Face à ce constat, le texte de 2009 de Bruno Astarian reste non seulement actuel, mais d’une lecture urgente.
Son analyse sans compromis de l'abandon du système capitaliste est limpide. Loin de tout dogmatisme, il montre combien le capitalisme est devenu si total dans nos vies, que se révolter contre lui passe par la destruction systématique de ce qui le constitue : la valeur, l'argent, le travail, la marchandise, et toutes les implications que cela induit.
L’intégralité du texte est à lire sur le site :
http://www.hicsalta-communisation.com/textes/la-communisation-comme-sortie-de-crise
La communisation comme processus
La communisation cela ne signifie pas que le communisme s’instaure d’un coup de baguette magique. Il y aura lutte, avancées et reculs de la révolution. Mais cela signifie que les actions qu’entreprendront les révolutionnaires aboliront le travail et la valeur, et tout le reste (famille, patrie…) ici et maintenant. Quand la révolution attaquera la propriété capitaliste, elle ne donnera pas au prolétariat une propriété qui lui échappait jusqu’ici, mais elle abolira toute forme de propriété, tout de suite. Il est impossible de décrire cela dans le détail. (…)
Activité de crise et communisation
Quand la crise éclate, le prolétariat se soulève parce que le non-achat de la force de travail l’exclut du rapport social et de tout rapport à la nature. Ce faisant, il développe une activité de crise qui est la matrice de tous les possibles. La possibilité du communisme ne se trouve que dans l’activité de crise du prolétariat. ( ….)
L’activité de crise repose sur deux éléments essentiels : individualisation/démassification du prolétariat, et prise de possession d’éléments de la propriété capitaliste pour les nécessités de la lutte – pas pour reprendre le travail sans les capitalistes. (…) La démassification du prolétariat sera d’autant plus nette qu’elle a déjà été entamée par le capital post-fordiste. Vouloir un retour aux beaux jours de l’ouvrier masse est un rêve contre-révolutionnaire. Quant à la propriété capitaliste, deux traits la caractérisent.
- D’une part, rien ne lui échappe. Le capital s’est tellement emparé de toute la vie que, quoi qu’on fasse, on est toujours chez lui. Quand la crise éclate, le prolétariat ne peut rien faire sans empiéter sur la propriété capitaliste. Même une simple manifestation l’oblige à occuper le bitume municipal. (…)Toute action du prolétariat dans son activité de crise l’oblige à affronter le capital pour prendre possession d’une partie de la propriété et donner ainsi une objectivité à son existence qui n’est sinon que celle d’un pur sujet. Et, dans la crise actuelle, le monopole de la propriété capitaliste est si total que, moins que jamais le prolétariat n’a de possibilité de repli. Il est le dos au mur. P. ex, le capital a supprimé toute possibilité de repli à la campagne.
- D’autre part, les biens de la propriété capitaliste sont fortement marqués, dans leur valeur d’usage, par les nécessités de la valorisation. Pour cette raison, l’activité de crise sera amenée à beaucoup détruire et détourner. Il n’est pas exclu que le prolétariat s’empare d’une chaîne de montage, mais il est exclu qu’il fasse des voitures.
‘Production’ sans productivité et abolition de la valeur
C’est à partir de l’activité de crise, et pour en sortir, que s’enclenche la communisation. La communisation ne répond pas à un idéal ou à un mot d’ordre politique. Elle est la solution des difficultés de reproduction que le prolétariat rencontre dans son activité de crise. Celle-ci est une lutte contre le capital pour assurer la survie, pas plus. Lorsque les alternatives prolétariennes contre-révolutionnaires ont fait la preuve de leur inefficacité à sauver économiquement le prolétariat, la communisation fait le saut dans la non-économie. Le paradoxe est que, alors que au plus profond de la crise, les besoins du prolétariat sont immenses, la solution consiste à tourner le dos au productivisme. La ‘production’ sans productivité n’est pas une fonction de production. C’est une forme de socialisation des hommes dans le communisme où la production intervient, mais sans mesure du temps ni de rien d’autre (intrants, nombres d’hommes impliqués, résultat productif). (…)
Durant la phase de descente aux enfers de la crise, la reproduction du prolétariat est principalement assurée par la prise sur le tas. Même dans une économie qui fonctionne en flux tendus, il y a des stocks. L’activité de crise consistera (entre autres) à s’en emparer. Déjà à ce stade, on peut imaginer une divergence entre une voie contre-révolutionnaire qui vise à comptabiliser, à regrouper les biens, à coordonner leur distribution, à faire respecter des critères de droits et de devoirs, etc., et une voie communisatrice, qui récuse cette économie du pillage et la formation d’instances supérieures de la distribution, même élues démocratiquement etc. Cette deuxième voie insistera sur le fait que l’approfondissement local, la gratuité absolue, valent mieux qu’une stabilisation nationale.
