du secondaire encore en activité avec qui j’ai pu échanger.

Constat amer et frustrant qui concerne aussi bien l’annonce ou non du handicap, la mise en pratique des recommandations quand elles existent, l’absence de formation adaptée ou les difficultés pour y accéder, l’évaluation difficile des apprentissages, la prise en charge chaotique de l’élève dans l’établissement par les différents acteurs de la communauté scolaire.

À la rentrée scolaire, chaque enseignant de lycée prend en charge entre cent et deux cent cinquante élèves pour lesquels il(elle) ne reçoit que des informations générales mais très rarement sur les situations de handicap.

Si le handicap moteur est le plus évident à identifier surtout dans le cas d’un jeune en fauteuil, il n’est pas possible de deviner de quels handicaps (sensoriels, psychiques…) sont porteurs certains élèves.

80 % des handicaps sont invisibles, ce qui représente 10 millions de personnes au total en France. Un handicap est considéré comme invisible lorsqu’il n’est pas perceptible au premier coup d’œil. Il regroupe des maladies chroniques cardio-vasculaires, digestives, respiratoires, sclérose en plaque, épilepsie, diabète, asthme, cancer… et les maladies psychiques. Les conséquences de toutes ces pathologies peuvent se confondre avec d’autres difficultés d’apprentissage. Aussi, l’annonce du handicap revêt-il une importance essentielle dans la relation pédagogique mais elle est souvent lacunaire.

Dans mes premières années dans l’Education nationale, au début des années 1990, j’ai constaté que le manque d’informations peut aller jusqu’au déni comme la première fois où j’ai été confrontée au handicap psychique d’un élève. J’assurais un enseignement de 4 heures en classe de seconde. Je ne sais plus par quel biais – non institutionnel - j’ai appris qu’il avait une maladie mentale mais je me souviens avoir été déroutée et inquiète. Que pouvait-il se passer ? Pouvait-il entrer en crise, se jeter par la fenêtre… ? J’ai écrit alors une lettre au chef d’établissement pour lui demander quelle(s) conduite(s) à adopter suivant les circonstances. Je n’ai eu aucune réponse.

Trente ans plus tard, c’est une enseignante du lycée professionnel attenant à mon établissement qui enjambe la fenêtre et se jette dans le vide sous les yeux de ses élèves. Les risques psychosociaux existent aussi du côté des professionnels dans l’Education nationale.

Aujourd’hui, la reconnaissance du handicap des élèves est l’affaire de la santé scolaire surtout dans la préparation d’un examen comme le baccalauréat.  Cela nécessite une démarche, en cours d’année, à l’initiative de l’élève et de ses parents - à laquelle ils ne sont pas toujours préparés - et qui déclenche un protocole médical et administratif.  Devant la pénurie de médecins scolaires plusieurs mois s’écoulent avant d’arriver à une reconnaissance éventuelle des difficultés des élèves.  Pendant ce temps incertain, les enseignants font comme ils peuvent, ignorant trop souvent l’origine des difficultés d’apprentissage et adoptant alors un comportement pas toujours adapté.

Trop fréquemment, le service de santé scolaire retient les informations au nom du secret médical ce qui constitue un frein considérable et dommageable au travail des enseignants. Le médical se montre très peu coopérant pour soutenir la relation pédagogique. Or le pédagogique ne peut fonctionner que si auparavant s’opère une relation, une rencontre entre l’enseignant et l’élève. Ce n’est pas le diagnostic précis qui intéressent les professeurs mais plutôt des recommandations afin d’établir le contact avec le(la) lycéen(ne) concerné(e), de construire une relation de confiance et surtout de mieux cerner les capacités que l’on peut mobiliser dans les apprentissages.

Il aura fallu, à une équipe de professeurs dont je faisais partie, batailler fort pour réclamer au service de santé scolaire des conseils lorsqu’une lycéenne atteinte d’une maladie psychique se frappe la tête contre le mur de la classe, se met à hurler, est prise d’une agitation physique excessive… Les professeurs choqués par ces comportements inédits étaient pourtant favorables à son maintien dans la classe mais l’unique réunion avec l’infirmière scolaire a tardé et il a fallu insister, relancer pour qu’elle concède à donner quelques indications sur comment réagir. C’est la seule fois où j’ai assisté à ce type de réunion.

La loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a été une étape décisive dans l’attribution et la reconnaissance du droit à l’éducation. Ce droit est réaffirmé par la loi de 2013 sur la refondation de « l'école de la République », ainsi que par la loi pour une école de la confiance de 2019, qui introduit le concept d'école inclusive.

Ainsi se sont multipliés un certain nombre de plans : plan d’accueil personnalisé (PAI), plan d’accompagnement personnalisé (PAP), plan personnalisé de scolarisation (PPS) … susceptibles d’apporter des aménagements de l’emploi du temps, des indications sur les équipements à fournir, les supports pédagogiques, le soutien en classe par un(e) accompagnant(e) d’élève en situation de handicap (AESH) pour certains séances… L’intérêt principal de ces mesures personnalisées c’est qu’elles s’imposent aux établissements mais leur application dans le quotidien laisse à désirer.

