Le président du tribunal : Nous ouvrons ici le procès de José Bové. Accusé José Bové, levez-vous.
José Bové se lève .
Le président du tribunal : Vous êtes ici sous différents chefs d’inculpation :
- Haute trahison des idéaux antilibéraux,
- Propagation d’opinions obscurantistes,
- Soutien d’un assassin,
- Avoir engueulé votre assistante parlementaire,
- Avoir allumé votre pipe dans un espace non fumeur.
Ce sont des faits particulièrement graves. Compte-tenu de vos nombreuses condamnations précédentes, vous encourrez la peine maximale.
Nous allons procéder maintenant à l’audition des témoins. J’appelle maintenant à la barre M. PL.
M. PL vient à la barre.
Le président du tribunal : M. PL, jurez-vous dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».
PL, en levant la main droite : Je le jure.
Le président du tribunal : Vous affirmez que José Bové a trahi les idéaux antilibéraux. De quand date cette trahison ?
PL : S’il est difficile de dater précisément sa conversion, force est de constater qu’en septembre 2012, José Bové signait - avec quatre autres députés européens EELV - une tribune appelant la France à ratifier le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) afin que « la dynamique amorcée par le président de la République s’amplifie et débouche sur un nouveau compromis ».
Le président du tribunal : En quoi cette tribune constituait-elle une trahison des idéaux antilibéraux ?
PL : En réalité, il était déjà évident qu’aucune dynamique n’avait été amorcée et qu’aucun compromis ne verrait le jour : François Hollande avait promis de renégocier le TSCG mais n’en avait pas modifié une virgule ; et la poursuite de la politique d’austérité avait été annoncée à la fin du mois de juin 2012.
Le procureur : M. VF, José Bové n’est-il pas en outre ami de Daniel Cohn-Bendit, chantre du libéralisme ?
PL : Bové a en effet déclaré : En 2005, j’étais le meilleur ennemi de Cohn-Bendit, aujourd’hui, je suis son meilleur ami ».
L’avocat de la défense : Selon vous, l’amitié est incompatible avec des divergences d’opinion ?
PL : Euh…Oui.
L’avocat de la défense, se tournant vers José Bové: Qu’avez-vous dit dans cette tribune ?
José Bové : L’Europe est confrontée à une crise existentielle. Ce n’est pas seulement un vice de construction qui est pointé du doigt - une monnaie unique sans gouvernement économique. Les fondations sont ébranlées. Et pour cause, le national-libéralisme comme modèle, l’austérité comme solution et l’intergouvernementalité comme méthode ne constituent ni une réponse efficace aux crises ni un projet enviable ou même acceptable pour les Européens. Mais l’Europe n’a jamais été que ce que les dirigeants des pays membres en faisaient, trop rarement ce que les citoyens voulaient.
Ces dernières années, ces dirigeants ont abandonné des pans entiers de souveraineté aux marchés et à la finance mais ont refusé de se doter de capacités communes d’action, privant l’Europe d’une harmonisation fiscale, d’une politique industrielle ou d’un pacte social. L’Europe doit changer, profondément, car il n’y a pas de plan B, pas de sortie de crise ou d’écologie possible dans un seul pays.
Quelle position dès lors adopter sur le traité budgétaire européen ? Face à la crise, les dirigeants européens ont agi trop tard, trop peu. Mal fagotés, des prêts ont néanmoins été accordés. En échange, l’Allemagne, chef de file des principaux pays contributeurs, a exigé la discipline. Mais la discipline portée par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy est devenue austérité, ajoutant de la récession à la récession. En impulsant une stratégie de relance, François Hollande a heureusement modifié la donne européenne. Très critiquable, le traité doit donc être appréhendé comme l’héritage d’un compromis passé.
L’avocat de la défense, se tournant vers le président du tribunal. : José Bové ne revendique pas une politique d’austérité dans cette tribune. Son erreur semble surtout être d’avoir cru que François Hollande impulserait une stratégie de relance.
Le président du tribunal : Passons maintenant au chef d’accusation suivant, la propagation d’opinions obscurantistes. M. PL, vous affirmez également que José Bové propage de tels opinions.
PL : De fait, José Bové avait déjà fait preuve d’obscurantisme par le passé. Aujourd’hui, ce n’est pas tant sa « position », c’est-à-dire son opposition à la PMA (Procréation Médicalement Assistée), que son argumentation qui est inquiétante.
L’avocat de la défense : Son obscurantisme dans le passé, c’est sa lutte contre les OGM ?
PL : Oui, comme le rappelle incessemant mon ami YK.
L’avocat de la défense : José Bové parle simplement de manipulation du vivant ?
PL : Le 1er mai 2014, José Bové a déclaré à la chaine catholique KTO : « Je suis contre toute manipulation sur le vivant, que ce soit pour des couples homosexuels ou des couples hétérosexuels ». Il faut bien lire « toute manipulation ». Quelle qu’elle soit. José Bové s’est justifié en affirmant que « la réflexion par rapport à ça ne peut pas se couper en tranches »
L’avocat de la défense, se tournant vers le président du tribunal: José Bové conteste donc les manipulations génétiques sur les humains. Certaines techniques de PMA comme l’insémination artificielle ne peut être assimilée à une manipulation génétique.
L’avocat de la défense, se tournant vers VF : vous citez un article de Regards, extrapolant sur la contraception, la bouture en agriculture, et vous affirmez que c’est ce José Bové pense. Avez-vous jamais entendu José Bové tenir de tels propos ?
PL : Euh, non.
Le président du tribunal : Décidément… Passons donc au chef d’inculpation suivant. J’appelle M. VF à la barre.
