Au hasard de la découverte d'une passion commune pour les pédales analogiques est venue l'idée de cette playlist dans le Potar. Jacques Billard responsable du développement de l’équipe site à Mediapart et aussi musicien dans Carrosse relève donc le défi et se glisse pour l'occasion dans la peau d'un curateur exigeant mais pédagogue. Construite autour des artistes Leila, la DJ Deena Abdelwahed, Underscores, Bam-Bam, Nkisi ou encore Dean Blunt, cette playlist revisite ses coups de coeur de la scène électro et cie de 2024 avec quelques ellipses dans les early 2020's et un voyage dans le siècle dernier jusqu'en 1988...
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Le Mood
"Je crée des playlists avec pour objectif de faire découvrir des artistes et styles au public le plus large possible.
Souvent crées sur le vif en soirée, elle sera cette fois sauvegardée. Comme il y a sans doute parmi les lecteurs des amateurs de musique curieux, je me suis permis de pousser les curseurs. S’il y a une part d’inconscient et d’heureux hasards, j’utilise pas mal de règles."
La check-list
- Déterminer des contraintes : majoritairement 2024 / indépendant / personnel / directives du Potar (plutôt electro-ambient enfin sur ce que tu veux) ;
- Choisir quelques artistes, album ou morceaux clés qui vont composer la trame de la playlist ;
- Varier les genres, les tensions et les émotions ;
- Chercher à raconter une histoire ;
- Trouver des astuces pour mettre en valeur chaque morceau ;
- Éviter les morceaux trop longs ;
- Imaginer des connexions et des transitions ;
- Réordonner ;
- Découvrir ou re-découvrir des artistes ;
- Chercher des titres pour répondre aux besoins de la playlist ;
- Accepter de ne pas mettre ce très bon morceau 😕 ;
- Aller dans les détails ;
- Choisir encore.
Voici ce que ça a donné :
1. To Win Her Love // Leila // Courtesy of Choice : 2000
2000 est une année de transition dans la musique électronique. La French touch ne touche plus autant et c’est l’âge d’or de l’electroclash avec Mirwais, Peaches ou Chicks on Speed. Les premiers albums emblématiques du label Warp sont sortis quelques années plus tôt et ont inspiré le virage électronique de Radiohead avec Kid A. La musique électronique expérimentale se cherche et Leila sort cet album qui me fascine toujours autant. Baroque, incroyablement organique, cet album au mixage très original propose à la fois une synthèse du trip-hop et une direction artistique singulière et innovante. J'ai choisi de commencer la playlist par ce morceau car je sens la maternité de l’album de Leila dans ceux de Deena Abdelwahed, NKISI ou Dean Blunt.
2. Adina Bengarab // Lil Baba & Nour // SHHHH : 2024
Une des premières découvertes de cette playlist. Je suis tombé sur cet EP de l’égyptien Lil Baba oscillant entre rap hardcore et expérimentations parfois un peu à côté. Le titre phare est sans doute AHHHH, très sombre dont le début m’a fait pensé à Rescue Dawn de Dean Blunt. J’ai choisi ce morceau pas rap, moins sombre, un peu dansant, et aussi mélancolique qu’un retour de vacances.
3. Raised in the South // Hemlock Ernst & Icky Reels // Raised in the South : 2024
Je voulais évoquer les recherches musicales menées par Kenny Segal, Billy Woods, Danny Brown, JPEGMAFIA... Ce mouvement se définit notamment par des rythmiques novatrices, des mélodies souvent lofi et des phrasés complexes rappelant MF Doom ou Antipop Consortium. Je voulais trouver un titre reprenant ces codes sans piocher dans la discographie des artistes mentionnés plus haut. D’artiste lié à artiste lié, j'ai écouté pas mal de titres et Raised in the South m’a immédiatement sauté à l’oreille.
4. Aeolian Beauty // RZA & Colorado Symphony & Christopher Dragon // A Ballet Through Mud : 2024
Dans une playlist, j’aime bien varier les genres, surprendre et glisser des clins d'œil et références. Voyant que RZA avait sorti un album de musique classique, je me sentais un peu obligé d’en mettre un extrait. Je n’ai pas écouté l’album en entier, pas sûr d'ailleurs qu’il me plaise vraiment, peu importe, ce premier morceau convient très bien. Ce n'est pas le premier producteur emblématique du Rap des années 90 debut 2000 à proposer un album très éloigné de ce qu’on pourrait attendre. André 3000 du mythique duo Outkast a sorti en 2023 l’album d’ambient génial New Blue Sun. Le premier morceau a un titre qui coche toutes les cases : I swear, I Really Wanted To Make A "Rap" Album But This Is Literally The Way The Wind Blew Me This Time. Malheureusement les morceaux sont aussi longs que leurs titres et donc pas trop adaptés à une playlist.
