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Billet de blog 8 septembre 2024

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Maltraitance administrative : un nouveau tournant politique

Enfermer les personnes étrangères dans le « temporaire », c'est la grande tendance des dernières lois et pratiques du gouvernement. À quoi s'ajoute maintenant un nouveau coup dans leur dos, annoncé il y a quelques jours : l’OFII (Office Français de l’Immigration et l’Intégration) a annoncé le gel des budgets pour l'ensemble des parcours, jusqu’en fin d'année 2024 au moins.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La précarité et la maltraitance administrative peuvent désigner plusieurs cas : le premier, être demandeur d’asile, et plus encore demandeur d’asile en procédure dite « Dublin » (ne pas savoir si on sera reconnu « réfugié » ou non, donc ne pas avoir de réponse et de certitude sur son droit au séjour en France, cette attente de renvoi ou de décision peut durer jusqu’à 3 ou 4 ans), et le second, être sans-papier (avoir reçu un refus de titre de séjour ou ne pas s’être vu proposé de droit au séjour adapté à sa situation).

Lorsque je participais à des permanences juridiques, je me souviens de la détresse extrême de ces deux catégories de personnes, qui n’ont pas le droit de travail et un accès difficile et réduit au logement, aux soins et aux droits en général.  

Mais ce qui me préoccupe particulièrement aujourd’hui et qui concerne de plus en plus de personnes, auparavant épargnées : les personnes en situation régulière (à qui on a donc accordé un droit au séjour), mais que l’Etat maltraite, en les maintenant en attente via les « récépissés » temporaires d’une part, et en généralisant l’octroi de titres de courte durée d’autre part.

Prisonniers du « temporaire »

Les titres de séjour distribués le sont avec de plus en plus de retard (parfois jusqu’à deux ans), ce qui maintient des milliers de personnes avec seulement des « récépissés » pendant des mois, voire des années. Dans de nombreux cas, ces personnes, à qui on a accordé le droit au séjour mais à qui on n’a pas encore donné la « carte définitive », peuvent se voir refuser les aides de la CAF (sous prétexte qu’il faut une carte et non un récépissé, ce qui est absurde car en théorie le récépissé annonce la délivrance prochaine d’une carte), mais aussi se voient refuser leur demande d’emploi ou de logement, parce que, encore une fois, les récépissés sont considérés comme des « attestations temporaires de situation ». On leur reproche en fait quelque chose qui n’est absolument pas de leur ressort.  

De nombreuses personnes ont même perdu leur emploi à cause du retard de renouvellement de leur récépissé ; or, ils avaient besoin de leur contrat de travail pour la délivrance de leur prochaine carte : encore une fois, une situation absurde dans le labyrinthe de la maltraitance administrative. Sans carte de séjour, pas d’emploi, mais sans emploi, pas de carte de séjour... Plusieurs personnes m'ont fait part de ce calvaire, et la situation de deux d’entre eux ne s’est démêlée qu'après qu’ils aient, malheureusement, menacé de se suicider devant la préfecture.

Illustration 1

La deuxième pratique de précarisation consiste à délivrer des titres de séjour courts plutôt que des titres de séjour de longue durée. Les titres longs permettraient en effet aux personnes de pouvoir se projeter sur plusieurs années, sans craindre de perdre leur logement ou leur emploi, de pouvoir envisager sereinement des projets de vie ou projets familiaux, de pouvoir rendre visite à sa famille dans son pays d’origine si besoin.

Au contraire, les titres courts, d’1 an renouvelable par exemple, maintiennent les personnes dans un stress immense et obligent aussi de nouvelles démarches chaque année en vue du renouvellement à la préfecture. Le titre long par excellence, à savoir la nationalité française, devient de plus en plus inaccessible, enseveli par de plus en plus de critères presque impossibles à remplir.

C'est aussi d'ailleurs ce que l'on remarque dans la pratique des institutions de l'asile qui généralisent l'octroi de la protection subsidiaire (carte de séjour de 4 ans), plutôt que du statut de réfugié (carte de séjour de 10 ans). 

