Le 21 septembre, le corps de Philippine, une étudiante de 19 ans, est retrouvé dans le bois de Boulogne. Le lundi suivant, les étudiant·e·s de la faculté Paris-Dauphine observent une minute de silence en sa mémoire. Peu d'articles paraissent à ce sujet jusqu'au 25 septembre, lorsque le Collectif Némésis, un groupuscule identitaire se revendiquant féministe, annonce l'organisation d'une manifestation pour Philippine, comme elles l'avaient fait l'année précédente pour Lola. L'emballement médiatique s'enclenche alors, et tandis que les féministes parlent de féminicide, les milieux d'extrême droite identitaire préfèrent qualifier ce meurtre de « francocide », un terme inventé par Éric Zemmour. Face à cette récupération raciste du féminicide de Philippine, plusieurs éléments méritent d'être clarifiés.
Tout d’abord, il est évident que cette affaire sert de contre-feu à l'affaire Mazan. Mais cette récupération va bien au-delà de cela. En France, depuis quelques années, on observe un glissement progressif dans la manière dont les femmes blanches et non-blanches sont perçues et désignées au sein des discours des mouvances politiques de droite.
Pendant des décennies, les femmes non-blanches ont été présentées sous un prisme orientaliste comme des victimes passives à secourir, tandis que les femmes blanches étaient perçues comme des proies ambulantes nécessitant protection contre des dangers supposés venir de l'extérieur du foyer. Mais bien que cette vision persiste encore, elle est en train de laisser place à une autre rhétorique nationaliste et identitaire. Elle affirme désormais que chaque pays doit prendre en charge ses propres hommes violents. Certains dirigeants politiques, comme Giorgia Meloni, réclament donc des mesures autoritaires et punitives pour « leurs » hommes, comme la peine de mort ou la castration chimique. À noter que dans les pays où la castration chimique est légale, les hommes qui la subissent ne sont pas tous les délinquants sexuels, mais bien souvent des hommes pauvres, non-blancs, et surtout des hommes dont la victime n’est pas perçue comme leur propriété, c’est-à-dire qui n’est ni leur compagne, ni leur cousine, ni leur fille.
Dans ce récit, l'extrême droite prétend qu'elle souhaite se décharger de la responsabilité des violences commises sur le territoire français par des hommes étrangers, mais en réalité, cela sert comme prétexte pour ce qui l'intéresse vraiment : recentrer le débat sur les "OQTF" et l'expulsion des étrangers, reléguant ainsi la lutte contre les violences de genre au second plan. Une manière, disons-le, de marcher sur le cadavre de Philippine et bien d'autres.
Le Collectif Némésis incarne parfaitement cette idéologie en s'adressant aux femmes blanches avec des messages comme : « Regardez les hommes afghans, c'est ce que vous voulez ? ». Derrière ces discours qui extériorisent et racialisent le sexisme, elles militent pour une "double peine" à l'encontre des hommes sans papiers, exigeant qu'ils soient condamnés et expulsés. Pour Némésis, la logique est simple : chaque nation doit cultiver la virilité de ses hommes tout en contrôlant leurs "excès". Selon leur vision, les hommes blancs possèdent les femmes blanches, qui acceptent ce rapport de domination. Elles peuvent éventuellement négocier pour limiter les violences venant de "leurs" hommes, mais cela ne va pas plus loin. En revanche, les hommes étrangers doivent être renvoyés "chez eux", où leur comportement sera géré, loin des frontières nationales.
Ainsi, les critiques émanant de la gauche qui essayent de pointer la contradiction suivante : « Il y a aussi des femmes dans les pays où ces hommes sont expulsés, cela ne fait que déplacer le problème ! » – ne font pas mouche. Et pour cause, pour les politiques des différentes droites, la catégorie de « femme » n’est pas définie par la biologie comme ils le prétendent, mais par un statut social précis : celui de la femme blanche, cisgenre, hétérosexuelle et titulaire de papiers français. Les femmes non-blanches ne faisant pas partie de cette catégorie ne sont ni protégées, ni même vues comme dignes d’une quelconque forme de paternalisme colonial (plus besoin de prétendre qu’on cherche à les sauver, donc).
Puisqu’elles ne sont pas considérées comme des femmes, elles ne sont plus lisibles socialement et donc ne sont pas considérées comme « vraiment humaines ». De ce fait, pour les droites, elles ne méritent pas d’être « sauvées » et encore moins protégées. Dans cette logique, les femmes non-blanches sont donc soit invisibilisées, soit perçues comme complices ou perverties par leurs hommes, notamment lorsqu'elles prennent des positions antiracistes. Ce processus n’a rien de nouveau (il battait déjà son plein à la fin de la guerre d’Algérie), mais il contribue à renforcer un discours nationaliste dont le but n’est jamais de protéger les femmes (qu’importe leur blancheur ou non), mais bien de consolider des frontières raciales.
Face à ces attaques, seul un féminisme engagé contre la montée de l'autoritarisme, du sécuritarisme et de l'impérialisme dans notre pays peut véritablement améliorer la vie des femmes.