5. SCIENTISTS & ENGINEERS // Killer Mike & André 3000 & Future & Eryn Allen Kane // SCIENTISTS & ENGINEERS : 2023
Je n’avais pas pu mettre d’extrait du dernier album d’André 3000 et avais envie tout de même de l’évoquer. Ce titre collaboratif soul, rap est super beau. C’est l’occasion aussi de faire un clin d’œil à ma voisine de bureau qui est allée voir Killer Mike en août.
6. The Closest Thing to Silence // Ariel Kalma & Jeremiah Chiu & Marta Sofia Honer // The Closest Thing to Silence : 2024
Cette playlist est une commande du Potar avec la directive suivante "plutôt electro-ambient enfin sur ce que tu veux". Bref, Il fallait quand même un peu d’ambient. J’en ai écouté beaucoup depuis des années et continue inlassablement de chercher des nouveautés. Trouver des morceaux qui me plaisent, qui sortent du lot et qui sont adaptés à une playlist n’est pas chose aisée. J’ai axé mon choix sur des titres plutôt mélodiques extraits d’albums riches. The Closest Thing to Silence est un album ambient Jazz New Age très léger et aérien.
Point astuce playlist : j’ai choisi d’alterner rap et ambient pour que l’écoute soit plus attentive sur chaque titre.
7. CATFISH // Doechii // Alligator Bites Never Heal : 2024 :
Parmi les sorties du mois d’août, l’album de Doeshii m’a immédiatement intrigué. Le phrasé est tranchant et riche, les instrumentaux épurés et bruts, l’album est très cohérent. J’ai sélectionné ce morceau Boom Bap qui évoque le Woo-Hah! de Busta Rhymes Il permet à la fois de remettre les pieds sur terre après la parenthèse ambient et clôt cette première section de playlist orientée hip-hop.
8. trustfall! // Underscores // trustfall! : 2020 :
Je n’écoute pas trop d’hyperpop, je ne connais pas vraiment la discographie d’Underscores, j’aime bien ce morceau. Il a une structure avec de nombreux silences. Je le vois comme une respiration et il est idéal pour créer une transition. Les influences de ce titre sont riches, pop, hip-hop, ambient...
9. Starling Murmuration // Patricia Wolf // The Secret Lives Of Birds : 2024
On pourrait ressentir des similitudes avec The Closest Thing to Silence. L’album de Patricia Wolf est plus onirique et plus hypnotique. Il mêle enregistrements d’oiseaux et synthétiseurs aviairo-inspirés. Les gazouillis des étourneaux sont composés par la succession complexe et extrêmement organisée de plusieurs « motifs » qui peuvent également se répéter. Starling Murmuration semble très inspiré de la définition ci-dessus. Un autre morceau notable est Nocturnal Migration qui évoque les chorégraphies des nuées d'étourneaux.
10. Cmon // Fred again.. & Brian Eno // Secret Life : 2023
Brian Eno est difficile à présenter sans superlatifs, 55 ans de carrière, 80 albums. Je ne connais pas les 80 bien sûr. J’écoute surtout Apollo et Music for airports, véritables madeleines de Proust. Et j’aime bien Fred again.. pas forcément tout ce qu’il fait et notamment son dernier album, mais sa personnalité solaire et généreuse me plaît. L’album dont est issu cet extrait a permis à Fred Again de boucler la boucle... Brian Eno étant le premier artiste avec lequel il a collaboré en 2014. Cmon est sans doute le morceau de l’album qui mêle le mieux les identités et sensibilités des deux auteurs.
11. Each Day // Deena Abdelwahed // Jbal Rrsas : 2023
J'ai découvert cet album début 2024 et c’est à coup sûr une révélation pour moi. Je suis un auditeur très exigeant quand il s’agit de marier musique traditionnelle et musique électronique. Difficile de trouver un point d’équilibre respectant les deux mondes et surtout le premier. On sent dans cet album le souci du détail et la recherche absolue de ce point d’équilibre. Incroyable
12. Tusker Light // Pollution Opera & Nadah El Shazly & Elvin Brandhi // Pollution Opera : 2024
Je me suis un peu creusé la tête sur celui-ci. Le défi était d’amener l’auditeur vers une nouvelle séquence plus sombre marquée par des voix tourmentées et des rythmes four to the floor. Je suis parti dans plein de directions sans trop savoir ce que j'allais trouver. Ce morceau est tombé à pic. Les membres de Pollution Opéra sont très lucides et ne semblent pas dénués d’humour. L’avant dernier morceau de leur album s’intitule Your Tracks Are Too Dark.
