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Billet de blog 28 janvier 2025

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Circulaire Retailleau : une attaque frontale aux droits des mères sans papiers

La circulaire Retailleau, diffusée aux préfets et appliquée depuis ce vendredi 24 janvier 2025 et qui remplace la circulaire Valls (2012), dans l’indifférence quasi-générale, va avoir un impact sur des milliers de personnes en France, et en particulier des femmes et des mères.

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Il y a, en France, des milliers de femmes sans-papiers, sans-papiers parce que les critères de régularisation ne leur permettent pas d’y avoir accès. Leur nombre est impossible à définir précisément, mais elles seraient un minimum de 205 000 (chiffre des femmes bénéficiaires de l’AME, en 2023). Le seul espoir était, pour beaucoup d'entre elles, notamment celles qui ont des enfants, après plusieurs années de calvaire, de demander un titre de séjour « vie privée et familiale ».

Cette nouvelle circulaire est une double atteinte à leurs droits à la régularisation « vie privée et familiale » : l’une, la réduction du nombre total de titres qui seront attribués, et de l’autre, un durcissement via l’instauration de nouveaux critères. 

Le titre de séjour « vie privée et familiale » était déjà très difficile à obtenir, notamment parce qu'il fait partie des voies de régularisation laissées à la « libre appréciation des préfets » car considérées comme « admissions exceptionnelles au séjour ».

Certaines d'entre elles parvenaient à obtenir un autre titre, aussi prévu dans le cadre des « admissions exceptionnelles » de la circulaire Valls : le titre de séjour « régularisation par le travail », mais ce titre est très difficile à obtenir car il faut avoir plusieurs mois/années (selon les cas) de fiches de paie, ce qui est une épreuve en soi, puisque justement elles n'ont pas le droit de travail - il faut réussir à trouver un employeur qui accepte de prendre ce risque, ou travailler sous alias. Pour les mères, le titre de séjour « vie privée et familiale » restait donc l'option la plus adaptée à leur situation.

Illustration 1

Avec la circulaire Valls, les mères sans-papiers souhaitant obtenir un titre de séjour de ce type devaient déjà être en France depuis plus de 5 ans pour pouvoir y prétendre ; la circulaire Retailleau vient d'allonger cette durée à 7 ans. Il faut donc, dans une logique tout à fait contradictoire : prouver qu’elles sont restées en France (sans-papiers, donc "illégalement") depuis 7 ans, en apporter les preuves, pour pouvoir espérer obtenir un titre de séjour. Rester 7 ans, sans aucune aide financière. Rappelons que : la seule aide accordée aux personnes sans papiers – sur demande – est l’Aide Médicale d’État, possible pour certaines consultations seulement; ils et elles n’ont droit à aucune allocation d’aucune sorte, ne peuvent s’inscrire à Pôle Emploi ni travailler légalement ; ils et elles n’ont pas d’accès possible à des logements sociaux, seulement une place en hébergement d’urgence ou en « foyer » après 2 ans d’attente environ, pendant lesquels beaucoup sont à la rue ; n’ont pas le droit de passer le permis ni de conduire, etc. Notons que pour obtenir ce titre, il faut prouver des liens familiaux forts : il est très difficile, pour une femme non-pacsée avec une personne de nationalité française (ou étrangère en situation régulière et stable) ou sans enfants, de l'obtenir.

Mais vivre 7 ans dans cette situation avec des enfants est un calvaire dont les mères ne peuvent sortir physiquement et psychologiquement indemnes. A cela s’ajoute l’incertitude, le stress quotidien qu’elles ou leurs enfants croisent un jour un contrôle de police, ou qu’une de leur démarche de régularisation se solde par un refus, et que tout s’effondre, leur espoir d’une vie meilleure soit détruit, mêmes qu’elles soient enfermées au centre de rétention ou expulsées après toutes ces années. Et aussi, pour beaucoup d’entre elles, la peur quotidienne qu’un de leurs proches restés dans leurs pays d’origine soit malade ou décède sans qu’elles puissent aller le voir car, sans titre de séjour, elles sont dans l'impossibilité de voyager et de rendre visite à leur famille si celle-ci est à l'étranger ; cette durée de régularisation est donc aussi souvent la durée de séparation avec leurs parents et parfois leurs autres enfants.

Illustration 2

7 ans est d'ailleurs un minimum théorique : dans le cas de mères étant passées précédemment par la procédure de demande d'asile par exemple et ayant essuyé un refus avec délivrance d'OQTF, cela pourrait monter à 10 ans ; dans les faits, il n'était pas rare déjà ces dernières années de croiser des mères sans-papiers en France (et en Europe) dans ce parcours d'errance administrative, depuis très longtemps.

