Très récemment (le 24/01/2022), j'ai reçu parmi de nombreux mails un message questionnant l'évolution de l'enthousiasme au sein de la communauté scientifique, rattachée à mes thématiques de Recherche (en Biologie plutôt sur les aspects d'Écologie, d'Évolution, etc.). Il est vrai que pour être tout à fait honnête, je ne me suis jamais (à titre personnel) posé la question suivante au cours des mes activités d'enseignement et de recherche : suis-je professionnellement enthousiaste ? Comment cet enthousiasme a-t-il évolué au cours des années ?
Quant on fait un peu du "portes à portes", des micros-trottoirs avec les collègues, aussi bien en local qu'au sein d'autres laboratoires, l'impression est que cet enthousiasme est un peu comme la mémoire (ou les cheveux), il a tendance à partir avec le temps... Alors c'est là qu'évidemment apparaît ma question préférée : Pourquoi ?
Déjà, qu'est-ce que j'entends par "enthousiasme" ? Par simplicité et paresse, lorsque l'on consulte Wikipédia à ce sujet, il est possible de lire qu'il s'agit d'une "dévotion complète à un idéal, une cause, des études ou une quête, qui se traduit par de la joie et de l'excitation". Joie et excitation. Hm... Alors, des sources de joie, d'excitation, il y en a, et de multiples ! L'excitation de mettre le doigt sur LA donnée qui explique toute les autres sur un domaine de recherche pointu. La joie d'exercer une profession qui se rapproche de la passion... Car oui, 8 ans d'études après le Bac, je pense qu'il n'est plus uniquement question de "motivation", mais également et surtout de "passion" (d'aucuns me diraient : de masochisme. Oui, un peu aussi !). L'excitation de participer à une multitude de projets qui peuvent être aussi divers que variés (évolution, immunité, écologie de la conservation, et j'en passe...). La joie de voir cette étincelle de compréhension dans les yeux d'étudiants après leur avoir dispensé un cours, de recevoir un "merci Monsieur !" à la fin d'un enseignement. La joie d'apporter sa pierre à l'édifice de la connaissance générale, à œuvrer pour le bien de tous... Des raisons de s'enthousiasmer, il y en a, et cette bien courte liste (très personnelle) ne demanderait qu'à être rallongée. En plus, dans le cas des personnels titulaires, on parle aussi d'un emploi "sécurisé", offrant ainsi des garanties sociales/alimentaires/financières/EtToutesLesAutresQueNousPouvonsImaginer assurant un certain confort de vie. Pourquoi l'enthousiasme ne serait-il pas présent ? Pourquoi serait-il en recul ? De quoi se plaint-on ?
La mort lente d'un modèle - Le Titanic coule
Le célèbre orchestre du Titanic était-il enthousiaste tandis que le fameux bateau, après avoir percuté un iceberg, s'apprêtait à faire naufrage ? Une question à laquelle les principaux intéressés ne peuvent bien entendu plus répondre... Et c'est bien ce que l'on peut observer depuis de nombreuses années : le bateau Enseignement Supérieur/Recherche sous le pavillon français prend l'eau. Rien de nouveau, certes. Ce n'est pas le seul bateau français à couler (déclinable pour l'ensemble de la fonction publique au moins), certes. Du coup, tout est normal ! Et c'est peut-être bien cette normalité qui tend à diminuer l'enthousiasme... Je n'ai pas la prétention (ni la volonté) de procéder à un inventaire exhaustif visant à décrire l'ensemble des trous présents sur la coques du bateau Enseignement Supérieur/Recherche, mais une piqûre (Hahaha, un mot à la mode) de rappel, afin de dresser le tableau... Une recherche historique (rapide) permet déjà d'annoncer la couleur. Prenons les recrutements effectués par le Centre National de la Recherche Scientifique, le prestigieux CNRS. En prenant la période couvrant de 1994 à 2007, les effectifs statutaires (comprendre "permanents") ont augmenté de 0.7%, représentant 80 postes supplémentaires en 13 ans... Que les mauvaises langues telles que moi n'aillent pas dire qu'il n'y a pas eu une hausse des effectifs ! Mais cette "hausse" dans l'absolu, si on la relativise à l'augmentation de la population sur la même période, traduit en réalité d'une baisse des effectifs de l'ordre de 7%. Et depuis ? En 2010, le CNRS annonçait recruter 400 chercheurs. En 2012, 330 chercheurs. En 2013, 307 chercheurs. En 2014, 300 chercheurs... En 2019, 250 postes s'ouvraient, et le score passe même à 238 pour la campagne de recrutement 2022 (je recommande l'excellent article de Sylvestre Huet, publié en Mars 2019 déjà ; mais aussi l'excellent poste de Martin Clavey sur le site soudofscience récemment mis à jour et incluant les données de 2022, des exemples illustrés parmi bien d'autres).
