le moine copiste

Abonné·e de Mediapart

200 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 novembre 2020

le moine copiste

Abonné·e de Mediapart

Ta gueule ! museler la parole qui dérange.

"Ta gueule !" Au moment où cet agent de police m'insulte, il n'est plus le représentant de l'état, mais un homme qui se sent attaqué, outragé par mes paroles qui pourtant ne le visent pas.

le moine copiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De sortie cet après-midi pour manifester, non pas contre la loi sécurité, car notre bonne ville bourgeoise approuverait plutôt le renforcement des lois liberticides, mais avec un cortège de commerçants inquiets pour leur avenir.

Peu de monde et quelques gilets jaunes qui faisaient tache dans l'atmosphère bon teint ... les seuls un peu "vivants" pourtant ! Opération de communication pour cette manifestation déclarée comme il se doit, en préfecture, avec palabres courtois des policiers pour encadrer les 100 à 150 personnes présentes...

Le RT du coin était là, discutant joyeusement. Pourtant derrière cette jovialité, quel sinistre métier : celui du délateur professionnel patenté, affublé de son sourire de Judas !

Je bouillais dans mon coin. Toute cette docilité passive et ce combat d'arrière-garde : " on veut travailler ". Travailler pour faire de l'argent, évidemment ! Mais à aucun moment ces petits commerçants ne se posent la question des autres travailleurs, ceux à qui l'on permet de travailler en s'entassant dans les usines, ceux pour lesquels la distanciation a simplement été abolie, parce qu'impossible, dont les enfants dans les écoles.

Ces petits commerçants dans la rue militent pour leur commerce, leurs privilèges. Ils ne se mêlent de rien, et surtout pas de politique, car cela les obligerait à voir combien ils ont été complices durant des décennies des lois qui maintenant les fragilisent. Ce sont eux qui ont voté Macron ou Le Pen, soutenu la répression des gilets jaunes, appelé de leurs vœux des lois sécuritaires, dénoncé avec tous les gouvernements le "séparatisme", ce mot qui cache le simple réflexe raciste et fleurté avec l'extrême-droite au nom de la bien-pensance bourgeoise. Si demain, ils obtenaient réparation, ils rejoindraient sans tarder les forces de l'immobilisme et de la réaction, le reflet cynique de l'égoïsme petit-bourgeois.

Alors je me suis mis à hurler des slogans politiques. Et devant le cercueil des commerçants, j'ai crié : " ce n'est pas que le petit commerce qu'on enterre, c'est la liberté"." L'état d'exception permanente, c'est la dictature "... et autres slogans politiques, montrant ainsi la mesquinerie de leur combat.

En arrivant devant la Préfecture, je répète ces slogans devant les quelques policiers en faction. Un policier me répond : "ta gueule".  Je fais mine de ne rien avoir entendu et je poursuis mon chemin en rajoutant  : " la colère monte dans le pays ", "la Préfecture a brûlé en 1944, cela peut se reproduire ".

"Ta gueule !" Au moment où cet agent de police m'insulte, il n'est plus le représentant de l'état, mais un homme qui se sent attaqué, outragé par mes paroles qui pourtant ne le visent pas. Cela en dit très long sur les convictions profondes et l'état d'esprit d'une partie des personnes qui représentent la violence légitime de l'état.

Il est notoire que beaucoup de policiers partagent des idées du RN. Arrivent-ils à faire la part des choses entre leurs pensée personnelle et leur fonction lors de l'exercice de leurs missions ? Cette perte de contrôle instinctive permet d'en douter.

Ils se retrouvent en première ligne pour défendre des vues politiques qu'ils partagent ou non. Le gouvernement est tellement autoritaire et clivant que les policiers sont sans cesse sollicités pour tenter d'endiguer l'expression de la colère populaire, bien légitime pourtant. Il doit sans doute provoquer à la longue un agacement chez les policiers, que l'on soit d'accord ou non avec les décisions gouvernementales. Cela dénote de la tension extrême d'un pays qui ne tient que par sa police et par les menaces de répression car il a perdu toute autre légitimité populaire.

L'instrumentalisation de la répression des gilets jaunes a induit une dérive grave. Certains policiers ne font plus aucune différence entre un discours politique et ce qui pourrait être qualifié de trouble à l'ordre public. En fait, le gouvernement a systématiquement instrumentalisé en délits de droit commun, ce qui relève pourtant de l'action politique (les rassemblements, les manifestations, les slogans, toute une partie de l'expression d'idées différentes aux siennes)

Cette réponse instinctive montre l'étendue d'une forme de détestation, de haine contre ceux qui pensent différemment et que certains policiers aimeraient, tout comme le gouvernement pouvoir faire taire. Le fait de leur avoir laissé carte blanche depuis plus de deux ans a fait naître des réflexes de toute puissance, un début d'autonomisation en "milice" en quelque sorte. Les policiers se sentent légitimes d'insulter, alors que c'est contraire à leur mission.

La loi de sécurité globale a évidemment ce but : permettre aux chiens de garde du système que sont devenues les forces de l'ordre, de déchaîner leur violence sans aucune retenue y compris pour des faits mineurs. Il s'agit de terroriser, de museler toute expression autre que la parole gouvernementale, "sacralisée " dans la grand-messe du JT avec le tampon "approuvé" qui permet de distinguer pour les masses que l'on prend pour des imbéciles, la vérité de la fake news.

Après la répression des manifestations, l'imposition de la loi permanente d'exception, le renforcement des lois liberticides, l'instrumentalisation de la justice, cette énième loi de contrôle pourrait se résumer par ces deux mots que le gouvernement adresse à chaque français à travers la voix de ses policiers : "ta gueule !"

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.