Deuxièmement, pour avoir ce titre de séjour, il fallait déjà prouver qu’elles étaient suffisamment « intégrées à la société française » selon les critères parfois flous et douteux de la préfecture. Douteux parce qu’il n’y a pas de liste pré-établie : c’est laissé à « l’appréciation du préfet ». Or, la nouvelle circulaire annonce que ces critères seront « durcis » sans pour autant détailler davantage. Cette absence de critères précis créé une concurrence énorme entre les dossiers : les mères qui auront le plus d’attestations de bénévolat, de participation à des activités socio-culturelles, le plus de liens amicaux avec des personnes françaises, etc. auront une chance d’avoir un titre de séjour. Celles qui sont souvent le plus isolées, hébergées en foyers loin du centre-ville et des associations, ou tout simplement parce que la langue et leur statut administratif est une barrière, voient leurs chances diminuer. Cela crée une course absurde aux « attestations », qui viennent comme « quantifier » l’intégration. Dans notre quartier, beaucoup de femmes cherchent des associations pour faire du bénévolat, des activités, sans en trouver.

 Troisièmement, et c’est là un des points les plus problématiques, la circulaire fait mention de « justification d’un diplôme français ou d’une certification linguistique, délivrée par un organisme dûment agréé, ou toute autre preuve d’une maîtrise de la langue française ». Or, cela est absurde car les personnes sans-papiers n’ont justement pas le droit de suivre des formations. La seule option, ce sont souvent des cours d’une ou deux heures hebdomadaires, assurés le plus souvent pas des bénévoles (peu formés) dans des associations ou centre sociaux des quartiers ; les ateliers socio-linguistiques encadrés par des professionnels et ouverts aux personnes sans-papiers sont très rares et ont été durement touchés par les récentes coupures budgétaires et qui tendent à fermer ces derniers mois. Dans la plupart des cas, ces cours et ces ateliers ne permettent pas de préparer des examens de langue qui sont tous des examens de type scolaire (QCM, productions écrites, etc.) - voir ici. Comment donc, dans ces conditions, les mères sont-elles censées détenir ces justificatifs et diplômes ?

D’après un sondage réalisé auprès de 34 mères étrangères de notre quartier au mois de décembre 2024, leurs deux principales difficultés pour suivre des cours de français étaient (1) la garde des enfants (enfants en bas-âge, distances, enfants malades) et (2) leur niveau scolaire de départ (sociologiquement, les personnes étrangères qui ont le plus de difficultés à l’écrit sont des femmes – voir ici pour plus de détails). Un certain nombre de mères sans-papiers parlent bien le français de la vie quotidienne, sans pour autant pouvoir obtenir un diplôme à l’écrit ni fournir de certifications. 

Ce qui est inquiétant, pour nous, est que la circulaire une nouvelle fois ne fait pas mention de niveau précis requis : c’est laissé à « l’appréciation du préfet » et on peut donc imaginer une nouvelle fois une sorte de concurrence, et que dans l’ensemble des dossiers, seront retenus ceux qui auront eu les niveaux oraux et écrits les plus élevés (A2 ou B1), c’est-à-dire dans la plupart des cas ceux qui auront eu les meilleurs niveaux scolaires au départ (bac et/ou études supérieures dans leurs pays d’origine). Et les autres ? N’auront-elles jamais le droit de résider légalement en France ? Parce qu’elles ne sont jamais allées à l’école dans leurs pays d’origine ? Celles qui ont eu des chocs traumatiques dans leur parcours migratoires et dont les capacités d’apprentissages sont freinées (voir les études récentes menées en langue anglaise à ce sujet)? Cela va donc devenir un nouveau critère de hiérarchie, de concurrence et de tri entre les mères, voire empêcher beaucoup d’entre elles d’être régularisées. Fort à parier d’ailleurs que cela ne fera que renforcer les hiérarchies de classes sociales. Suite aux annonces de la circulaire, je discutais avec une mère de nationalité ivoirienne en France depuis 5 ans et espérait être enfin régularisée : « Je n’ai pas pu aller à l’école en Côte d'Ivoire, et j’ai beaucoup de mal à reconnaître les lettres en français, comment je vais faire ? »

Illustration 3

Ce que j’aimerais dire à ceux qui doutent encore de la portée catastrophique de la maltraitance administrative est que : les conséquences physiques, psychologiques et sociétales de la privation de titres de séjour sur les personnes concernées sont énormes. Ces conséquences sur les femmes et les mères en particulier sont gigantesques. Que cela les pousse souvent à accepter des situations d’exploitation, différentes formes de chantage, des conjoints maltraitants (dans l'espoir d'un PACS), du travail payé « au noir » (lorsqu’il est payé) sans garanties et sans sécurité… Et les maintient dans une immense précarité.

Mais aussi j'aimerais dire que les enfants des mères sans-papiers sont tous.tes de futurs Français.e.s. Dans la grande majorité des cas, ils et elles seront français.e.s, après des années peut-être, mais ce seront tous.tes des citoyens adultes de nationalité française, car beaucoup seront né.e.s ici, auront fait toute leur scolarité ici, et de fait, auront parfois très peu de liens avec les pays d’origine de leurs parents. Ma question est la suivante : comment ces milliers d’enfants, devenus adultes, se sentiront-ils ? Peut-on vraiment sincèrement croire que la manière dont l’administration traite les parents sera sans effet sur les enfants ? Que ces années de privation de ressources, d’absence de possibilité de travail et de logement seront sans incidence sur leur parcours et leur construction individuelle, ainsi que dans leurs rapports à la France ?

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