Le bateau coule...
J'ai pris en exemple le CNRS ici, mais cette observation est déclinable pour l'ensemble des organismes de Recherche en France, pour l'ensemble des Universités bien évidemment, pour l'ensemble des formations dans le Supérieur... Autant regarder directement sur le site du Ministère de L'enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI), les infographies sont plutôt chouettes en plus ! L'édition 2020 de l'état de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation en France est à ce sujet plutôt évocatrice... Sur la figure 01.03, l'évolution de la dépense moyenne par étudiants entre 2010 et 2018 est assez révélatrice : la dépense moyenne par étudiant (regroupant les Cours Préparatoires au Grandes Écoles ou CPGEs, les Universités ainsi que les filières dites "Science-Technologie-Santé" ou STS) est passée de 12 260€ à 11 470€, soit une baisse de presque 6.5%. En regardant le tout plus attentivement et en détail, la baisse est est 2.5% pour les CPGEs, de 4.3% pour les STS et enfin de 8.2% pour les Universités... Ce qui conduit à des conditions d'enseignement parfois simplement lamentables, mises en exergue avec la crise sanitaire actuelle (lire les articles récents de Khedidja Zerouali, notamment celui-ci ou encore celui-là pour les plus récents). D'autres chiffres à la volée ? Allé... Si entre 2010 et 2019, les effectifs étudiants ont augmenté de près de 24%, le nombre d'enseignants (en saignant ?) titulaires, lui, a augmenté de 1%... No comment !
Le bateau coulll.....
Le brassage de ces chiffres me fait d'ailleurs songer à un témoignage lui aussi récent d'une pote, titulaire d'un poste de Maîtresse de Conférences. Elle m'indiquait qu'il était même difficile, dans son Université, de pourvoir des postes d'ATER (Attachés Temporaires d'Enseignement et de Recherche, en gros un chercheurs contractuel sur 1 an qui passe la majorité de son temps à donner des cours...). Des postes non-pourvus en Informatique, en Mathématiques, en Sport, en Biologie... Mais que fait donc l'Université ? Rien, pour cause de redressement financier, donc impossible de créer le moindre poste (titulaire). Bloqué. Pourquoi refuser de telles "opportunités" ? Peut-être parce qu'aujourd'hui le taux d'abandon de thèse se situe entre 30% et 50%, peut-être parce que la "population" que représente les étudiants en thèse compte près de 24% de taux de dépression (d'après une étude en libre accès publiée en Juillet 2021 dans le journal Scientific Reports), contre 5 à 7% dans la population générale. Alors est-ce la thèse qui attire les candidats ayant des prédispositions dépressives ? Est-ce la thèse qui provoque cette explosion de la dépression sur cette population ? Est-ce la poule ou l’œuf qui est arrivé en premier ? (pour moi, je dirai plutôt l’œuf !)
Le bateau c.....
Quelques chose d'important ? Quelque chose qui compte ?
