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Billet de blog 28 mai 2022

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Pesticides et gras du bide

Gros ventre, panse,  brioche,  abdos Kro, bide... Autant de douceurs littéraires nous permettant de décrire l'excès de graisse visible au niveau de notre ventre ! Si sa présence peut être due à une sédentarité excessive, une forme d'obésité ou encore à une mauvaise alimentation, peut-être que les pesticides n'y sont pas non plus étrangers... Que nous dit un article récent à ce sujet ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tandis que la biodiversité ne cesse de s’éroder, comme l’a souligné une fois encore le congrès mondial de la Nature de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) à Marseille en Septembre dernier, la production (et donc la consommation) de pesticides a quant à elle presque doublé entre 1990 et 2018. En effet, selon un rapport de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, un organisme dépendant des Nations Unies), l’usage de pesticides est passé de 2,3 à 4,1 millions de tonnes à l’échelle mondiale.

À titre d’exemple local, si l’on regarde la situation de la France ne serait-ce qu’entre 2009 et 2019, la quantité vendue de substances actives contenues dans les produits phytopharmaceutiques a augmenté d’environ 11 %, alors même que la surface agricole utilisée diminuait dans le même temps de 0,6 % ! Alors bien entendu, au regard des conséquences néfastes d’une surutilisation de ces produits sur la santé humaine1, de nombreuses mesures internationales ont été prises pour limiter cette production2.

Néanmoins, même les substances dont la productions/utilisation a été interdite peuvent toujours être présentes dans l’environnement et peuvent donc toujours avoir un impact sur la santé humaine3,4. Un article scientifique publié en Janvier dernier5, décrypté par Stéphane Foucard pour le journal Le Monde, suggérerait même que les résidus de pesticides présents dans les fruits et légumes pourraient annuler le bénéfice sanitaire de leur consommation5 ! Heureusement que certaines personnes, de par leur grande expertise scientifique, nous rassurent en nous affirmant qu’il s’agit de fake science (attention, ceci est un sarcasme)…

Rappelons qu’il est prouvé qu’une grande variété de maladies sont amplifiées par la présence de pesticides6 : ils constituent des facteurs aggravants lors de maladies cardiovasculaires7, lors de diabète de type II8 ou encore dans des cas d’obésité9. Au regard de ces différentes pathologies, il y a fort à parier que ces mêmes pesticides seraient des suspects de choix pour être impliqués dans le syndrome métabolique, encore appelé « syndrome de la bedaine »…

Le syndrome métabolique : késako ?

Syndrome métabolique, syndrome X ou encore syndrome de la bedaine… Derrière ces multiples dénominations se cachent l’association de plusieurs troubles liés à la présence d’un excès de graisse à l’intérieur du ventre ! L’INSERM (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale) indique que les personnes concernées présentent un tour de taille important (supérieur à 94 cm pour les hommes et à 80 cm pour les femmes) et au moins deux autres anomalies parmi les suivantes :

Illustration 1
Petite infographie décrivant rapidement est simplement ce qu'est un syndrome métabolique. © INSERM
une hyperglycémie (excès de sucre dans le sang), un taux de triglycérides élevé, un faible taux de « bon » cholestérol, une tension artérielle trop haute. Ce syndrome est bien évidemment favorisé par le manque d’activité physique, la sédentarité et une mauvaise alimentation… Et concernerait près d’une personne sur 5 en France ! Soit un véritable enjeu de santé publique.

Méta-analyse ou comment tirer des conclusions globales à partir d’études séparées

Une étude récente10 publiée dans le journal Environmental Pollution en Avril 2022 suite à une collaboration internationale entre la France, l’Iran et l’Écosse a cherché à évaluer le lien entre une surexposition aux pesticides et ce fameux syndrome métabolique. Les scientifiques ont ainsi effectué une méta-analyse (une synthèse qualitative et quantitative de l’ensemble de la littérature scientifique disponible et publiée) en prenant également en compte l’influence des caractéristiques individuelles (anthropométrie, style de vie, aspects sociaux-culturels) des personnes exposées.

