Article de Jacques Chastaing du 9 avril 2023
analyse intéressante de la situation actuelle et de ses enjeux. A lire en entier sur :
https://www.facebook.com/photo/?fbid=6064056327049194&set=a.1089483294506547
REFORME OU RÉVOLUTION : LE MOUVEMENT ACTUEL ENTRE DEUX ÉPOQUES
Le mouvement est toujours dans une phase ascendante.
Le succès du 6 avril en témoigne après pourtant presque trois mois de mobilisation continue. Les journées des 13 et 14 avril l'illustreront certainement à nouveau.
Ce mouvement qui crée une nouvelle page de l'histoire de France est inédit parce qu'il a les pieds dans deux périodes. Il y a celle d'hier, ouverte par les trente glorieuses, ses conquis sociaux et son réformisme dominant qui se défait lentement et celle de demain qui commence à prendre forme avec une contre-révolution des possédants qui tentent de réduire à néant les protections sociales et les conquis démocratiques du passé et en conséquence une riposte populaire, le retour à une lutte de classe ouverte et l'entrée dans une nouvelle ère de révolutions.
Le mouvement aujourd'hui est encore à la charnière avec d'une part, dans cet univers où les conquis sociaux existent encore, des organisations et des références militantes adaptées à cette époque, qui au plus loin et au plus radical, s'arrêtent à mai 68 et, d'autre part, l'entrée dans une lutte de classe d'un tout autre niveau, bien plus dure, un gouvernement inflexible qui ne négocie rien, mettant les organisations syndicales et la démocratie parlementaire de côté, ne connaissant comme seule réponse que la violence policière, et comme seule régime, celui de l’État régalien.
Aussi, tout le mouvement actuel se concentre dans le basculement d'une période à l'autre et dans les prises de conscience qui accompagnent ce basculement. Pour comprendre ce qui est nouveau dans ce mouvement, et percevoir ce qui est devant nous et comment s'y préparer, il faut chercher des repères dans une filiation plus ancienne, dans une période de lutte de classe radicale sans guère de protections sociales mais qui y a conduit, celle des années 1934-1935, juste avant la grève générale de mai-juin 1936 et le Front Populaire. Ces années ne font pas partie de notre expérience vivante, c'est pourquoi il me faudra être un peu plus long.
CARACTERISTIQUES D'UN MOUVEMENT MASSIF ET SUBVERSIF DANS LA DUREE
Observons d'abord ce qui se passe.
Beaucoup s'inquiétaient de cette 11e journée d'action. Avec un mouvement qui dure depuis deux mois et demi, les journées saute-moutons et l'usure des grèves, allaient-elle annoncer le déclin du mouvement ?
Eh bien non. La mobilisation ce 6 avril s'est maintenue au niveau des plus fortes. Cela signifie que nous ne sommes plus seulement dans un processus de journées saute-moutons qui usent. Nous sommes entrés dans autre chose. Et assurément, la 12e, le 13 avril, la veille du jour où le Conseil constitutionnel doit se prononcer, sera encore du même niveau voire plus Et elle sera probablement redoublée le 14 avril, d'une nouvelle journée d'intensité sociale extrême et radicale du type de celles des journées qui ont accompagné le 49.3 ou le vote de la motion de censure. Cela signifie que le mouvement continue à monter, au sens où le moindre incident fortuit, ou concours de circonstances inopiné, peut le faire basculer dans un tout autre mouvement d'un niveau encore bien plus important. Ce que tout le monde sent et attend et pour cela continue à se mobiliser.
Mais en même temps, en attente de cet événement, si peu se fatiguent, beaucoup hésitent à entrer sérieusement dans la lutte.
Et cela parce que la réforme des retraites concerne tout le monde et en même temps...pas tout le monde ! C'est de fait une liquidation des retraites pour la majorité. Mais, en même temps, beaucoup parmi les salariés les plus pauvres, les précaires, les chômeurs, beaucoup de femmes et de jeunes savaient déjà avant cette réforme qu'ils n'auraient pas vraiment de retraite. Cette réforme n'est qu'une légalisation élargie à tous de ce que eux vivent déjà. C'est pourquoi, ils se préoccupent plutôt de comment vivre maintenant, d'ici l'hypothétique retraite, c'est-à-dire avoir un emploi et un salaire suffisant. Du coup, ils s'inquiètent, si ce mouvement gagnait, qu'est-ce qui changerait vraiment pour eux ? On a envie de dire, surtout pour elles, parce que, remarquons-le, ce mouvement par les secteurs professionnels les plus engagés est surtout masculin. Alors, ils/elles participent massivement aux journées d'action, parce qu'ils savent que cette réforme est une porte ouverte à d'autres attaques si elle passe et la possibilité de s'ouvrir à d'autres luttes si le mouvement gagne.
