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Journaliste société à Manifesto XXI, spécialiste des questions de genre (Paris 8) essayiste, et fondatrice de Mécréantes.

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Billet de blog 6 juin 2024

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En finir avec le récit français : Juifves vs. Musulman·nes, Lesbiennes vs. Trans

Le discours qui dépeint les personnes juives comme victimes d’antisémitisme principalement de la part des personnes musulmanes est similaire à celui qui présente les lesbiennes comme victimes des femmes trans.

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Le discours médiatique qui dépeint les personnes juives comme victimes d’antisémitisme principalement de la part des personnes musulmanes est similaire à celui qui présente les lesbiennes comme victimes des femmes trans (si ce discours ne vous dis rien, voir précisions à la fin). Pourtant statistiquement, la communauté lesbienne est le groupe social le moins transphobe. Si cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de lesbiennes influentes qui sont transphobes, cela ne représente pas la majorité de la communauté lesbienne. À contrario il existe sûrement des personnes transgenres qui ont des stéréotypes lesbophobes parce qu’ils sont véhiculés dans la société, pour autant les personnes trans ne constituent pas une menace pour les lesbiennes. Et comme nous l’avons dis, les lesbiennes savent que la transphobie est avant tout un problème d’hétérosexuel.

Pour l’antisémitisme, c’est comparable : les différentes communautés racisées partagent principalement une histoire commune de persécution et de cohabitation, que la suprématie blanche tend à nier ou effacer. Ce discours permet à la suprématie blanche de se positionner en sauveur (comme les anti-trans veulent «sauver» les lesbiennes tout en étant lesbophobes), afin de diviser pour mieux régner et continuer à se positionner en arbitre qui trie les identités minoritaires entres elles pour imposer son autorité et sa norme comme la seule légitime. Par ailleurs, nier que l’antisémitisme est systémique (c’est-à-dire qu'il est produit et entretenu par les institutions), c’est ne pas comprendre le fonctionnement de l’État-nation, qui se crée plusieurs ennemis intérieurs et extérieurs interchangeables avec lesquels il négocie un accès à la citoyenneté (c’est-à-dire à l’hégémonie) et ce, en échange d’une identité policée respectable et au service de l’État. Par exemple, les personnes juives sont tolérées si elles servent le narratif islamophobe et adoptent une neutralité « républicaine », discrète (en cachant leur culture et leur identité). Cela s’explique par le fait qu’aujourd’hui, les personnes musulmanes non blanches, ou perçues comme telles, sont numéro 1 dans la liste des minorités désignées par les politiques et les médias comme les « ennemis de la nation ». De même, les gays, bi et lesbiennes sont toléré·e·s s'iels sont discret·e·s, assimilé·e·s, de préférence bourgeois·e·s, et s'iels servent un récit de modernité opposé aux cultures musulmanes (c’est-à-dire si iels sont homonationalistes). Il leur est également demandé de distancier des personnes trans, pour devenir des LGB respectables… Ces dispositifs ne sont pas des privilèges mais une fausse protection illusoire et temporaire. C’est une mise en laisse visant à affaiblir le pouvoir révolutionnaire d'un projet commun en nous divisant et en tuant nos cultures et savoirs propres. 

Pour les conservateurs il s’agit également de commencer par les groupes les plus marginalisés pour progressivement réduire les droits de la périphérie vers le centre : on débute avec les travailleuses du sexe trans et sans papiers, puis les personnes trans, ensuite les lesbiennes, puis les gays, et ensuite les femmes hétérosexuelles. Par exemple aux USA, il y a eu une séries d’interdictions pour les personnes trans (2017), suivis par la loi Don’t say gay (mars 2022) et par l’interdiction du droit à l’IVG (juin 2022).

Pour illustrer jusqu'où va ce narratif, j'ai eu une proche au téléphone qui ne vit pas à Paris. Elle pensait sincèrement que les personnes juives étaient interdites de participation aux manifestations de soutien à la Palestine, y compris sur les campus universitaires américains. Évidemment, elle n'avait jamais entendu parler des dizaines de milliers de personnes juives impliquées dans les mouvements de soutien à la Palestine, rien qu'aux États-Unis. Pour conclure, et en paraphrasant bell hooks, je n'apprécie pas le discours appelant à « l’unité » face aux offensives réactionnaires actuelles. Le terme « unité » suggère que nous ne pouvons progresser ensemble qu’à condition qu’aucunes têtes ne dépasse et que nous soyons identiques. Cela nous oblige à choisir une identité au détriment d'une autre, laissant inévitablement des individus de côté. Plutôt que d'être unis, soyons en communion, en assumant nos différences tout en célébrant ce qui nous lie.


Précisions sur les lesbiennes et la transphobie : Les personnes anti-trans utilisent souvent les lesbiennes en prétendant ne pas être transphobes, mais simplement vouloir protéger les lesbiennes des femmes trans qui, selon elles, « les forceraient à avoir des relations sexuelles alors qu'elles n'aiment pas les pénis ». En ce qui concerne les hommes trans, les transphobes affirment qu'ils sont en réalité des lesbiennes incapables de s'assumer dans une société lesbophobe, et qui transitionnent pour échapper au sexisme et « devenir hétérosexuelles ».

Il y a souvent une confusion entre le féminisme radical, le lesbianisme séparatiste (qui ressemble beaucoup au sionisme israélien), avec les femmes anti-trans, ce qui conduit parfois à assimiler à tort les lesbiennes à la transphobie. Il est vrai qu'une lesbienne blanche (chrétienne) a rédigé le premier manifeste transphobe en 1979 (The Transsexual Empire de Janice Raymond) et qu'il est né du courant séparatiste, mais dès le début, de nombreuses lesbiennes, notamment Audre Lorde, ont rejeté ses idées.


Bibliographie sur le sujet :
- Maurice Samuels, Le droit à la différence, L’universalisme français et les juifs
- bell hooks, Communion
- Benjamin Stora, Karima Dirèche, Mathias Dreyfuss, Juifs et musulmans de la France coloniale à nos jours
- Sarah Schulman, La gentrification des esprits: témoin d’un imaginaire perdu
- Jasbir Puar, Homonationalisme: la politique queer après le 11 septembre 2001

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