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Billet de blog 6 février 2022

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Le Monde Libertaire Février 2022 N° 1836

Le Monde Libertaire de Février 2022 N°1836 est parut !

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EDITO

- T’as vu l’info ?

- Non. Mais c’est un faux ?

- Non, c’est un vrai. Bourré d’infos. Un vrai mensuel ! Militant, intelligent, libertaire, engagé quoi !

- Engagé ? Mais par qui ?

- Pas par les milliardaires en tout cas ! C’est un canard d’anars ! Le Monde Libertaire commente l’actualité, donne des pistes de réflexion, conseille des livres et informe sur des luttes un peu partout dans le monde et même, des fois, tout près de chez nous. Je peux t’assurer que les anarchistes ont des idées sur tout. Tiens, cette fois-ci on y parle d’amiante, de la renaissance de l’AIT au Brésil, de l’avenir de la planète (et il n’est pas reluisant !) mais aussi de la révolte au Soudan, du grand remplacement, des biais cognitifs… 

Il y a des coups de gueule, des points de vue sur les nouvelles formes de subversion et surtout de comment est produite l’information, par qui, comment et pourquoi.

- Donc c’est un journal informé ? Mais c’est qui les journalistes ? Ils et elles ont été formé.es pour délivrer de l’information ?

- Non. C’est toi et moi, des gens ordinaires ! Enfin plutôt extraordinaires puisqu’ils et elles essaient de penser le monde à partir de leurs propres expériences, de leurs propres émotions, de leur vécu et de leurs lectures… de leurs débats aussi et ils sont mouvementés ! Et c’est d’autant plus curieux qu’on a un peu l’impression que les sujets d’actualité de la presse traditionnelle tournent, eux, en boucle, et à vide, autour de 2 sujets uniquement : le Covid et les prochaines élections en France. Le Monde Libertaire ne joue pas dans cette cour. Bref ce sont des anarchistes !

- … Y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent…

- Oui ! et toujours sans Dieu ni Maître !

Caillou

Illustration 1

Zemmour (6) 
La fable du Grand remplacement

« Grand remplacement » ou « Apartheid sans miradors » ? Témoignage depuis la banlieue.
Été 1972. Je suis hébergé chez un professeur de linguistique de Tampa, en Floride. C’est un quartier légèrement périphérique, très classique, avec des maisons entourées de pelouses sans barrières, où une bourgeoisie blanche moyenne de cadres, d’ouvriers qualifiés et de professions libérales commerçantes coexiste sans mal, dans un entre-soi et une complète bonne conscience. Le quartier a voté démocrate depuis toujours, beaucoup sont hostiles à la guerre du Vietnam et la plupart sont favorables à l’abrogation des règlements ségrégationnistes floridiens, petit à petit démantelés du fait de l’action volontariste de la période Kennedy-Johnson.
Au cours du dîner, mon couple d’hôtes entame une discussion qui me sidère, pour finalement prendre, devant un étranger, une décision spectaculaire : « Let’s move, let’s get out of here ! » (1). En fait, une famille noire dont le père est garagiste en ville, vient d’acheter une maison coquette 200 m plus haut sur l’avenue Linebaugh… Cet événement inouï a déclenché une panique immédiate, sur la base d’arguments mettant en avant la promiscuité, l’installation probable d’autres familles noires, la montée du nombre des élèves noirs dans l’école publique du quartier, le départ prévisible d’autres Blancs remplacés par des Noirs. Avec à la clé la dépréciation de l’immobilier et l’arrivée de la criminalité. Alors que j’objecte avec humilité que tout cela pourrait prendre au moins dix ans et qu’il n’y a pas d’urgence, on me répond : « Non, il faut partir ; sinon on va perdre beaucoup d’argent, en plus de notre tranquillité. »

J’étais bien jeune à cette époque, mais cet incident m’a édifié sur la bourgeoisie progressiste…