13. I'm So High, I Swear I Could ... // Felix Laband // Deaf Safari : 2015
J’aime mettre ce morceau de Felix Laband mêlant incantations très habitées et electro estivale en soirée. L’intro et la conclusion que l’on pourrait qualifier d’époumonées interpellent l’auditeur et créent une parenthèse. C’est un morceau idéal pour une playlist... bon faut aimer la partie electro sinon c’est loupé. Après les voix d’outre tombe, c’est l’occasion d’introduire des voix plus chamaniques.
14. Where's Your Child // Bam Bam // Where's Your Child : 1988
Attention Banger... de 1988. Ce titre est contemporain de Can you feel it de Larry Heard aka Mr. Fingers Il y a pas mal de morceaux de musique électronique de cette année là qui ont pris de sacrées rides. Ce titre acid house est toujours aussi énergique et actuel. La voix et le texte sont incroyables : No-one likes to be left alone / Especially when they don't know right from wrong / Parents, where's your child?
Wah-ha-ha-ha-haaa!
15. Done Talking // Peder Mannerfelt // Unwitch // Break The Pretense : 2021
Banger techno cette fois et bien plus récent. Le rythme est lourd, les snares saturées. On fini ce cycle de voix dans un registre ambigu, à la fois désincarné et comique. C'est le genre de morceau qui, dans un tunnel techno, fait tendre l’oreille et sourire. À part ça, Peder Mannerfelt a une discographie riche aussi bien au sein du groupe Roll the Dice qu’en solo.
16. caesius // Yuko Araki // Zenjitsutan 前日譚 : 2024
C’était un de mes défis pour cette playlist, mettre un morceau de noise sans faire fuir l’auditeur. Si vous avez écouté la playlist jusqu’ici, ça devrait aller. Et puis il y a noise et noise, comme les chasseurs, je voulais un morceau radical. Souvent, les morceaux sont trop long pour un auditeur néophyte et les conditions d’écoute pas vraiment adaptées. Il fallait que ce soit court. Coïncidence incroyable, Deezer m’a poussé le dernier album de Yuko Araki qui contient ce morceau d’une minute.
Comment écouter des morceaux noise plus long ?
- Je conseille de bannir le casque et de privilégiez de bonnes enceintes.
- De choisir l’endroit, le moment et l’auditoire.
- Ne pas forcément écouter fort
Il y a plein de beaux morceaux noise, si vous avez aimé ce moment, je vous recommande DJ Freak - Induction.
17. A Path Appears // NKISI // The Altar EP : 2024
Nkisi allait forcément être sur cette playlist. J’aime le chamanisme dans la musique électronique et pas forcément celui évoqué par les tenues de Coachella. Et si l’univers de Nkisi s’inscrit dans celui des tenues noires de Berlin, on sent la recherche organique, spirituelle dans son travail. Elle laisse la place aux accidents, et apporte de la vie dans le monde austère de la techno berlinoise et ça me semble salutaire.
18. Multifolds // Seefeel // Everything Squared : 2024
Je n’avais pas écouté Seefeel depuis trèèèèès longtemps et les albums du milieu des années 90 : Pure, Impure, Quique et Succour. Les recherches pour cette playlist ont été l’occasion de découvrir qu’ils venaient de sortir un album. Mon sentiment avant d’écouter mêlait surprise, excitation et anxiété. Un peu comme si derrière le rideau se trouvait un ami perdu de vue que je n’étais pas vraiment sûr de vouloir retrouver. Plutôt une bonne surprise.
19. MOLLY & AQUAFINA // Dean Blunt // BLACK METAL : 2014
Ce dernier morceau prévu dès le départ permet de créer une boucle avec le titre de Leila. À l’image de l’album, ce titre est noyé de nostalgie. L’occasion de découvrir que Dean Blunt s’est à nouveau associé à Joanne Robertson pour un album plus pop sorti cette année : Backstage Raver.
I ain't worried 'bout nothing