J'ai grandi au cœur du Médoc, là où l'eau du robinet buvable semblait être un luxe citadin. Des scientifiques prélevaient nos jeunes cheveux avec l’objectif de mesurer les conséquences des pesticides sur la population, pesticides qui selon eux s’accrochent d’avantage sur "les filles".
Deux fois par an, une puanteur nauséabonde imprégnait le village, créant une atmosphère apocalyptique dans la cour de récréation. Le nuage de pesticides s’installait, s’inhalait, et écrasait avec lui chaque particule d’insouciance.
En 2022, ils ont érigés une haie en guise de rempart protecteur pour les enfants. Des enfants meurent pour du pinard, ils se congratulent d’une haie.
Des enfants meurent pour du pinard, les châtelains se plaignent qu’on fait trop de recours, que c’est la faute du vent qui se lève trop souvent, et nous avec.
Les enfants du Médoc meurent, et on a fini par s’y faire, juste pour la fierté de gueuler qu’on a du bon pinard. Chez les Incas, au moins, les rituels de sacrifices humains étaient célébrés avec une certaine solennité.
Je repense souvent à Morgane, particulièrement à la fois ou j’ai essayé de la faire rire, en l’a comparant à T’choupi. Avec ses joues pleines et son regard aussi pétillant que son crâne, j’espérais adoucir le souvenir de la dernière chimiothérapie.
Je n’ai jamais su si cette comparaison l’avais vexée, 13 ans c’est un âge ingrat, d’autant pour affronter une leucémie. Dorénavant je me demanderais surtout, si Morgane avait survécu, qu'aurait-elle répondue à : « quand on choisit la campagne, on l'accepte et on l'assume ? ».