Voilà il y a encore peu, une certaine candidate à la future élection présidentielle de 2022 évoquaient à l’occasion de meeting le terme de « remplacement », pour être plus précis et dans son contexte : « Serons-nous une nation unie ou une nation éclatée ? Face à ces questions vitales, pas de fatalité. Ni au grand remplacement ni au grand déclassement. Je vous appelle au sursaut. ». Je fais bien évidemment référence au discours prononcé il y a quelques jours par Mme Pécresse, des mots d’ores et déjà prononcés par le passé à plusieurs reprises par un autre candidat à la présidentielle à venir (pas besoin d’en citer le nom je crois. Pour davantage d’informations, consulter ici ou ici entre autres exemples). Puisque de tels termes apparaissent dans les meetings présidentiels, c’est qu’il doit s’agir de quelque chose de vraiment sérieux, non ? Bien plus que des histoires loufoques de changement climatique… Bref, étant généticien de formation (génomicien comme on dit maintenant… C’est beau le progrès !), et étant attaché à une certaine démarche de validation de l’information promulguée, j’ai donc souhaité savoir ce que nous disait la génétique (puisque c’est un champ de connaissance que je connais assez bien) à ce propos. En essayant de demeurer le plus neutre possible (c’est là que commence mon effort !)…
Homo sapiens de France, qui es-tu ?
Tout d’abord, avant de parler d’un éventuel remplacement, il est nécessaire de savoir : qui, ou quoi, est remplacé ? A quoi ressemble génétiquement l’Homo sapiens de France ? Pour ce faire, le plus approprié est encore de regarder ce que nous dit la génétique des populations, qui ne se focalise pas sur une échelle individuelle mais bien sur un ensemble populationnel !
Tout d’abord à ma grande surprise, et au contraire des autres pays européens, la génétique des populations humaines et l'histoire démographique de la France métropolitaine sont étonnamment peu étudiées. Et pourtant, il y a des choses à dire ! De par sa position centrale au sein de l’Europe occidentale, la France métropolitaine a historiquement joué le rôle d'un pont reliant l'Europe du Nord à la Méditerranée et aux espaces ibériques1. Une étude publiée récemment en 20201 par une équipe de chercheurs espagnols visait à caractériser la structure génétique interne de la population française, en étudiant les variations observées à l’échelle du génome tout entier ! Parmi approximativement les 3 milliards de nucléotides (les « lettres » A, C, G et T qui composent notre génome, voir ici pour d’autres explications), les chercheurs ont recensé la moindre différence qu’il y avait au sein des génomes de 395 à 728 individus (car différents jeux de données ont été utilisés) ! On parle d’une recherche de polymorphisme d'un seul nucléotide, ou en anglais Single Nucleotide Polymorphism (SNP, à prononcer « snip » pour les intimes), une approche rendue possible par la démocratisation des technologies de séquençage massif au cours des 10 dernières années, et qui s’avère particulièrement fine et puissante. Bref, que donnent ces multiples comparaisons ?

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Il apparaît assez nettement que la France semble être un intermédiaire génétique entre le Centre, l’Est et le Nord de l’Europe… Rien de bien folichon, ni même d’extraordinaire. Si cette étude a permis de noter que les Gascons ont un profil génétique intermédiaire entre les Basques et le reste de la France (ce qui n’est en aucun cas une surprise compte tenu de la distance géographique), la population Française apparaît comme ayant un profil génétique particulièrement homogène et même graduel. Les auteurs ayant rapporté une corrélation claire entre la distance génétique observée entre les individus analysés et la distance géographique les séparant… Ce qui est particulièrement classique, surtout en Europe2,3 : plus des gens vivent loin, plus ils sont distants génétiquement entre eux (comment inventer l’eau tiède…). L’Homo sapiens français semble donc être bel et bien un mix génétique entre ces différents voisins4,5. Pas simple de se faire une idée du « profil type génétique français » puisque celui-ci semble particulièrement homogène et métissé… En perpétuel connexion avec ses voisins, en perpétuel évolution de par ces connexions. Bon visiblement, pas ce « grand remplacement » ici… Bon, et si on regardait un peu plus dans le vieux désormais ?
Homo sapiens de France, d’où viens-tu ?
