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Billet de blog 27 avril 2023

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Tout le pouvoir aux casserolades

Ce qui peut sembler une boutade au premier abord, aboutit progressivement à une situation qui n’est pas sans évoquer celle de la Russie de 1917. Car les casserolades par leur importance, leur capacité d’adhésion populaire massive et leur dissémination partout sur le territoire créent un réel rapport de force avec le gouvernement. Ce n’est que le début.

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Premier succès, aujourd’hui, le préfet du Doubs a retiré son arrêté anti casserolade car il sait que le tribunal va débouter sa demande qui est illégale. Première victoire des casseroles ! Les tentatives du pouvoir de reprendre la main sur la communication et sur l’agenda tournent au fiasco. Les membres du gouvernement sont de plus en plus empêchés de s’exprimer et de se déplacer après avoir nargué, snobé et méprisé les syndicats depuis septembre et les grévistes depuis 3 mois.

La crise politique de légitimité latente due à la nature autoritaire et verticale de la Ve république s’est vue largement aggravée par l’attitude de Macron qui dirige la France en chef d’entreprise et traite les français comme ses employés. Ce type de comportement entraine le rejet et la détestation car le niveau de souffrance au travail en France est élevé. Les méthodes de management autoritaire et technocratique et la faiblesse du dialogue syndical sans compter la pression accrue suite à l’imposition des 35 heures, ont développé des rapports sociaux dégradés dans presque tous les secteurs d’activité. C’est aussi pourquoi l’idée de travailler deux ans supplémentaires paraît aussi insoutenable.

Les casserolades qui sont issues d’un mouvement spontané de nécessite de se faire entendre dans l’espace public a connu tout de suite un succès fulgurant face à la surdité des appareils politiques. Mais sa généralisation et son utilisation systématique pour contrer l’opération d’enfumage des 100 jours promis par Macron, opère un changement de nature. Les casserolades deviennent pour la population non plus un moyen de montrer leur existence, mais d’exercer un rapport de force réel, à tel point que malgré les arrêtés préfectoraux d’interdictions, les amendes, les gazages et la répression, les réunions de protestations bruyantes attirent de nombreux français partout dans l’hexagone, réussissant à faire annuler des visites d’élus ou à provoquer leur fuite devant cette forme de colère.

Quelle revanche pour le peuple des riens, les gueux, les invisibles de reconquérir enfin l’espace public !

A ceux qui affirment que faire du bruit, ce n’est pas parler, on répondra que les réunions selon Macron servent à donner l’illusion du dialogue, d’afficher une attitude démocratique et le respect des institutions, alors que ce dernier poursuit depuis plus de 6 ans, en ignorant toute critique, la réalisation verticale et technocratique de la feuille de route que la bourgeoisie lui a donnée : détruire pierre après pierre, les conquis du CNR, appauvrir les français pour permettre de continuer à dégager d’immenses marges de profit pour les 0, 001% de la population soutenus par la frange réactionnaire des gens aisés, ceux qui démolissent le contrat social et tuent la population sous prétexte de liberté et de progrès.

Au moment de l’insurrection de 1917, peu de gens comprenaient réellement ce qui se passait en Russie. Lénine, revenant de son exil en Suisse quelques semaines après le début de l’insurrection, rédige Les thèses d’avril. Sa position est totalement minoritaire dans les instances du parti bolchevik. Car à la différence de l’ensemble des dirigeants bolchevik ou autres, Lénine a parfaitement compris la double nature des assemblées populaires appelées alors « soviets ». Cette double nature contient en germe le pouvoir autonome de la population. Il est l’un des rares penseurs avec Trotsky à l’époque à analyser le fait que les « pouilleux» qui essuient la boue de leur bottes sur le parquet ciré du palais de Tauride, préfigurent le pouvoir ouvrier. Lénine donne le mot d’ordre suivant : tout le pouvoir aux assemblées. A l’époque, personne ne pariait sur ces paysans crottés, personne ne comprenant comment ces illettrés pouvaient constituer la force d’un mouvement politique. Et pourtant…

Sans pour autant adhérer aux thèses de Lénine, je ne peux m’empêcher de constater que la situation actuelle ressemble furieusement à celle de l’époque. Déjà il y a 4 ans, dans le déni de l’ensemble de la classe politique face aux gilets jaunes. Il faut voir dans les casserolades, la continuation de l’expression du peuple des gilets jaunes élargi à l’ensemble de ceux qui le soutenaient déjà (70 %) mais qui entre temps ont compris l’imposture du pouvoir. Ils réalisent à présent que la violence instrumentalisée par les médias pour les détourner de la lutte, n’était que l’expression de la violence d’une caste sourde aux revendications et arc-boutée dans la défense de ses privilèges. Les illusions sont tombées et la colère d’avoir été floué l’accroit encore, d’autant que les conditions sociales se sont largement aggravées depuis lors.

Les casserolades permettent de tisser des liens entre tous les floués du système, les invisibles, les exploités, recréant un embryon de classe qui partage la même lutte contre l’oppression capitaliste. Même si les idéaux ne sont pas les mêmes, le regroupement autour d’un ennemi commun rend cette agrégation très efficace.

Les syndicats ne servent que de prétexte et de soutien logistique, voire de protection contre la répression. En effet, les syndicats sont des outils de régulation des crises en faveur du maintien du système dominant, et non comme le pensent les populations, un outil de protection des travailleurs, sauf à la marge. C’est parce que depuis 3 mois, le mouvement populaire est très massif que les syndicats ne peuvent se permettre ni division, ni discussion avec le gouvernement sous peine d’être considérés comme des traitres et de perdre toute crédibilité.

La force de la mobilisation risque de faire basculer le peuple des casseroles aux assemblées populaires.

C’est à ce moment qu’il sera important de ne pas céder à la tentation des réactionnaires qui défendent la création d’une Constituante, mais appuyer vers la démocratie directe, seule à même de créer la dualité de pouvoir face à la bourgeoisie, afin de pouvoir peser sur les décisions, renverser le pouvoir existant et recréer un nouveau paradigme reposant sur les besoins et non sur l’argent.

L’enjeu des casserolades n’a donc rien d’anodin. Ce n’est pas pour rien qu’il entraine un tel déchainement de haine et de violence dans la caste des nantis qui se sent directement attaquée, tant physiquement (ce qui est de l’ordre du fantasme, car les manifestants sont pacifiques) que dans la remise en cause profonde de leurs valeurs, de leur position sociale et de leur dogme.

Les casserolades constituent donc une riposte symbolique mais puissante dans la guerre constante que mène l’oligarchie contre le peuple, dont l’enjeu est le maintien d’un système injuste qui assure la pérennité de leurs privilèges.

PS : à l'heure où je publie ce billet, Macron-Pétain poursuit sa propagande puante avec les enfants sous le regard complaisant des médias aux ordres. L'image de la France n'en sort pas grandie !

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