J’ai préféré ici centrer mon argumentation autour de mes pratiques mais j’aurais pu également évoquer le statut précaire et peu qualifié des accompagnants d’élèves en situation de handicap, la relation de proximité que les assistants d’éducation développent au quotidien dans la cour, au self, à l’internat, dans les interstices d’un emploi du temps souvent trop dense.

 Les informations qui émanent de ces plans et transmises, par voie hiérarchique, aux enseignants restent souvent très sommaires comme agrandir les documents, accorder un tiers temps pour les évaluations… Ainsi pour des formations particulières en lycée professionnel accessibles à certains types de handicaps, en septembre, une liste des élèves attribuée à l’enseignant est surlignée : une couleur pour les mal-voyants, une autre pour les malentendants.  Pour ces derniers, il est recommandé de regarder le jeune dans les yeux et de bien articuler. Point final.

Le dépistage dans les classes élémentaires s’est amélioré concernant les « dys », dyslexie, dysorthographie, dyscalculie… Dans certains cas, un ordinateur peut être attribué à l’élève en difficulté face à l’écrit. Parfois, il ne faut pas prendre en compte l’orthographe dans la notation.

Rien sur les aspects psychosociaux du handicap et sur les difficultés de son acceptation pour le jeune dans la construction de son identité d’adulte en devenir. Si l’adolescence est la période où s’expérimentent des aventures, des libertés, des prises de risque en tout genre, le jeune concerné doit faire avec son handicap, doit s’astreindre à recevoir des soins, à suivre son traitement régulièrement. Autant de handicaps, autant de singularités à considérer...

 Mais que faire quand l’élève ne comprend pas certains concepts trop éloignés de son quotidien, trop complexes pour lui mais pourtant fondamentaux ? Par exemple, lorsqu’il confond causes et conséquences d’un phénomène, lorsqu’il ne peut distinguer plus subtilement causes et facteurs de risques d’un phénomène ?

Là, cela interroge la formation de l’enseignant. Si pour l’enseignement élémentaire des outils spécifiques pour les troubles « dys » existent concernant l’apprentissage de la lecture par exemple, les enseignants du secondaire sont démunis à double titre : ils ne connaissent pas les  conséquences du handicap et ils n’ont pas reçu de formation adaptée. Ils sont ainsi doublement empêchés.

Dans mon expérience personnelle, les questions relatives à l’accueil et aux apprentissages des lycéens handicapés n’ont jamais été abordées dans ma formation de cycle préparatoire au CAPET (Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique) et par la suite en formation continue.

Cela peut aller aussi jusqu’au refus d’une formation comme l’apprentissage de la langue des signes quand on reçoit régulièrement dans sa classe des jeunes malentendants car elle ne rentre pas dans les clous. Les orientations prioritaires de la formation concernent le « tout numérique ».  Cette formation aurait permis à la collègue concernée de prévoir des séances pour valoriser les jeunes malentendants en les faisant interagir avec les autres camarades de la classe.

Sans formation, sans outil pédagogique, on cherche, on tâtonne, on bricole comme on peut ! L’Éducation nationale répond par des recommandations de bienveillance sans concéder de moyens.

Au lycée, dans les classes préparant au baccalauréat, la mesure le plus fréquemment proposée concerne l’obtention d’un tiers-temps pour les épreuves finales mais aussi pour les contrôles réalisés en classe durant l’année. Mais son application concrète peut être problématique.

Difficile d’accorder un tiers-temps pour un devoir dans un emploi du temps blindé de lycéen qui rate alors le début du cours suivant. Encore faut-il que l’enseignant qui le surveille ne soit pas lui aussi obligé de prendre en charge une autre classe à la suite. Cela relève parfois de la haute voltige car l’organisation des enseignements à l’échelle d’une ou plusieurs classes est très difficile à modifier sans impacter le reste de l’établissement.

Autres solutions possibles :

- demander que l’élève réalise son devoir au service de vie scolaire ou à l’infirmerie ce qui nécessite des démarches de l’enseignant à renouveler à chaque fois ;

- sur une plage de deux heures par exemple, concevoir un contrôle d’une heure pour l’ensemble de la classe et accorder le tiers-temps aux élèves concernés tout en donnant un travail supplémentaire aux autres lycéens qui doivent le faire silencieusement ;

- adapter le sujet du contrôle dans une version « allégée » à destination de l’élève en situation de handicap, en réduisant le nombre de questions à traiter et en maintenant pour autant le niveau d’exigence ainsi la durée du contrôle est identique pour tous les élèves.

Dans l’enseignement technologique, j’ai eu la chance de bénéficier de séances hebdomadaires de 2 ou 3 heures en demi-classe ce qui me permettait de reprendre le cours, d’apporter une attention et un soutien particuliers à l’élève en situation de handicap mais aussi aux autres. Mais cette disposition est loin d’être une généralité.

