Dans notre monde capitaliste finissant dans lequel le néolibéralisme a gagné toutes les sphères de la société règne une seule pensée : celle du monde globalisé soumis au marché.
Pas tout à fait cependant, car l’état reste la roue de secours qui vient pour soutenir les entreprises lors des dérives du marché. Mais il est bien connu que l’état est là pour le bien de tous !
Cet état de fait totalitaire, la pensée unique, cherche à se maintenir en supprimant toute possibilité de penser le réel en dehors de son scénario présenté comme « naturel », trans-historique et indépassable.
Dès lors, il faut formater la pensée pour que tout le monde y adhère. La télévision et les médias en général ainsi que l’école opèrent ce travail à tel point que si de nombreuses personnes voient les ravages du capitalisme, peu comprennent suffisamment ses mécanismes pour en faire une critique radicale, une critique qui permettrait son dépassement et pas seulement une forme d’aménagement de l’existant.
Pour cela, le débat est systématiquement évacué au profit d’éléments de langage qui tordent le réel, mais aussi par la réduction systématique des réalités en choix binaires. Ces choix étant eux-même accrochés, non à des faits objectifs, mais à une MORALE : celle du Bien ou du Mal.
Ainsi, les discours développés par les hommes politiques, les managers, les conseillers, les philosophes se teintent de cette terrible « écraseuse mentale ». Notre vie dans le règne de la pensée unique doit se résumer à des choix simples. Nos actions doivent se limiter à des successions d’alternatives dans lesquelles nous sommes sommés de choisir entre deux analyses ou deux faits auxquels nous n’adhérons pas forcément, mais qu’il faut valider sous peine d’exclusion. En reliant ces choix à une morale, nous sommes désormais responsables de nos mauvais choix, coupables de les avoir effectués, tout en exonérant ceux qui imposent ces choix et ces modes de fonctionnement.
Cette manière de faire est celle des religions : enfermer les individus dans des choix simplistes et sans retour. Cela permet de mettre en évidence le caractère dogmatique du capitalisme qui repose sur un choix politique et économique mais dont on a invisibilisé la naissance en la présentant comme allant de soi et dont on cherche à présent par tous les moyens à empêcher une critique radicale qui la remettrait en cause.
Cette vision est un totalitarisme de la pensée, mené en premier lieu par les médias qui prétendent faire de la démocratie en invitant chacun à s’exprimer et à rallier un camp. C’est le principe même de l’émission infâme d’Hanouna. Cette télé réalité est non seulement dangereuse, mais mortifère car elle permet de défouler ceux qui s’expriment avec une violence verbale impossible ailleurs, tout en occultant tout débat. Les idées se résument à des invectives moralisatrices ou à des insultes. Dans cet univers binaire, l’autre devient soit CONFORME, obéissant, « gentil », soit DEVIANT, rebelle, « méchant ».
C’est à ce genre de procédé que l’on recourt pour opérer la manipulation mentale des masses dans n’importe quel système totalitaire. Cela en dit long sur la nature réelle de notre démocratie et sur la nature profonde de notre monde présenté comme libre et tolérant et qui garantirait à tous la liberté de penser et d’expression.
Le triste échange d’insultes sur médiapart lors des articles concernant Callac en est l’éclatante illustration. J’ai refusé exprès de prendre parti entre OUI et NON pour justement ne pas enterrer le débat autour de l’accueil des étrangers à Callac, car j’estime que l’enjeu sous-jacent dépasse largement ce cadre. Si j’avais dit que les étrangers doivent être accueilles, il ne restait qu’à ajouter : « les autres sont des dangereux fachos », et tout le sens de mon propos était instantanément évacué, devenu hors sujet.
J’ai cherché à démontrer au contraire, en renvoyant dos à dos les tenants des deux bords, pourquoi ceux qui a priori (dans la lecture binaire des événements) sont les « gentils », ne sont justement pas aussi vertueux qu’ils apparaissent, voire même qu’ils sont dangereux dans leur vision néo coloniale des pauvres et de leurs territoires.
Non seulement mon discours a été mal compris, mais en plus, tous les arguments détaillés que j’ai pu développer, ont été lus avec les lunettes déformantes anti fascistes des « gentils » qui voyaient en moi, forcément le « méchant », puisque je n’allais pas dans leur sens.
Cela montre combien l’intelligence n’est plus sollicitée, dès que l’on fait appel à un choix binaire. Au contraire, ce qui est demandé est la simple recherche de conformité, l’acquiescement à un discours tout fait, sans nuance, et tout élément divergent devient nul et non avenu ou est considéré comme déviant, dangereux. L’autre est soit un AMI, soit un ENNEMI. C’est une logique de guerre, ce n’est plus une logique de discussion ou d’analyse. Et dans cette guerre, les principaux responsables sont invisibles.
On peut ainsi se rendre compte que nos sociétés de la pensée unique ne peuvent plus qu’aboutir et se maintenir grâce au totalitarisme qui prend la forme de la propagande de masse. Par l’habitude de se soumettre à des choix, à réduire toute réalité complexe à des fact checks, vrai ou faux, on impulse aux masses ce qu’il convient ou non de penser. Ainsi progressivement l’information devient le déroulement de fait choisis et orientés que l’on nous dicte comment analyser et comprendre, une pédagogie de masse pour faire accepter les inéluctables conséquences de la pensée unique.
Cette attitude s’accompagne inéluctablement d’un renforcement de l’extrême droite.
C’est ce mécanisme qui a mené le peuple allemand à ne pas dénoncer la mise à l’écart des juifs, puis l’holocauste. Plus près de nous, c’est le même mécanisme qui a été mis en place lors du covid, avec lequel une majorité renforcée par sa légitimité d’appartenir au « camp du Bien » a accepté de cracher sur les non vaccinés de les reléguer sans salaire depuis près de 600 jours…. Bref, de faire ressortir chez chacun, la graine de nazi qui s’ignore.
Cette rhétorique de la banalité du mal développée par A. Arendt a été reprise par Ariane Bilheran pour analyser les mécanismes à l’œuvre durant la crise covid, cachés par la soi-disant neutralité de l’information.* Ce mode de fonctionnement est terrible, car il impose à chacun des choix et relègue tous ceux qui ne se soumettent pas à ce modèle à la NON EXISTENCE, à l’EXCLUSION, à la mort sociale. C’est un processus extrêmement violent d’ostracisation ou de soumission forcées.
La pensée binaire est d’autant plus dangereuse ou séduisante qu’elle nous donne l’illusion de la LIBERTE de penser, l’illusion d’un choix qui au fond, n’en est pas un. Elle ne nous donne pas le choix de n’être d’accord ni avec l’un, ni avec l’autre. Elle n’autorise aucune nuance, aucune abstention, aucune interrogation. Elle a le visage hideux de la bêtise et de l’obéissance aveugles. Elle fait le lit des totalitarismes, elle est l’anti-chambre des camps et de l’extermination de masse au nom de la vérité d’une pensée unique.