Illustration 2
Ici est représentée la stratégie de recherche utilisée par les auteurs de l'article dont je fais mention. Au final, seulement 11 articles ont été retenus (sur 8 595, correspondant à 0.13% des articles potentiellement utilisables) pour effectuer une méta-analyse. © Lamat et al. (2022)

Et si une méta-analyse peut parfois regrouper de nombreux articles, elle consiste surtout à procéder à un tri drastique de la littérature scientifique pour ne retenir QUE les articles pertinents… L’idée est d’éviter de comparer des choux avec des patates ou encore des haricots, le tout réuni dans le même plat, ce qui n’aurait au final pas le moindre sens…

Ainsi, sur les presque 8 600 articles collectés contenant à la fois les termes « Metabolic syndrome » ET « pesticide », seulement 11 ont été retenus au final et utilisé pour cette analyse. Si ce nombre de 11 articles peut paraître bien faible, ces derniers contiennent des études s’étalant de 1999 à 2017 (18 ans de couverture), et réunissent en tout 5 736 personnes, répartie sur 3 continents (Asie, Amérique Nord et Europe)10 ! Comme quoi avec SEULEMENT 11 études, on peut en réunir du monde…

Pesticides, on parle de qui ?

Car le terme « pesticide » peut regrouper nombre de substances, les 11 études retenues dans cet article présentent les substances suivantes : composés organochlorés (la famille de pesticides la plus courante et utilisée, parmi lesquels on retrouve le DDT ou la chlordécone pour les plus connus), Organophosphates, Carbamates, Pyréthroïdes et Triazines, auxquelles viennent s’ajouter les contaminants (dangereux pour l’Humain6) souvent associés à ces substances (notamment au cours de la production des pesticides !) tels que les Polychlorodibenzo-p-dioxines/Polychlorodibenzofuranes (PCDD/PGB) ou encore les Polychlorobiphényles (PCB). Que de gros mots incompréhensibles que voilà… Eh oui, la chimie organique offre des dénominations particulièrement exotiques parfois ! Ces différents composés ont majoritairement pour effet de perturber la transmission de l’influx nerveux chez les ravageurs, et de causer à terme leur mort.

Un lien entre pesticides et bedaine ?

N’y allons pas par 4 chemins : oui l’exposition aux pesticides augmente les chances d’être sujet à un syndrome métabolique ! Si l'on regarde l’ensemble des pesticides concernés, le risque de voir notre bedaine grandir est de l’ordre de 30% (de 22% à 37% si on se fie à l’intervalle de confiance de 95%... Ce qui veut dire qu’il y a statistiquement 95% de chance que l’augmentation du risque de syndrome se situe entre 22% et 37%).

Illustration 3
Cette figure assez complexe retrace les risques de développer un syndrome métabolique selon les pesticides rencontrés. La dernière ligne compile l'ensemble des résultats pour la totalité des pesticides étudiés. En gros, si le risque de base de développer un syndrome de bedaine est de 1, l'exposition globale à ces substances fait grimper cette probabilité à 1.3 (soit 30% d'augmentation !)... © Lamat et al. (2022)
Un syndrome qui est étroitement lié aux maladies métaboliques et cardiovasculaires11, ainsi qu’à une dérégulation des tissus adipeux12, d’où une accumulation de graisse… Quant aux contaminants associés aux pesticides, ils ne sont pas en reste également… 

Et malgré l’interdiction de certains de ces produits dès les années 1970, ces derniers constituent toujours un risque majeur pour la santé publique compte tenu de leur forte persistance dans l’environnement13,14. Un exemple ? Prenons la Chlordécone, un composé organochloré utilisé jusque dans les années 1980, et considéré comme un des pires polluants organiques persistants… Eh bien près de 50 ans après l’arrêt officiel de son usage, ce pesticide continue toujours de polluer les rivières Martiniquaises15

La persistance de ces produits dans leur environnement ne se fait pas que dans le temps, mais aussi à une échelle spatiale ! En effet, les molécules ne connaissent pas les frontières géopolitiques dessinées par Homo sapiens, et certains d’entre eux ont même pu être identifiés dans des zones où ils n’ont jamais été utilisés16,17.