Quant à obtenir des heures de soutien spécifique, il n’en être pas question dans le cadre de  la dotation horaire globale (DHG) corsetée par le Rectorat. Cette DHG ne prévoit pas des heures à effectifs réduits pour toutes les disciplines demandeuses et supprime régulièrement des heures d’enseignement d’une année sur l’autre pour les établissements dans une logique de restriction des moyens des services publics.

L’accueil et la prise en charge d’un élève en situation de handicap présente des disparités selon les établissements car cela dépend aussi localement des convictions des acteurs de la communauté scolaire et donne lieu à de belles et rares initiatives que l’on souhaiterait voir généraliser.  Ainsi un chef d’établissement peut-il mobiliser une équipe pédagogique. Lorsqu’une bonne cohésion existe au sein d’une équipe pédagogique, les actions sont mieux coordonnées. Un enseignant peut aussi être moteur pour faciliter l’intégration d’un jeune en situation de handicap dans son établissement. Mais les expériences malheureuses existent aussi et peuvent conduire à un échec scolaire…

Le plus souvent, tout repose sur la personne de l’enseignant, à savoir sa sensibilité, son histoire, sa détermination, mais aussi ses incertitudes, ses inquiétudes. « J’ai pris l’initiative de rencontrer une psychologue dans mon entourage pour qu’elle me donne des précisions sur l’autisme afin que j’adapte mon enseignement aux difficultés rencontrées par un de mes élèves ». Cette démarche qui reste exceptionnelle demande de la disponibilité, de la ténacité que n’ont pas toujours les professeurs de plus en plus sollicités pour des tâches d’organisation, d’administration, de communication - quand leur messagerie professionnelle s’affole - d’information et de représentativité dans divers forums… qui s’ajoutent à leur fonction pédagogique fortement impactée par la multiplication des évaluations surtout depuis l’instauration de Parcours sup. Le burn-out n’est pas loin quand les journées de 12h et plus s’accumulent.

Pour ma part, la maladie de ma fille m’a profondément transformée et m’a aidée à grandir dans mon approche professionnelle du handicap. J’ai développé une certaine connivence, une empathie particulière mais que je devais réajuster dans un souci d’équité avec les autres élèves souffrant de dislocation familiale, de maltraitance, de précarité, de pauvreté…

Les phases d’orientation sont autant d’étapes de sélection où il n’est pas bon d’avouer son handicap. Afin de conseiller une élève en terminale brillante à l’oral et dyslexique à l’écrit qui souhaite intégrer une école d’éducateurs spécialisés, je questionne les formateurs de l’école à l’occasion d’un forum : faut-il annoncer son handicap quand on postule pour cette formation ? Les enseignants sont affirmatifs et se disent compréhensifs dans ce type de situation. L’élève a été refusée par l’école.

Depuis, j’ai recommandé aux lycéens postulant pour l’enseignement supérieur de taire leur handicap dans leur demande de candidature, d’attendre quelques temps après avoir intégré l’école pour signaler leur situation de handicap.

C’est aussi l’attitude que j’ai proposée à ma fille alors collégienne lorsqu’elle se présente à une journée d’immersion dans une classe de seconde au sein du lycée qu’elle envisage. Elle était sujette à des vomissements et je lui suggère de dire qu’elle a une « gastro » pour ne pas paniquer les enseignants qui la côtoient plutôt que de les justifier comme symptôme de sa pathologie mentale.

 Voilà dans quelles situations paradoxales, il faut déjouer les pièges de la normalisation associée à la sélection scolaire. L’annonce du handicap reste ici problématique.

 Si l’école inclusive est décrétée en haut lieu et accompagnée de grandes déclarations, il ne suffit pas de prévoir une place dans une classe pour le jeune concerné. Encore faut-il mobiliser des moyens conséquents en matière de sensibilisation des enseignants, de formation pour qu’ils puissent établir une relation de confiance avec les jeunes concernés par le handicap mais aussi pour construire des outils pédagogiques adaptés… donc cela demande de leur dégager du temps au lieu de les accabler de tâches diverses qui les éloignent de leur fonction pédagogique première.

On ne doit plus compter seulement sur la bonne volonté et la bienveillance des enseignants trop souvent vantées hypocritement par l’Éducation nationale qui se dédouane ainsi de ses manques.

Une réelle coopération doit être recherchée au sein de la communauté scolaire où les services de santé scolaire ont un rôle moteur à jouer dans des échanges d’information et de soutien des autres personnels, au lieu de s’enliser dans des clivages stériles.  Des assouplissements dans l’organisation des enseignements doivent être envisagés dans les établissements pour proposer des soutiens individualisés…

Toute une politique à déconstruire et à reconstruire !

Dominique HUSSAUD

Le Fil Conducteur Psy

lefilconducteur.psy@gmail.com

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