Par chance, une autre étude récente (2020 toujours) menée par un consortium Français6 cherchait à évaluer comment les migrations du passé ont contribué au paysage génétique actuel de la France. Et pour ce faire, en plus de données issues d’individus « actuels », les auteurs ont aussi utilisé l’ADN dit « ancien », c’est-à-dire l’utilisation d’ADN prélevé sur des fossiles, ici bien entendu des fossiles humains. Là, les chercheurs ont poussé leurs analyses encore plus loin : comparaison des génomes mitochondriaux (permettant de retracer l’histoire génétique des lignées maternelles), comparaison des chromosomes Y (permettant de retracer l’histoire génétique des lignées paternelles) et comparaison des génomes totaux via l’approche par SNP décrite précédemment (permettant de retracer l’histoire génétique de tout le monde…). Les données couvrent environ 7 000 ans d’histoire géographique et populationnelle, du solide donc ! Peut-être va-t-on finir par le voir ce grand remplacement (spoiler alerte : non)…
L’étude des lignées parentales comme des lignées globales ont révélé des schémas démographiques en France pour les transitions du (a) Néolithique (c’est-à-dire il y a environ 11 000 ans) et de (b) l'Age du Bronze (soit il y a environ 4 700 ans), cohérents avec ceux des régions voisines à la France… En gros, (a) la France a observé l’arrivée d’agriculteurs en provenance d’Anatolie (Asie Mineure) qui se sont peu à peu mélangés avec les chasseurs-cueilleurs autochtones présents alors. Puis (b) la France a vu l’arrivée d’individus en provenance de la steppe pontique : à savoir de la grande steppe eurasienne à la Mongolie. En parlant de Mongolie et, petite parenthèse en passant, saviez-vous que 0.5% des hommes sur Terre sont des descendants de Genghis Kan7 ?
Et suite à l’âge de Bronze, la France n’a connu aucun épisode majeur de migration durant l’âge de Fer (il y a entre 3 000 et 2 000 ans). Les auteurs signalent même que la population française s’est génétiquement homogénéisée au cours de l’âge de Fer, notant la continuité génétique observée avec les individus de l’âge de Bronze…

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Bref, la France partage de toute évidence la même histoire génétique que ses voisins européens. Finalement, un changement génétique s’est produit, graduellement une fois encore au cours du temps et selon la géographie. L’histoire génétique de la France semble donc fortement rejoindre l’Histoire, retraçant un flux génétique migratoire assez homogène et continu au cours du temps. Une évolution permanente et continue, donc… Nous sommes actuellement d’ailleurs génétiquement quelque peu différents des français (Gaulois, osons même le terme !) de l’âge de Bronze/Fer, les analyses d’ADN ancien révélant que les Homo sapiens de l’époque ont vu certains gènes être peu à peu sélectionnés au cours du temps jusqu’à l’Homo sapiens français actuel : des gènes en rapport avec l’immunité que nos ancêtres n’avaient pas, de gènes liés à l’alimentation, la pigmentation… Une évolution cohérente avec l'adaptation à des latitudes élevées et à des changements de régime alimentaire6.
Me voilà bien avancé… Car d’une part la génétique ne semble pas indiquer un quelconque remplacement au sein de la population française actuelle, mais en plus elle démontre un clair dynamisme graduel et continu de sa structuration génétique. Un remplacement ? Quel remplacement ? Et pour remplacer qui ?
