De l’éthique dans la Santé mentale, Grande cause nationale 2025 ?
À la santé mentale, grande cause nationale 2025, le Comité Consultatif National d’Éthique C.C.N.E) répond par la préconisation d’un grand Plan pour la psychiatrie en son Avis 147 : Enjeux éthiques de la crise de la psychiatrie.
Après « de vifs débats » en son sein sur la grande cause nationale, le C.C.N.E choisit de lancer une alerte sur la crise de la psychiatrie dont il dénonce le déni. Citant les dernières Assises de la santé mentale et de la psychiatrie qui se sont tenues en septembre 2021 à l’initiative de l’Élysée, le comité d’éthique se saisit du sujet de la psychiatrie en tant qu’elle prend en charge « les situations de souffrance les plus graves et les plus complexes », sujet qui semble oublié dans le cadre de la « Santé-Mentale-Grande-Cause-Nationale ».
Santé mentale / psychiatrie ?
En effet, de quoi parle-t-on maintenant quand on parle de santé mentale ?
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S), la santé mentale est un « état de bien être qui permet à chacun(e) de se réaliser, de faire face aux difficultés normales de la vie, de produire un travail productif… et de contribuer à la vie de sa communauté ».
Outre cette définition par le bien être, difficile à apprécier voire à quantifier, voire à atteindre, et qui se monétise sous l’espèce du développement personnel, la santé mentale est définie en termes d’aptitude et d’utilité sociale. Cette vision dominante donne lieu à l’explosion, depuis des années, d’une multitude de formations sous formes d’approches "stagifiées" du marché du bonheur assorties de bonnes intentions relevant souvent du simple bon sens. Symétriquement, la maladie mentale est décrite dans la nomenclature du D.S.M, Manuel Diagnostic des Troubles Mentaux, comme un ensemble de troubles, du plus léger au plus grave, plus ou moins incapacitant.
Bien que le D.S.M se présente comme l’Alpha et l'Omega de la nomenclature à destination des soignants, chercheurs en psychiatrie… la clinique de la souffrance psychique et de la folie s’apparente plus à une succession de descriptions de comportements inappropriés socialement qu’il s’agira de réadapter, voire de redresser par la pharmacopée.
La quête du bien-être est devenu un marché juteux, saturé d’injonctions paradoxales où chacune, chacun est invité.e à chercher son « soutien psy ». Inversement, la folie est réduite à une inadaptation. Ainsi, la schizophrénie est-elle désignée, dans une justification à visée dé-stigmatisante, comme « un trouble de l’adaptation » qui aurait pour origine un dysfonctionnement du cerveau. Dixit Alain Ehrenberg :
« Prendre en charge une schizophrénie ou améliorer ses performances et son équilibre psychologique, dans le travail, la sexualité ou les relations avec ses enfants relèvent d’une même étiquette. Entremêlant des problèmes franchement pathologiques et des soucis de mieux-être, la notion est donc si large qu’elle en est indéterminée. Il en va de même de son double, la souffrance psychique. La conclusion provisoire apparaîtra très insatisfaisante car elle consiste en un paradoxe : l’usage de la santé mentale semble aussi transversal que son objet est mal identifié. Or un paradoxe n’explique rien, il ne fait que souligner une obscurité, un problème mal posé. » Revue Française des Affaires Sociales, « Remarques pour éclaircir le concept de Santé Mentale, point de vue » - 2004 – pages 77-88.
Ce déni de la folie, et du psychisme, a une conséquence considérable, le « massacre », « Comment on massacre la psychiatrie française », L'Observatoire, "Essais", 2021 du Dr Zaguri, c’est-à-dire la dégradation des soins et la maltraitance des plus « agités » considérés comme dangereux et traités comme tels, isolés et mis sous contention, plutôt que soignés. Jusqu’à l’oubli des droits des patients dont le respect devrait les garantir de la maltraitance, à défaut de prendre en compte les savoirs expérientiels issus de pratiques cliniques ou de la simple humanité.
Le C.C.N.E, sans expliciter « ses vifs débats » sur la santé mentale, relève vigoureusement les conséquences éthiques majeures de la crise que traverse la psychiatrie : la déshumanisation progressive des soins, le non - respect des droits fondamentaux des patients, la souffrance éthique des soignants, et la fragilisation des personnes les plus vulnérables.
Au nom de l’éthique, le C.C.N.E dénonce « une crise grave, structurelle, voire systémique de la psychiatrie », discipline la plus touchée par les sous financements et les fermetures de services et de lits et ce depuis une quarantaine d’années, la stigmatisation d’une discipline désaffectée - et ajoutons - reléguée à son rôle sécuritaire.
Les ambigüités du rapport du C.C.N.E.
Au nom de l’éthique, le C.C.N.E dénonce l’inaction et préconise un grand plan pour la psychiatrie
Le C.C.N.E demande une réponse structurante, qui redonne toute sa place à la psychiatrie, en tant qu’elle est dédiée aux « maladies de l’âme ». Il proclame qu’il s’agit d’une discipline « médicale à part entière » dont il rappelle les origines, la séparation d’avec la neurologie, et la richesse, en tant qu’elle croise les sciences médicales et les sciences humaines et sociales.
Il préconise de « redonner toute sa place à la clinique psychiatrique », ce qui signale assez nettement sa disparition annoncée.
Et prend ainsi nettement le parti de la vie psychique contre la réduction du « mental » au fonctionnement du cerveau. Le parti de la clinique, au chevet du patient, de ses symptômes de souffrance et de son histoire, contre la réduction du soin aux modifications du comportement, sans nier toutefois ce que pourrait être l’apport des neurosciences. Un parti éthique au chevet de la souffrance psychique jusque dans ses atteintes les plus aigües.
Pour autant, préconisant vigoureusement un « Plan psychiatrie ambitieux et structurant », le C.C.N.E demande diplomatiquement un accès égal aux « soins de qualité », expression aussi connotée que floue, et omet de recommander l’accès aux soins psychiques pour tous qui suppose comme condition indispensable la refondation du secteur à même d’assurer l’accueil de la souffrance psychique, la continuité des soins entre les structures ambulatoires d’accueil de crise, hospitalières, ainsi que le suivi des patients dans la durée qui caractérisait le maillage du secteur en psychiatrie, attaqué et réduit en lambeaux au fil des 40 dernières années.
Malgré ces ambiguïtés, et malgré son côté œcuménique et diplomatique, le Plan pour la psychiatrie veut « redonner toute sa place à la clinique psychiatrique, comme relation intersubjective et comme rencontre », et réinscrit l’altérité de la folie dans le monde commun, non pas en l’euphémisant comme une forme d’inadaptation sociale, mais comme l’expérience humaine d’un cataclysme psychique interrogeant notre être-là au monde.
Concluons sur la conclusion du C.C.N.E :
« Il est dans l’intérêt de chacun et de la société tout entière que la psychiatrie redevienne un lieu pour recevoir la souffrance psychique, la traiter et en prendre soin. Conjointement avec la recherche et l’innovation qui doivent se développer plus largement dans cette discipline, cela suppose de redonner toute sa place à la clinique psychiatrique, comme relation intersubjective et comme rencontre – plutôt que comme rejet de l’altérité et de la souffrance. »