Que fait l’OFII ?

Or, ce que j’observe, c’est que ces deux pratiques sont liées à un critère en particulier et relativement nouveau : celui du niveau de langue française requis, qui sert de critère de tri.

En effet pour passer du récépissé « temporaire » à la carte de séjour « définitive », il faut avoir complété le « parcours OFII », c’est-à-dire des heures obligatoires d’enseignement de langue française, dont le nombre est déterminé suite à un entretien et test de niveau.

Or, on a appris avec sidération en ce début du mois de septembre 2024 que l’OFII (Office Français de l’Immigration et l’Intégration) a gelé les budgets jusqu’au mois de décembre au moins, et ce dans toute la France, après une décision de réduire son activité de 50%. Le budget qui reste aux différents organismes de formation pour organiser les parcours jusqu’en décembre oblige certains parcours à s’interrompre, et à la plupart des parcours d’être reportés. Plus aucune entrée de parcours ne sera possible pour, au moins, les quatre prochains mois, ce qui est absolument catastrophique.

Sans parcours et sans certificat de fin de parcours, les personnes ne peuvent pas obtenir leur carte de séjour, elles restent donc dans l’incertitude des « récépissés ». Une incertitude grandissante étant entendu qu’en plus, cette nouvelle devrait surcharger considérablement les demandes de renouvellement de récépissés auprès des préfectures et donc amener de nombreuses personnes à vivre avec des récépissés expirés.

Ils sont frappés par l’absurdité d’un système : on leur a accordé le droit au séjour, mais sans leur donner la preuve nécessaire, la carte de séjour. On leur a demandé de suivre des cours OFII obligatoires, mais ces cours sont fermés pour le moment. Encore une fois l'absurde : on leur demande d’attendre en perdant droits sociaux, travail et parfois même logement, sans donner d’explication. Quand commence l'absurde, commence aussi la maltraitance administrative. 

Cela s’inscrit dans une suite d’événements très inquiétante : l’arrêt du financement de certains examens par l’OFII en avril, l’arrêt des parcours B1 en mai, l’arrêt des parcours A2 en juin. Et maintenant, l’impensable, l’arrêt des parcours A1.

Après avoir diminué financements et subventions aux cours proposés par les centres sociaux, avoir fermé la majorité des formations DELF via France Travail au printemps, c’est maintenant les derniers cours de français proposés qui sont visés, les seuls qui étaient gratuits, obligatoires, le socle même du Contrat d’Intégration Républicaine prévu par l’Etat, les cours de l’OFII. S'il s'agit d'un plan de restriction budgétaire, il a été décidé en portant une atteinte claire aux droits de milliers de personnes. S'il s'agit d'une anticipation de futures directives de la loi Darmanin, on peut s'attendre au pire. 

Illustration 2

Comme je l’ai expliqué dans un de mes derniers articles (voir ici), depuis la Loi Asile et Immigration, la réussite d’un examen de niveau de langue française A2 oral et écrit est requis pour obtenir la carte de résident (carte de séjour de 10 ans - hormis les détenteurs du statut de réfugié, c'est un cas à part), ce qui, pour des milliers de personnes ayant des difficultés à l’écrit, et plus encore, sans accès à des formations ou des cours pour réussir cet examen (puisque tous ont été supprimés), est impossible.

Sans cet examen pourtant, ils (et surtout elles, car cela concerne de nombreuses femmes et mères) sont condamné.e.s à des titres d’1 an, 2 ans, 4 ans, renouvelables, c’est-à-dire l’insécurité et la précarité, alors même que leurs enfants, même parfois leurs conjoints, ont la nationalité française.

A quoi cela sert, sinon à rendre malade, à écraser, à marteler « tu ne seras jamais tranquille », « tu ne seras jamais chez toi » ? La maltraitance administrative et le maintien de la précarité administrative sont une atteinte claire, et pourtant non reconnue, aux droits humains et à la santé mentale des personnes étrangères.

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