Prenons un peu de recul…
Ces études, et cet exercice auquel je me suis prêté et que je vous partage avait aussi pour objectif de donner un aperçu de ce que la génétique peut dire de nous. La génétique moderne est capable d’expliquer certaines variations dans les caractéristiques physiques, telles que la couleur de la peau, la couleur des yeux, ou encore d’autre caractéristiques phénotypique. Cependant, elle en dit peut (pour ainsi dire rien) à propos des traits psychologiques qui caractérisent les individus, tels que la générosité ou encore l’égoïsme8… Elle peut nous informer à propos de la diversité rencontrée au sein de notre espèce, et à ce propos nous indique que ne niveau de différenciation génétique entre les populations dans notre espèce est particulièrement faible : le 1,000 Genomes Project Consortium, après avoir analysé le génome de près de 2 500 personnes issues de 26 populations différentes, relève une diversité génétique moyenne inférieur à 1%9... A titre de comparaison, on retrouve une diversité de l’ordre de 25 à 30% chez de grands Primates tels que les gorilles ou les chimpanzés. Mais s’il y a une si faible différence génétique entre les individus et populations humaines, comment expliquer de telles variations morphologiques ? Au hasard la couleur de peau ? Eh bien comme souvent des différences morphologiques ne se traduisent parfois que par bien peu de choses… On sait par exemple que les différentes couleurs de peau sont dues à des variations génétiques concernant une 15aine de gènes seulement10, sur les 20 360 comptabilisés par la base de donnée publique de référence UniProt. Seulement 0.074% de nos gènes sont susceptibles d’être responsables de nos multiples couleurs de peau… C’est bien peu ! D’ailleurs, piqûre de rappel pour ceux qui l’avaient oublié, mais on sait que les premiers Européens à être entrés sur le continent étaient en provenance d’Afrique, et qu’ils avaient la peau foncée11...

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Vous noterez, à aucun moment je n’ai utilisé le terme de « race », mais toujours à la place celui de « population ». Si le terme « race » peut être utilisé pour les espèces animales domestiquées, c’est parce que dans leur cas une sélection de caractéristiques morphologiques, pour ne pas dire de certains traits phénotypiques, a été effectuée, et pour lesquelles aucun phénomène migratoire entre les « races » n’a été observé. Dans les 2 cas contrairement à Homo sapiens. Ce que soulignent les études dont je parlais précédemment, c’est qu’il y a toujours eu des migrations entre les différents groupes d’humains, à tel point que le niveau de différenciation génétique est faible et suis un gradient géographique.
La notion de racisme (ça y est, le mot est dit !), ou d’antiracisme d’ailleurs, est basée sur des valeurs éthiques ou idéologiques8, et certaines personnes essaient de la faire calquer à des différences génétiques. Tandis que le racisme assume le fait que ces différences constituent la base d’une hiérarchie, il ne fait aucun sens scientifique d’attribuer une valeur morale à ces différences ! Pourquoi a-t-on donc l’impression que le racisme s’élève dans la société ? Pourquoi prend-il autant de place dans les débats politiques ? Dans les médias ? Peut-être 2 explications à proposer, celles-ci étant bien entendu non exclusives : (i) la société française se situe dans « le paradoxe de Tocqueville » à propos du racisme : le plus proche nous nous approchons d’une société « parfaite », (dans note cas, une société sans racisme), le moins nous tolérons le moindre écart à cet objectif ; (ii) le racisme est désormais plus audible, de sorte que les extrémismes se sentent à présent libres d’exprimer leurs sensations. Un racisme qui peut être fort, mais seulement chez une minorité de personne.
Une minorité bien bruyante.
Références bibliographiques :
- Biagini, S. A., Ramos-Luis, E., Comas, D. & Calafell, F. The place of metropolitan France in the European genomic landscape. Hum Genet 139, 1091–1105 (2020).
- Lao, O. et al. Correlation between genetic and geographic structure in Europe. Curr Biol 18, 1241–1248 (2008).
- Novembre, J. et al. Genes mirror geography within Europe. Nature 456, 98–101 (2008).
- Blumenthal, D. Alsace-Lorraine: A Study of the Relations of the Two Provinces to France and to Germany and a Presentation of the Just Claims of Their People. (Good Press, 2019).
- Fine, J. V. A. The ancient Greeks: a critical history. (Harvard University Press, 1983).
- Brunel, S. et al. Ancient genomes from present-day France unveil 7,000 years of its demographic history. PNAS 117, 12791–12798 (2020).
- Zerjal, T. et al. The Genetic Legacy of the Mongols. The American Journal of Human Genetics 72, 717–721 (2003).
- Heyer, E. Race and racism in France. Journal of Anthropological Sciences 95, 307–310 (2017).
- A global reference for human genetic variation. Nature 526, 68–74 (2015).
- Deng, L. & Xu, S. Adaptation of human skin color in various populations. Hereditas 155, 1 (2017).
- Mathieson, I. et al. Eight thousand years of natural selection in Europe. bioRxiv 016477 (2015) doi:10.1101/016477.