Pourquoi le célèbre orchestre du Titanic a-t-il continué de jouer tandis que le bateau coulait ? Possiblement pour prévenir les vents de panique, possiblement pour se rassurer eux-mêmes. Tout le monde s'accorde à dire que la Recherche, c'est quelque chose d'important. Après tout, même le Président de la République le dit ! Et on sait qu'il ne fait pas parti de ceux qui ne sont rien... L'ambition était clairement affichée pourtant dès les années 2000 : le Conseil européen de Lisbonne de Mars 2000 annonçant l'objectif d'un investissement proche de 3% du PIB de l'ensemble de l'union Européenne dans la Recherche de le Développement d'ici à 2010. Faire de l'UE "l'économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde" ! Rien que ça ! Bon, petit tour sur le site du MESRI... Et les chiffres annoncés sont de 2.2% en 2017, soit 7 ans APRÈS l'objectif de 3% (qui n'a jamais été et ne sera probablement jamais atteint).
Le batttt.....
Bon je suis mauvaise langue, après tout les choses se sont forcément améliorées au cours des 2 dernières années. Je cite une fois encore notre Président : "La crise du COVID-19 nous rappelle le caractère vital de la recherche scientifique et la nécessité d'investir massivement pour le long terme.". Ouf je suis rassuré ! Et lorsque l'on lit certains documents budgétaires consultables sur le site legifrance, on constate à la lecture des programmes 150, 172 et 190, qu'environ 104 Millions d'euros de budget pour l'Université et la Recherche ont été annulés... Mais pourtant, vis-à-vis de la période pandémique que nous vivons tous, l'intérêt d'investir dans la Recherche, ne serait-ce que sur les Coronavirus, ça paraît important non ? Vous savez, le pays de Louis Pasteur, des Lumières... Oui, la France a investi : 530 Millions d'euros (en comptant les crédits européens). L'Allemagne aussi a investi, 1 500 Millions d'euros, le Royaume-Unis également (1 300 Millions d'euros)... Tu m'étonnes qu'il n'y ait pas eu de vaccins ou autres développés par la France, ils sont tellement nuls à l'Institut Pasteur qu'avec 3 trombones et 2.5 élastiques, ils ne sont pas même capables de développer rapidement un traitement efficace et rentable (sans ajouter à cela les histoires de guerres d'égo)...
Le b.....
D'ailleurs, il faut croire que l'importance d'un métier se rapporte directement aux gains qu'il permet de générer (une vidéo ici assez "collector" à ce propos je trouve, si vous l'avez manqué). L'âge moyen de titularisation pour une personne ayant eu un doctorat et souhaitant intégrer le corps des Maîtres de Conférence est de 34 ans (selon le MESRI toujours). Soit pour une personne ayant obtenu le grade de "Docteur" aux alentours de 25/26 ans (mon cas), une "attente" moyenne de 8 à 9 ans après l'obtention du diplôme... Bien entendu, il s'agit d'une moyenne, et ce n'est pas forcément représentatif de l'ensemble des cas et situations, évidemment. Mais quand même... Donc 8 à 9 ans de contrats précaires et de nécessité de bouger régulièrement en France, en Europe, dans le Monde... Confort, n'est-ce pas ? Heureusement, le salaire suit (AHEM !)... Le salaire d'un Maître de Conférence recruté ? 2221.18€ brut mensuel, à 34 ans en moyenne donc. Puisque l'on aime bien les comparaisons, si on relativise par rapport au pouvoir d'achat des Maîtres de Conférences des pays membres de l'OCDE, ce pouvoir d'achat est 63% plus faible pour les chercheurs en France, selon un rapport de Laure Darcos, sénatrice Les Républicains, présidente de la fédération départementale de l'Essone du parti LR) fait au nom de la commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication (chiffres de 2020).
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Conclusion ?
J'en ai presque oublié la question de base... Ah oui ! L'enthousiasme ! Si on me demande désormais si je suis "enthousiaste" quant à mon milieu professionnel, compte tenu des éléments (non-exhaustifs) que j'ai présenté plus haut, eh bien je répondrai ceci :
Bof !
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