La lutte pour les retraites porte en elle la possibilité d'autres victoires. Mais juste la possibilité. C'est dans la tête de tous, mais pas encore dans la réalité même si toutes les luttes importantes actuelles, des électriciens ou des éboueurs, ont d'autres revendications et pas seulement celle des retraites. La possibilité, c'est beaucoup mais pas tout. C'est pourquoi, il n'y a pas réellement de grève prolongée dans le privé et dans les secteurs féminisés du travail. Ce qui est déterminant pour gagner. Et les directions syndicales ne veulent pas élargir les revendications aux salaires et à l'emploi... Par contre, ceux qui sont à la pointe de la lutte, les électriciens et gaziers, les raffineurs, et encore des cheminots, dockers, éboueurs ou des enseignants ont beaucoup à perdre, y compris pour certains à sa suite, leur statut.
( ...)
Sans continuité totale, ni vraiment discontinuité, ce sont toutefois les grèves reconductibles, qui se relaient les unes les autres, initiées par certains secteurs de la CGT et de Solidaires, énergie, chimie, éboueurs, cheminots, ports et docks, enseignants, étudiants et lycéens... qui fondent ce mouvement par sa radicalité. Une radicalité qui s'entend avec ceux qui disent qu'on « va tout reprendre » et aux méthodes et objectifs offensifs des électriciens résumés dans leur chant repris au congrès de la CGT « Manu si tu continues, il va faire tout noir chez toi ». Cela permet les opérations coups de poings ou Robins des Bois qui rendent le mouvement visible, un élément du succès, parce qu'on brave les interdits, un autre élément du succès, ce qui permet aussi de répondre coup par coup aux provocations du pouvoir, d'instaurer une sorte de dialogue direct entre le mouvement – qui a donc une expression propre - et le pouvoir sans passer par le prisme édulcorant des directions syndicales. Ainsi le mouvement le plus avancé parle, même s'il n'a pas d'auto-organisation et de porte-parole. C'est cette expression propre et radicale du mouvement, en formant avec la jeunesse une sorte de second mouvement qui s'est autonomisé aux côtés de l'intersyndicale nationale qui contribue à ce qu'il y ait toujours beaucoup de monde aux grandes journées d'action intersyndicales, qui elles apportent à cette avant-garde le monde et l'unité des moins conscients. Une unité entre les plus avancés et les moins avancés que le mouvement a réussi à articuler et qu'il ne faut surtout pas rompre., en dénonçant par exemple trop stupidement les directions syndicales. Ce ne sont pas elles qui dirigent le mouvement et le freinent, c'est le mouvement qui les dirige et avance lentement pour que tout le monde puisse suivre.
Ce second mouvement est la forme aujourd'hui de son auto-organisation. C'est pour ces opération coups de poings qu'on a le plus le besoin d'AG interpro, de lieux occupés ou se retrouver, de prise en main collective de ces actions hors des intersyndicales, intégrant ainsi au mouvement les secteurs les plus radicaux des GJ aux Black Blocks. Pour autant, le mouvement dans son ensemble n'a pas sa propre auto-organisation. Mais en mai 1968 non plus, il n'y avait pas d'auto-organisation en tous cas de coordination régionale ou nationale, c'était le mouvement étudiant qui en faisait fonction comme aujourd'hui ce mouvement des actions radicales. Du coup, par ce second mouvement, les journées saute-moutons des directions syndicales en sont transformées, et deviennent par l'unité ouvrière qu'elles portent, autant d’encouragement du nombre à la radicalité des minorités en grève ou autour d'elles comme réciproquement la radicalité des plus avancés encourage les plus larges couches de la population à croire dans la détermination du mouvement, par-delà les faiblesses des directions syndicales. Et tout cela forme, ensemble, autant d'étapes d'un peuple qui se lève.
UN MOUVEMENT TOUT A LA FOIS SOCIAL ET POLITIQUE, COMME TOUS LES GRANDS MOUVEMENTS lire la suite sur https://www.facebook.com/photo/?fbid=6064056327049194&set=a.1089483294506547
QUEL ACTE DEUX ?
(.....)
L'acte deux ne peut être que la marche vers la généralisation de ce qu'ont initié les électriciens : se réapproprier le monde et en construire un autre, débarrassé de toute exploitation et oppression et qui respectera la nature. Déjà de nouvelles dates/étapes s'annoncent devant nous. Un nouveau Sainte-Soline, joliment baptisé « Sortie de route » les 22 et 23 avril entre Tarbes et Toulouse. Et puis un 1er mai assurément différent et qui comme le 14 juillet 1935 par la masse des gens rassemblés ce jour-là, avait été un accélérateur extraordinaire.
Quoi qu'il en soit, qu'il y ait une pause dans le mouvement ou qu'il n'y en ait pas, nous avançons dans l'ère des révolutions. Et si nous ne pouvons pas créer la grève générale – elle advient ou pas - nous pouvons contribuer à cette prise de conscience de la situation dans laquelle nous entrons. Quelle que soit la forme pratique que prendra cette prise de conscience, occupations, auto-organisation, grèves reconductibles, grève générale, marche vers l'Elysée ou tout autre chose... , elle fera reculer le pouvoir et les possédants, pas à cause de la forme qu'elle aura prise mais du fait de la conscience révolutionnaire grandissante qui l'habitera. Et à cela, nous pouvons et devons y contribuer de toutes nos forces.
Jacques Chastaing, 9 avril 2023