Dans une deuxième phase, celle de la sortie de crise proprement dite, la production reprendra.
Le problème est alors de savoir comment la production peut repartir sans travail, ni productivité, ni échanges. Le principe de la ‘production’ sans productivité est que l’activité des hommes et leurs rapports sont premiers par rapport au résultat productif. La production reprend sur cette base parce qu’il n’y en a plus d’autres. Développer la production sans productivité, c’est abolir la valeur dans ses deux formes :
- Valeur d’échange : si rien n’est comptabilisé, si la justification de l’activité n’est autre qu’elle-même, le produit résultant de l’activité n’a aucun contenu abstrait.
- Valeur d’usage : la VU se distingue de l’utilité simple par le fait qu’elle a, elle aussi, un contenu d’abstraction. L’utilité de la marchandise doit être générale, ou moyenne, pour satisfaire un utilisateur inconnu dont on ne sait pas le besoin particulier (prêt-à-porter/sur mesure). La production sans productivité est une activité particulière d’individu particuliers, satisfaisant des besoins exprimés personnellement. L’usage des objets fabriqués porte la marque de cette particularité. C’est l’anti-normalisation. Le caractère nécessairement local de la communisation y contribue.
Dans la révolution communiste, l’acte de production ne sera jamais productif seulement. L’objectif des individus ayant décidé de mettre en place une boulangerie ne sera pas de réaliser un nombre déterminé de pains, mais de se socialiser, de cultiver leurs affinités en produisant du pain. De plus, ces prolétaires ne produiront pas du pain comme catégorie générale, mais un pain particulier qui les sollicite ce jour-là. Enfin, l’approvisionnement de nos boulangers en farine risque d’être aléatoire, au moins dans un premier temps, si les prolétaires qui sont au moulin suivent les mêmes principes. Certains jours, il n’y aura pas de farine parce que ceux qui étaient au moulin ont préféré discuter de l’amour et du sens de la vie. C’est la chienlit ? Disons simplement que ce jour-là il n’y aura pas de pain. Il faut l’assumer. (…)
De façon générale, on retiendra que la communisation remplace la circulation des biens entre les « producteurs associés » par la circulation des individus d’une activité à l’autre. Cela implique notamment que :
- Les « lieux de production » n’auront pas de personnel permanent, produiront ou ne produiront pas selon la motivation et le nombre des présents, car les « lieux de production » seront avant tout des lieux de rencontre et de vie.
- Au moins dans un premier temps, la communisation se fera localement, non pas comme communautés autarciques, mais comme initiatives entièrement contrôlées par les participants. La communisation se fera comme une nébuleuse d’initiatives locales. Ce n’est, me semble-t-il, qu’à cette échelle locale que la communisation peut faire la preuve qu’elle améliore tout de suite la vie des prolétaires. Or cet aspect est fondamental : les prolétaires font la révolution pour vivre mieux, pas par idéal. (…)
(………)
Conclusion
L’abolition de la valeur, la destruction du capital et l’auto-suppression du prolétariat ne sont des moments mystérieux ou mystiques que si on les envisage dans un processus insurrectionnel de type ancien mouvement ouvrier, affirmant l’identité travailleuse de la classe ouvrière et se fixant comme but de mettre le prolétariat (en réalité ses représentants) au pouvoir politique. Jusqu’à présent les communistes ont buté de façon insurmontable sur ces questions et n’ont trouvé que la société de transition pour éluder l’obstacle. La société de transition est un leurre, de même que celui du dépérissement de l’Etat.
Depuis la crise des années 60-70, le processus même de la contradiction entre les classes a commencé à nous débarrasser de ce problème. L’évolution récente du rapport des classes permet de comprendre beaucoup mieux que Marx lui-même la nature intime de la société capitaliste, la valeur, le travail, et donc leur abolition. Elle permet ainsi d’approcher de plus près ce que sera le communisme et le processus révolutionnaire de communisation qui le créera. Plus la crise va s’approfondir, plus on avancera sur cette voie.
Bruno Astarian
Août 2009