M. VF vient à la barre.
Le président du tribunal : M. VF, jurez-vous dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».
VF, en levant la main droite : Je le jure.
Le président du tribunal : Vous reprochez à José Bové d’avoir invité dans un concert de soutien à sa candidature aux européennes, Bertrand Cantat, chanteur autrefois condamné pour le meurtre de sa compagne ?
VF : Bertrand Cantat a fait un concert de soutien pour la campagne de José Bové (Europe Ecologie, les Verts). A l’issue de ce concert, José Bové est monté sur scène, prenant la parole pour saluer les « valeurs humanistes » qu’il partage avec Bertrand Cantat.
L’avocat de la défense : M. Cantat ayant purgé sa peine, n’est-il pas redevenu un citoyen à part entière ?
VF : Cette scène est choquante. Que M. Cantat ait, comme on dit, payé sa dette par la prison, est une chose. Qu’il essaie de refaire surface comme artiste est (très) vaguement compréhensible, surtout s’il ne sait rien faire d’autre. Mais qu’on l’utilise comme emblème pour porter les « valeurs humanistes » en est une autre. Il va de soi que les antécédents judiciaires de Bertrand Cantat sont fort déplaisants et que la mise en avant de cette personne en tête de gondole médiatique ne peut que nuire à l’image de l’écologie.
L’avocat de la défense : Malgré son amitié avec M. Cantat, avez-vous jamais entendu José Bové donner des circonstances atténuantes à M. Cantat pour son acte ?
VF : Euh… non.
Le président du tribunal : Passons aux derniers chefs d’accusation. J’appelle Mme AL à la barre.
Mme AL vient à la barre.
Le président du tribunal : Mme AL, jurez-vous dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».
AL, en levant la main droite : Je le jure.
Le président du tribunal : Vous reprochez à José Bové d’avoir maltraité oralement son assistante parlementaire.
AL, se tournant vers José Bové : mon chéri ! depuis que je t'ai vu et surtout entendu, juste à mes côtés, dans certaines réunions et à plusieurs reprises, traiter ton "assistante parlementaire", comme une vieille serpillère, entre deux roupillons que tu t'accordais, pipe à la bouche, dans des salles non fumeurs - je fume aussi, mais dehors - pendant qu'on s'organisaient pour les manifs, je me gausse !).
Le président du tribunal : Je vous rappelle que nous sommes dans un tribunal. Je vous prie de garder la dignité qui va avec ce lieu.
M. Bové arrive donc à fumer sa pipe en dormant. Voilà qui est fort !
Le président du tribunal, se tournant vers l’avocat de la défense : Avez-vous des questions à poser au témoin?
L’avocat de la défense : Non, mais j’appelle à la barre Mme Dutricot, assistante parlementaire de José Bové.
Mme Dutricot vient à la barre.
Le président du tribunal : Mme Dutricot, jurez-vous dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».
Mme Dutricot, en levant la main droite : Je le jure.
L’avocat de la défense : Depuis combien de temps travaillez-vous pour José Bové ?
Mme Dutricot : Si l’on prend en compte mes activités militantes bénévoles, je travaille avec lui depuis que je suis en âge de travailler.
L’avocat de la défense : Pendant toutes ces années, José Bové vous a-t-il traité comme une serpillère ?
Mme Dutricot : Il peut arriver à José Bové de s’emporter, d’être virulent dans la discussion, dans les moments de tension, mais cela n’a jamais remis en cause mon envie de travailler avec lui.
Après avoir entendu les réquisitions du procureur et la plaidoirie de l’avocat de la défense, le tribunal se retire pour délibérer.
Après quelques minutes de suspense intense, le tribunal revient pour donner son verdict.
Le président du tribunal : Après en avoir délibéré, le tribunal a pris les décisions suivantes.
Sur le premier chef d’accusation, la Haute trahison des idéaux antilibéraux, le tribunal considère que, compte-tenu de la complexité du monde réel, la tribune sur laquelle se base l’accusation ne constitue pas un soutien aux thèses néo-libérales. Il est possible que la stratégie qu’il défend ne soit pas la meilleure, mais il ne revient pas au tribunal de trancher quelle est la meilleure stratégie. En conséquence, l’accusé José Bové est acquitté.
Sur le second chef d’accusation, la propagation d’opinions obscurantistes, si la capacité de faire des manipulations génétiques est un incontestable progrès technique, il n’est pas démontré à l’heure actuelle que ce soit un progrès pour la société. En conséquence, l’accusé José Bové est acquitté.
Sur le troisième chef d’accusation, le soutien à un assassin, considérant d’une part que José Bové n’a jamais soutenu ou minimisé l’acte criminel en question, et, d’autre part, que M. Cantat a purgé sa peine et réintégré dans sa pleine citoyenneté, l’accusé José Bové est acquitté.
Sur le quatrième chef d’accusation, avoir engueulé son assistante parlementaire, suivant le témoignage de cette dernière, l’accusé José Bové est acquitté.
Sur le cinquième chef d’accusation, avoir allumé sa pipe dans un espace non fumeur, bien que l’accusé l’aie simplement sortie et non allumée, le tribunal reconnaît l’aspect provocateur d’exhiber un instrument de fumeur dans un espace non fumeur. En conséquence, l’accusé José Bové est condamné à raser sa moustache et à fumer les poils de la dite moustache dans l’instrument du délit.
Le tribunal ayant délibéré, la séance est levée.
Ajout:
Billets dont sont extraits les citations:
http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-lege/220514/une-ecologie-liberale-et-obscurantiste
http://blogs.mediapart.fr/blog/vincent-fleury/230514/ben-ne-fais-plus-rien-alors