Suite aux attaques du 7 octobre perpétrées par le Hamas, un collectif français se proclamant porte-parole des Israéliens (notamment des otages) s'est formé : Nous Vivrons. Ce mouvement a émergé dans le contexte du siège et des bombardements du territoire occupé de la bande de Gaza orchestrés par le gouvernement d'extrême droite de Benyamin Netanyahou. Le 12 novembre dernier, ce collectif a mené sa première action en empêchant des collectifs de juifves de gauche et des députés LFI de déposer des fleurs au Vél' D'hiv. Cette commémoration avait été proposée en réaction à une marche contre l'antisémitisme organisée par le Sénat, en présence du RN et ce alors que Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale, exprimait un "soutien inconditionnel" à la politique meurtrière de Netanyahou.
Le 25 novembre, lors de la marche contre les violences faites aux femmes, le collectif Nous Vivrons, qui ne se revendique pas féministe entame sa deuxième action. Pour l'occasion, le collectif ouvre un compte Instagram, puis tente de se joindre à la manifestation. Il se retrouve alors bloqué au départ de la manifestation par l’inter-organisation de la marche. L'objectif affiché par Nous Vivrons était de sensibiliser les féministes aux violences sexuelles commises par le Hamas le 7 octobre. Cependant, des manifestant·e·s ont scandé des slogans homophobes, tels que « LGBTQIA avec le Hamas, vous seriez pendus ». Des accusations ont également été proférées à l'égard des féministes, avec des expressions telles que « féministes à la Hamas ». Cette action est alors décrite par la Ligue des droits de l'homme comme étant une attaque contre le mouvement féministe et un procès intolérable et injuste.
Si l'inter-orga n'a pas laissé Nous Vivrons s'élancer en cette marche du 25 novembre, c'est bien car leurs méthodes ressemblaient trop à celles du collectif identitaire Némésis, qui était d'ailleurs attendu à la marche, puisqu'elles tentent "d'incruster" le cortège chaque année. Ainsi, les militantes de Nous Vivrons ont été confondues avec Némésis et leur service d'ordre, assimilé à la LDJ.
Mais quelle est la ligne politique de Nous Vivrons et pouvons nous la qualifier d’extrême droite ? Nous y reviendrons dans une deuxième partie, mais nous pouvons dès à présent dire que celui-ci n'a exprimé aucun soutien aux Palestiniennes, faisant preuve d'un soutien inébranlable à la politique de Netanyahou, en ne condamnant pas la violence en cours à Gaza et en Cisjordanie. Une violence qui, malgré les multiples condamnations israéliennes par les instances de justice internationale, est considérée selon des militantes de Nous Vivrons présente le 8 mars, comme relevant de l'unique responsabilité du Hamas. Par ailleurs l'action du 8 mars de Nous Vivrons semble s'inscrire dans une stratégie de propagande fémonationaliste plus vaste, qui selon le journal The Nation aurait-été encouragé par le gouvernement israélien. En effet, le 5 novembre, l'État israélien a lancé un appel sur son compte officiel X "appelant toutes les féministes" à "soutenir toutes les femmes israéliennes qui ont été violées, torturées, assassinées et kidnappées par les terroristes du Hamas" - et établissant un parallèle avec le soutien international apporté à l'Iranienne Mahsa Amini. La semaine suivante, le ministère israélien des affaires étrangères a lancé une campagne sur les réseaux sociaux avec le hashtag #BelieveIsraeliWomen.
En parallèle, des critiques ont été émises par des collectifs de féministes juives, pour qui le féminisme parisien n'a pas été à la hauteur des enjeux lors de l'organisation du 25 novembre, ni dans leur soutient accordé aux femmes juives face à la montée de l’antisémitisme. À l’instar de Oraaj, certaines militantes féministes juives demandent à ce que les féministes leurs fassent confiance et les écoute.
Arrivons maintenant au 8 mars. En tenant compte des événements du 25 novembre, l'organisation laisse défiler Nous Vivrons avec son service de sécurité. Quelques jours avant la manifestation, plusieurs collectifs pro-palestiniens se mobilisent pour dénoncer leur participation. Le jour J, Nous Vivrons défile avec environ 300 militantes et un cortège composé de 50 hommes cagoulés et armés de gants coqués et/ou renforcés, de matraques télescopiques, de bombes à gaz et potentiellement de taser (l'usage d'une arme a feu a été démenti). Il s’agit du Service de Protection de la Communauté Juive, qui se revendique « apolitique » et est autorisé au port d’armes sous conditions d'être un agent professionnel et d'avoir l'accord de la préfecture de police, ce qui à priori, n'était pas le cas. Les slogans scandés par Nous Vivrons font référence à la judéité et à la dénonciation du Hamas, exprimant un soutien fort à Israël : « violé pour leur judaïté, Hamas à dénoncer », « Israël vivra, Israël vaincra ».

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La présence imposante du service d'ordre suscite un malaise parmi la majorité des féministes présentes. Rapidement, des féministes entonnent des slogans pro-palestiniens, tandis que des membres du collectif Nous Vivrons font des doigts d’honneurs envers les manifestantes pro-palestiniennes, que certaines rendent. L'atmosphère reste tendue, et plusieurs témoignages font états d'insultes sexistes et homophobes proférées par les militantes de Nous Vivrons (tels que : allez-vous faire violer par le Hamas) et par leur service d'ordre. Plusieurs militantes de Nous Vivrons rapportent qu'une vidéo circule dans laquelle une femme aurait été traitée de "p*te juive". Il existe une vidéo publié sur le profil de Nous Vivrons montrant une militante dire au cortège de Nous Vivrons "sale pute".