Revenu plus tard en France, j’ai été professeur, en Seine-Saint- Denis, durant les quarante et un ans que je devais au service de l’Éducation nationale. J’ai habité à Villepinte et Noisy le Sec durant des années. Il se trouve que j’ai enseigné durant trente ans dans un lycée public de la ville de Bondy, de 1981 à 2011. Je peux ici témoigner, documents à l’appui, qu’il n’y a pas eu de « grand remplacement ». Ce que j’ai pu observer, de mes yeux, c’est autre chose : le grand déplacement volontaire de la population dite « de souche », qui a ghettoïsé la zone tout simplement par soustraction de sa population initiale. Sans état d’âme, elle est partie, elle a laissé la place, créant sans vergogne un apartheid sans miradors. Elle n’a pas été « remplacée » à coups de fusil.

L’expérience américaine citée plus haut m’a servi dès le début de schéma d’analyse du phénomène.

Avant de poursuivre, je voudrais donner ici, en plus de mon témoignage, la preuve que ce déplacement a bien été effectif : dans la classe de 1ère de 1982, il y a trois prénoms orientaux sur 26 élèves : Hamid, Farida et Farid. Ce qui donne pour la population d’accueil 87,5% du total. Vingt-neuf ans plus tard, en 2010, on ne trouve plus que 6 prénoms non-orientaux sur 21 : Anthony, Raphael, Sabine, Mélanie, Edwige et Amandine. La proportion d’enfants des « Bondinois initiaux » devenus minoritaires, est tombée à 30 %. Que s’est-il passé en fait ?
Durant toutes les années 90 et 2000, les familles hostiles à la présence des immigrés maghrébins et africains dans la ville ont cherché et trouvé des adresses de convenance pour envoyer leurs enfants étudier dans un lycée public parisien. D’autres familles, très nombreuses, ont quitté le département. Un certain nombre, qui en avaient les moyens, ont déplacé leurs enfants vers les lycées privés de l’Assomption, de Blanche de Castille et celui de l’Alliance. Parallèlement, les cités de Bondy-Nord, ou la cité Blanqui, construites pour absorber les mal-logés du département ainsi que les familles immigrées déplacées des bidonvilles (résorbés peu à peu entre 1970 et 1980) ont favorisé le renversement de la proportion des populations. Au plan immobilier, les enfants des retraités qui avaient vécu dans leur modeste pavillon de brique et ciment ont systématiquement vendu ce patrimoine à des acheteurs bien intégrés, mais issus de l’immigration maghrébine. Des rues entières qui étaient « françaises » ou « portugaises » ont ainsi changé de culture en quinze ans.
Le livre de sociologie fantaisiste et partiale de Renaud Camus instille, tout comme son épigone Zemmour, l’idée pernicieuse que les « remplacés » ont disparu. Or c’est faux. Ces gens sont simplement partis, par peur d’avoir à cohabiter avec des peuples inconnus et méprisés. Les Bondinois initiaux n’ont pas été chassés à coup de fusil, traînés dans les rues ni poursuivis à la fronde dans les parkings. Ils n’ont pas été assassinés comme les musulmans de Srebrenica, ni « snipés » comme à Sarajevo, ni machettés comme au Rwanda. Ce ne sont pas des Indiens massacrés dans leurs tipis pour être remplacés par des gratte-ciel. Ils sont toujours bien vivants, et satisfaits.
Les « remplacés » se sont librement déplacés ailleurs, pour vivre mieux et plus tranquilles, comme le professeur de Tampa en Floride. Rappelons que Zemmour est dans ce cas : parti de Montreuil, et ayant atterri dans un arrondissement populaire parisien, il vit maintenant dans un beau quartier de la capitale.
Tous ces gens, moi je les ai vus partir, pendant trente ans… Pourquoi ne pas assumer ? Pourquoi se feraient-ils passer pour des victimes ?
Le Grand remplacement est un argument de faux culs. Imposé par Zemmour dans le débat politique, il est le prolongement de l’ancienne thèse hitlérienne développée par les théoriciens antisémites français de l’entre-deux guerre et de la Collaboration : celle du refus du « mélange des races, qui affaiblit les civilisations ».

Philippe Paraire

1) « On déménage. Partons d’ici »

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