Tandis que l’usage de pesticides s’avère croissant avec l’augmentation de la population mondiale, et donc de la production mondiale de nourriture, de tels résultats devraient déclencher une alarme concernant les limites des mesures prises pour restreindre la production de pesticides et le développement de meilleures technologies pour l'agriculture, l'alimentation et les industries des pesticides. Quant à la conclusion des auteurs de cet article :

" Authorities should enforce measurements to limit the use and production of pesticides. "

Pour ceux que l’anglais (très) technique ne rebute pas, vous pourrez retrouver l’article d'origine en accès malheureusement restreint à ce lien (si vous souhaitez l’article, n’hésitez pas à m’en faire part par MP). Un article publié dans le journal Environmental Pollution le 16 Avril 2022 et écrit par Hugo Lamat, Marie-Pierre Sauvant-Rochat, Igor Tauveron, Reza Bagheri, Ukadike C. Ugbolue, Salwan Maqdasi, Valentin Navel et Frédéric Dutheil.

Références bibliographiques :

  1. Gangemi, S. et al. Occupational and environmental exposure to pesticides and cytokine pathways in chronic diseases (Review). Int. J. Mol. Med. 38, 1012–1020 (2016).
  2. Lallas, P. L. The Stockholm Convention on Persistent Organic Pollutants. Am. J. Int. Law 95, 692–708 (2001).
  3. Manz, M., Wenzel, K. D., Dietze, U. & Schüürmann, G. Persistent organic pollutants in agricultural soils of central Germany. Sci. Total Environ. 277, 187–198 (2001).
  4. Fu, J. et al. Persistent organic pollutants in environment of the Pearl River Delta, China: an overview. Chemosphere 52, 1411–1422 (2003).
  5. Sandoval-Insausti, H. et al. Intake of fruits and vegetables according to pesticide residue status in relation to all-cause and disease-specific mortality: Results from three prospective cohort studies. Environ. Int. 159, 107024 (2022).
  6. Kim, K.-H., Kabir, E. & Jahan, S. A. Exposure to pesticides and the associated human health effects. Sci. Total Environ. 575, 525–535 (2017).
  7. Zago, A. M. et al. Pesticide exposure and risk of cardiovascular disease: A systematic review. Glob. Public Health 1–23 (2020) doi:10.1080/17441692.2020.1808693.
  8. Evangelou, E. et al. Exposure to pesticides and diabetes: A systematic review and meta-analysis. Environ. Int. 91, 60–68 (2016).
  9. Cano-Sancho, G., Salmon, A. G. & La, M. M. A. Association between Exposure to p,p′-DDT and Its Metabolite p,p′-DDE with Obesity: Integrated Systematic Review and Meta-Analysis. Environ. Health Perspect. 125, 096002.
  10. Lamat, H. et al. Metabolic syndrome and pesticides: A systematic review and meta-analysis. Environ. Pollut. 305, 119288 (2022).
  11. Kim, J., Montagnani, M., Koh, K. K. & Quon, M. J. Reciprocal relationships between insulin resistance and endothelial dysfunction: molecular and pathophysiological mechanisms. Circulation 113, 1888–1904 (2006).
  12. Walther, G. et al. Metabolic syndrome individuals with and without type 2 diabetes mellitus present generalized vascular dysfunction: cross-sectional study. Arterioscler. Thromb. Vasc. Biol. 35, 1022–1029 (2015).
  13. Vandermarken, T., Gao, Y., Baeyens, W., Denison, M. S. & Croes, K. Dioxins, furans and dioxin-like PCBs in sediment samples and suspended particulate matter from the Scheldt estuary and the North Sea Coast: Comparison of CALUX concentration levels in historical and recent samples. Sci. Total Environ. 626, 109–116 (2018).
  14. Li, Y. et al. Quantitative analysis of 209 polychlorinated biphenyl (PCB) congeners in sediments of the Raritan River estuary, USA. Water Supply 20, 2400–2414 (2020).
  15. Baudry, T. et al. The invasive crayfish Cherax quadricarinatus facing chlordecone in Martinique: Bioaccumulation and depuration study. Chemosphere 286, 131926 (2022).
  16. Bro-Rasmussen, F. Contamination by persistent chemicals in food chain and human health. Sci. Total Environ. 188 Suppl 1, S45-60 (1996).
  17. Zaynab, M. et al. Health and environmental effects of silent killers Organochlorine pesticides and polychlorinated biphenyl. J. King Saud Univ. - Sci. 33, 101511 (2021).

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