À 15h40, le cortège atteint l'Avenue de la République. Un groupe d'une trentaine de personnes, principalement des féministes, rejoint le cortège, il est progressivement rejoint par quelques membres affiliés à Antifa ou des lycéens du NPA. Rapidement, le groupe entonne des slogans tels que « cassez-vous », « fascistes, c'est nous les féministes », et « Israël assassine le peuple de Palestine ». Le groupe s'étoffe progressivement avec l'arrivée de militants pro-palestiniens et d'antifas. Le service d'ordre de Nous Vivrons fait avancer leurs militantes une centaine de mètres plus loin pour éviter tout affrontement direct. Le service d'ordre de Nous Vivrons s'échauffe et attaque le cortège qui le suit. Des projectiles sont lancés des deux côtés, renforçant le climat de tension. Le service d'ordre dérive, occasionnant des agressions envers des féministes, qui sont frappées et bousculées. De plus, à plusieurs reprises, des journalistes sont directement visés par des tirs de gaz à bout portant. Les témoignages de plusieurs militantes évoquent deux blessés parmi les militants pro palestiniens, dont une hospitalisation suite à une fracture résultant d'un coup adressé par un point coqué. J'ai également été témoin d'un propos antisémite, prononcé par un très jeune homme qui disait à un ami « est-ce que ce sont les juifs qui sont en train de gagner ? ».
À 16h, le cortège Nous Vivrons bifurque à l'angle de la Rue Saint-Maur. Des membres du SO revêtent alors des brassards "sécurité", et l'ensemble du SO est ensuite protégé et escorté par une unité de la BAC. La manifestation, regroupant plus de 100 000 personnes, reprend son calme sans incident jusqu'à Bastille.
Le soir même, l'identitaire Alice Cordier, dirigeante du collectif Némésis, apporte son soutien à Nous Vivrons en dressant un parallèle avec son collectif. Plusieurs militants, journalistes et collectifs annoncent à tort que le service d'ordre de Nous Vivrons est la LDJ, alors qu'il s'agit de la SPCJ.
À mon sens, dès le départ, il était excessivement risqué de permettre à un collectif non féministe de défiler un 8 mars, qui plus est, en utilisant les viols et les traumatismes infligés aux Israéliennes pour proclamer au milieu d’une manifestation féministe, et alors que plus de 30 000 personnes ont déjà été tuées à Gaza, "Israël vaincra". De nombreuses féministes qui n'étaient pas informées de cette situation se sont senties, au mieux, mal à l'aise. Au pire, elles étaient terrifiées à la vue de 50 hommes cagoulés et armés, dans une manifestation où elles sont censées occuper pleinement l'espace.
Par ailleurs, cette situation met en lumière les lacunes du mouvement féministe sur la question de l'antisémitisme, qui, au lieu de réfléchir à mieux valoriser l'implication et le travail des féministes juives, cède à l'inclusion d'un mouvement d’extrême-droite pour se défausser et prétendre avoir fait son auto-critique sur l’antisémitisme. Cela démontre aussi une certaine naïveté quant à l'instrumentalisation du mouvement par diverses forces politiques de droite. Si j'ai conscience qu'il nous est sans cesse demandé d'être à l'eau et au moulin, il est impératif que nous soyons capables d'analyses politiques plus approfondies.
Il ne suffit pas qu'un collectif identitaire comme Némésis se prétende apolitique et assure lutter contre le harcèlement de rue pour que cela soit véridique. Nous devons être pleinement conscientes que leur objectif n'est pas la sécurité des femmes dans l'espace public, mais bien de mettre un pied dans la porte féministe pour y enfoncer des idées fascistes. De la même manière, le collectif Nous Vivrons soutient activement la politique de Benjamin Netanyahou, un dirigeant d'extrême droite soupçonné par la communauté internationale de commettre un génocide, en prétendant le faire au nom de la défense des femmes juives.
Depuis le début du conflit à Gaza, Netanyahou instrumentalise les viols commis par le Hamas, en faisant de cet aspect l'un des angles prioritaires de sa propagande de guerre. Cette stratégie, qualifiée de "fémonationalisme" par la chercheuse Sara R. Farris, vise à justifier le siège et les bombardements de Gaza, ainsi que les violences sexuelles perpétrées par des soldats israéliens, dont des photos les montrant en train de poser avec des sous-vêtements appartenant à des femmes palestiniennes. Cette stratégie est celle d'une déshumanisation patriarcale, à la fois des femmes palestiniennes, mais aussi des femmes israéliennes, qui se retrouvent dépossédées de leurs récits, afin de servir d'appui à une politique sanguinaire.
Ainsi, nous féministes, ne pouvons nous rendre complices de cette rhétorique fémonationaliste profondément patriarcale, qui voit le corps des femmes comme des champs de bataille. Nous féministes, ne pouvons permettre à un collectif de défiler s'il n'est pas en mesure de qualifier et de reconnaître les violences subies par les femmes palestiniennes. En plus d'être politiquement indigne, cette récupération politique ne pouvait conduire qu’à une situation dangereuse et violente auquel nous avons malheureusement assisté. La présence d'un service d'ordre entièrement masculin était totalement inappropriée et cela n’aurait jamais pu « bien se passer », tout simplement car le féminisme ne peut normaliser la présence de portes-paroles d'un gouvernement d’extrême droite.
Ainsi pour l'avenir, nous devons mieux prendre en compte les critiques formulées par les différents collectifs de féministes juives, rappeler aux hommes de gauche que leur place dans une manifestation féministe est celle d'alliés, et faire de la lutte contre le fémonationalisme et l'instrumentalisation du féminisme une priorité. Cela implique de ne pas accepter la présence de Nous Vivrons, tant que celui-ci n’affirmera pas une ligne féministe, pour toutes les femmes.